Hélène NUTKOWICZ, L’homme face à la mort au royaume de Juda. Rites, pratiques e

Hélène NUTKOWICZ, L’homme face à la mort au royaume de Juda. Rites, pratiques et représentations, Paris, Cerf, coll. « Patrimoines, judaïsme », 2006. 23,5 cm. 387 p. ISBN 2-204-07680-5. 45 € I – La thèse du « vide théologique » 1Dans les théologies bibliques, il existe un large consensus concernant les représentations de la mort et de l’après-mort dans la Bible hébraïque : celui de « vide théologique [1][1]Ainsi dans les grands classiques de Gerhard von Rad, Théologie… ». Cette conception, un peu floue il est vrai, qui a toutefois sa cohérence, se base sur un faisceau d’observations et d’arguments qui semblent se renforcer mutuellement [2][2]Cf. Frank Crüsemann, « Rhetorische Fragen ! ? Eine Aufkündigung…. 2? Premièrement, les morts sont perçus comme radicalement séparés de Dieu, avec à l’appui des textes comme le Ps 88, au verset 6 (traduction NBS) : « Je suis étendu [3][3]La traduction est problématique. Le TM a « je suis un hophshî… parmi les morts, semblable à ceux qui sont transpercés et couchés dans une tombe, à ceux dont tu n’as plus le souvenir et qui sont séparés de ta main [miyyadekhâ nigzârû]. » 3? Deuxièmement, tout ce qui relève de la mort et des morts appartient au domaine de l’impur (ainsi par exemple selon Ag 2, 13 : une personne qui touche un être mort [4][4]Les traductions (ainsi la NBS) utilisent le terme « cadavre »,… devient impur et rend impur tout ce qu’elle touche ; cf. Lv 11, 32-35 ; Nb 19, 11-22). 4? Troisièmement, en divers endroits, la Torah interdit d’apporter de la nourriture aux morts, de les honorer et de les invoquer ou interroger [5][5]Cf. Lv 19, 31.28 ; 20, 6.27 ; Dt 18, 10-11 ; 26, 14. – en contraste frappant avec l’usage du monde environnant où les repas funéraires sont très répandus (dans les Confessions, VI, ii, 2, on apprend que Monique apportait aux tombeaux des saints de la bouillie, du pain et du vin pur, « selon la coutume de l’Afrique », précise saint Augustin). 5? Quatrièmement, sans être toujours évoqué, on rappelle qu’en Gn 1, dans la liste des espaces vitaux sur lesquels le Dieu créateur exerce sa souveraineté (le firmament, le ciel/l’air, la mer, la terre habitée), le Shéol n’est pas mentionné [6][6]Ainsi Alexander Achilles Fischer, Tod und Jenseits im Alten…. 6? Cinquièmement, on explique ce « vide théologique », cette distance entre YHWH et le monde des morts, par le fait que YHWH, le Dieu unique, se révèle, se définit exclusivement comme le Dieu vivant (’él hây), le Dieu de la vie [7][7]Ainsi, par exemple, Kathrin Liess, art. « II. Tod und… – ici encore en fort contraste avec les religions du monde environnant dans lesquelles chaque sphère a sa divinité propre, celles des divers domaines de la vie comme celles de la mort et du monde infernal, ainsi Mot à Ougarit ou les dieux des enfers Nergal et Erra en Mésopotamie, Osiris en Égypte. Du moins avant l’exil, le monde du Shéol serait en dehors de la compétence de YHWH [8][8]Ainsi, par exemple, Dany Nocquet, « Les interdictions du…. 7? Sixièmement, cette représentation a été encore renforcée récemment par les ouvrages de Jan Assmann sur la mort et l’au-delà en Égypte (2001). Selon ce dernier, la religion israélite serait une religion de l’ici-bas, alors que l’égyptienne, en contraste, serait une religion de l’au- delà : en Israël tout s’arrêterait avec la mort [9][9]Jan Assmann Tod und Jenseits im alten Ägypten, Munich, C. H.…. 8? On ajoutera, pour compléter le tableau, que l’expression « vide théologique » a été en fait forgée en contraste avec le message du Nouveau Testament où ce vide allait être comblé par la victoire du Christ sur la puissance de la mort et par l’assurance de la résurrection. 9Malgré cette conception, impressionnante dans sa cohérence, du « vide théologique » concernant la mort et l’au-delà dans l’Ancien Testament, il est clair que ce tableau doit être nuancé. On connaît des passages comme 1 S 2, 6 (« YHWH fait mourir et il fait vivre, il fait descendre au séjour des morts et il en fait remonter [10][10]Sur ce passage cf. dernièrement, Walter Dietrich, Samuel,… »), Dt 32, 39 (« c’est Moi qui fais mourir et qui fais vivre »), ou comme Am 9, 2a (« S’ils pénètrent dans le Shéol, ma main les en arrachera [11][11]Pour des raisons de rythme (2 + 2 au lieu de 3 + 3 aux v. 3-4),… ») et Ps 139, 8b (« Si je me couche au Shéol, tu es encore là [12][12]Sur l’autorité de yhwh