UN MEURTRE IMMOTIVÉ ? Anne Adens Érès | « Savoirs et clinique » 2008/1 n° 9 | p
UN MEURTRE IMMOTIVÉ ? Anne Adens Érès | « Savoirs et clinique » 2008/1 n° 9 | pages 77 à 84 ISSN 1634-3298 ISBN 9782749209227 DOI 10.3917/sc.009.0077 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-savoirs-et-cliniques-2008-1-page-77.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Érès. © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Érès | Téléchargé le 19/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.100.162.64) © Érès | Téléchargé le 19/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.100.162.64) « Parmi les meurtres commis par les alié- nés un certain nombre apparaissent comme des actes logiques et motivés du point de vue des idées délirantes. […] Nous désirons attirer l’at- tention sur une autre série de meurtres réalisés par des aliénés, sans intervention d’une impul- sion ou d’une colère pathologique, et qui ne paraissent même pas motivés par une idée déli- rante. » C’est ainsi que Paul Guiraud, psychiatre mécaniciste du début du XXe siècle, introduit son étude sur les meurtres immotivés. Et il ajoute : « Les aliénistes doivent être convaincus que tous les actes des aliénés, si extravagants et inattendus soient-ils, ont des causes précises tout comme les actes les plus normaux. » « Tout en conservant notre entière indé- pendance à l’égard de la psychanalyse ortho- doxe nous pensons que, dans les cas de ce genre, il faut admettre l’action de mobiles inconscients » (Guiraud, 1931). Nous verrons, à partir du cas que je vais vous présenter, combien les travaux de ce psy- chiatre sont intéressants pour tenter d’expliquer ce type de passage à l’acte et comment ils ont inspiré Jacques Lacan. Jean a 21 ans quand je le rencontre. Il est étudiant et vit chez ses parents. Il est incarcéré pour le meurtre de son ex-petite amie, commis quelques jours auparavant. Meurtre dont il est incapable d’expliquer la raison. De Kim, il dira qu’elle l’aimait mais qu’il ne l’aimait pas. Leur relation a duré quelques mois. C’était fini depuis un mois. Ils avaient décidé de rester amis. Ils avaient eu une relation sexuelle peu de temps après leur rupture, « mais c’était uniquement sexuel ». Ce jour-là, elle doit lui prêter de l’argent pour louer un appartement mais on le lui a volé au travail. Elle demande si elle vient quand même, et il accepte. C’est un dimanche après- 77 Un meurtre immotivé ? Anne Adens Anne Adens, psychologue clinicienne à la maison d’arrêt de Loos-lez-Lille. © Érès | Téléchargé le 19/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.100.162.64) © Érès | Téléchargé le 19/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.100.162.64) midi. Les parents ne sont pas là. Jean et Kim prennent un bain, il lui fait un shampooing, elle met la tête sous l’eau, il l’y maintient pendant cinq à dix minutes. « C’était une pulsion, dira-t-il. Je savais ce que je faisais, mais j’étais ailleurs. Je suis souvent rêveur. Elle ne s’est presque pas débattue. Ça m’a surpris après coup. » Il sort du bain, mange et, « après », il prend peur, veut la cacher. Il met ses affaires dans la poubelle collective et jette le corps de Kim dans la rivière. Un peu plus tard, son frère, Luc, télé- phone : il arrive avec quelques copains pour faire la fête. Ce soir-là, Jean ne se sent pas bien mais personne ne s’en aperçoit. « Au fond de moi, je savais que je ne pourrais pas rester comme ça. J’avais très, très peur de la prison. » Comme il est le dernier à avoir vu la vic- time, la police l’interroge. Il mène les policiers en bateau pendant toute une journée. Ils insis- tent, lui disent qu’il ment, que ça se voit sur son visage. « Ils ne me croyaient