sur le Shéol, cf. aussi Ps 86, 3 ; Jon… »). Le récit de la consultation par Saül de la nécromancienne de Ein-Dor (1 S, 28), tout en soulignant fermement (v. 3 et 9) qu’il est prohibé d’évoquer les morts, présuppose qu’il est possible de « faire monter » un mort, et que ce mort possède donc encore un certain mode d’existence [13][13]Le récit est particulièrement tragique parce que Saul veut…. Il n’est pas tombé dans un néant absolu. Le psalmiste peut l’exprimer, dans un chant de reconnaissance : « Tu m’as fait remonter du séjour des morts, tu m’as fait revivre loin de ceux qui descendent dans le gouffre » (Ps 30, 4). Une métaphore, certes, mais qui semble présupposer que YHWH intervient aussi dans la sphère du Shéol. Dans l’Antiquité, et dans la Bible hébraïque en particulier, les domaines où s’exercent la puissance de la mort et celle du Dieu vivant ne sont pas aussi distincts ou séparés qu’on le présuppose dans notre conception moderne de la vie et de la mort. Dans les psaumes de reconnaissance, il s’agit souvent de bien davantage que d’une simple métaphore [14][14]Cf. Christoph Barth, Die Errettung vom Tode in den…. Il existe aussi quelques récits de résurrection de morts dans les cycles d’Élie et d’Élisée (1 R 17, 17-24 et 2 R 4, 8-37) [15][15]Sur ces deux récits, cf. Winfried Thiel, Könige,…. Un psalmiste exprime l’assurance que YHWH lui fera « connaître le sentier de la vie », une métaphore fréquente dans la littérature égyptienne pour désigner la vie dans l’au- delà [16][16]Cf. Kathrin Liess, Der Weg des Lebens. Psalm 16 und das Lebens-…. D’autres textes parlent d’enlèvement vers Dieu (racine lâqah) [17][17]Cf. Gn 5, 24 (Hénoch est « pris », enlevé) ; 2 R 2, 3.5.9-11…. Certains psaumes (comme le Ps 73) évoquent un lien de fidélité indéfectible entre YHWH et le fidèle au-delà de la mort [18][18]Sur le Ps 73, cf. l’analyse très précise de Kathrin Liess, Der…. Contrairement à l’affirmation que les morts ne peuvent louer Dieu, nous lisons en Ps 22, 30 : « Devant lui [YHWH] s’agenouilleront tous ceux qui descendent à la poussière,/et [celui qui] ne maintient pas son âme en vie [19][19]Un texte dont le sens est, il est vrai, très controversé.. » Un sage argumente : « Le Shéol et le monde des disparus sont devant YHWH, à plus forte raison le cœur des humains ! » (voir aussi Job 26, 6). Enfin la promesse et l’attente d’une résurrection des morts sont clairement exprimées dans la petite apocalypse d’Ésaïe (Es 25, 8 : « Il anéantira la mort pour toujours » ; 26, 19 : « Que tes morts revivent ! Que mes cadavres se relèvent ! […] la terre redonnera le jour aux ombres ») et en Dn 12, 1-4 (« La multitude de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux se réveilleront, ceux-ci pour la vie éternelle et ceux-là pour l’horreur éternelle ») [20][20]Excellent résumé sur la portée de ces textes par Johannes…. 10Les tenants de la conception d’un « vide théologique » connaissent évidemment ces textes, mais les considèrent comme marginaux et récents, voire très récents. Outre qu’une datation tardive (très à la mode, il est vrai, pour toute la littérature vétérotestamentaire) déplace le problème mais ne le résout pas forcément (à moins de présupposer un emprunt étranger et hétérogène aux conceptions anciennes, ce qui reste à démontrer), il n’est peut-être pas si évident que ces textes qui évoquent un lien entre YHWH et le domaine de la mort soient si marginaux et si récents. II – Hélène Nutkowicz, L’homme face à la mort au royaume de Juda 11La monographie d’Hélène Nutkowicz (par la suite « a. » pour « auteur »), issue d’une thèse dirigée par André Lemaire, sans aborder son sujet dans la perspective d’une théologie biblique, incite, me semble-t-il, à nuancer ou réviser certains aspects du consensus évoqué plus haut sur le vide théologique, et peut-être même à remettre en cause certains présupposés explicites ou implicites des exégètes sur la conception de la mort comme disparition totale de l’être humain, sur la représentation de la vie au-delà de la mort et, sans doute, par implication car son domaine est l’époque monarchique, sur la datation jusqu’ici très tardive de l’expression d’une espérance post mortem dans divers textes bibliques. 12Ajoutons que cette thèse, L’homme face à la mort au royaume de Juda, s’insère dans un ensemble de parutions uploads/Litterature/ l-x27-homme-face-a-la-mort-au-royaume-de-juda.pdf

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