pas, dit-il, je ne savais pas le cacher. Le secret était trop lourd. » Il finit donc par avouer et est incarcéré. « Je me mets une barrière pour ne pas y penser. J’aurai tout le temps d’avoir des remords. » Les premiers entretiens sont difficiles. « Je veux bien venir vous parler », dit-il. Mais rien ne vient spontanément. Il est visiblement mal à l’aise mais il répond à mes questions. Il est très déçu si je n’en pose pas, comme si je le laissais tomber. Il tente souvent de banaliser ce qu’il a vécu. « Ma vie est plate, banale ». Il se rend compte qu’il fuit tout ce qui pourrait le définir : « Je repars dans le flou », dit-il. Il s’anime seu- lement à l’évocation de la possibilité de conti- nuer ses études en prison. C’est la seule chose qui le préoccupe à ce moment-là. En revenant plus tard sur les faits, voici ce qu’il m’en dira : « Il m’est déjà arrivé de penser, dit-il, avant de m’endormir, que je pourrais tuer quelqu’un avec un couteau. Mais c’était quelqu’un que je ne connaissais pas. Il était de dos, je ne voyais pas son visage, ce n’était pas précis. C’était dans un parc, la nuit. J’aime la nature. Un coup de couteau dans le dos. L’autre essaie de fuir, non, je ne sais plus. Je suis celui qui tient le cou- teau, mais je suis le spectateur de la scène. » Au moment de l’acte, il n’a pensé à rien, dit-il. « C’est comme quand on met la main sur la plaque du feu. C’est après qu’on se rend compte. J’étais conscient et je ne l’étais pas. Je ne pensais pas, je pensais au vide, je ne pensais pas à l’avenir. Quelque part dans ma tête, je devais savoir que c’était irréversible. Je ne la regardais pas. Je regardais la porte. J’ai l’image de la porte. J’ai eu des plus petits vides avant. Ce n’était pas la même chose. Comme avant de m’endormir. Non, ce n’est pas pareil. Ça ne m’est jamais arrivé. » Après il a eu peur des conséquences pour lui. Il avoue à la police après avoir été bousculé. « Avant, je disais n’importe quoi, j’avais l’air indifférent. Je ne me rendais pas compte de la gravité de ce que j’avais fait. Je n’étais pas triste pour elle. Je l’appréciais, c’est tout. Je me rends compte maintenant des conséquences pour sa famille et pour la mienne. C’est dur de se dire que c’est soi-même la personne qui a fait cela. » Il tient à signaler qu’il n’est pas quelqu’un d’indifférent, qu’il a des amis, qu’il aime sa famille, et qu’il avait de l’amitié pour Kim. Il lui avait dit qu’il ne l’aimait pas. Rien ne pou- vait laisser prévoir l’acte, selon lui. « Je n’avais pas tellement envie de la voir. Même pas telle- ment envie au point de vue charnel. C’était faute d’autre chose. Je n’allais tout de même pas fuir… » « Je n’ai quasiment pas de désir. J’étais étonné d’entendre mes copains parler de ça. Ça m’arrivait de faire l’amour après avoir bu. C’est l’alcool qui me donnait envie. Avec Kim, ça a été sans alcool. Elle faisait le premier pas, je laissais faire. J’avais un peu envie aussi. Elle était gaie, très sociable, gentille, mignonne. Elle parlait beaucoup. C’est ça qui était bien. Elle communiquait facile- Sexe, amour et crime 78 © Érès | Téléchargé le 19/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.100.162.64) © Érès | Téléchargé le 19/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.100.162.64) ment. Il n’y avait pas de blanc. On se voyait peu. On faisait l’amour. J’en ai eu marre. J’ai besoin de solitude. Je ne suis pas très câlin. » Kim avait décidé de récupérer l’argent volé dans le portefeuille de chaque collègue. Jean avait ri et essayé de l’en dissuader, disant que ça lui amènerait des ennuis. Mais elle n’en démordait pas. Il trouvait que c’était une solu- tion étrange de reprendre l’argent. Les parents de Kim étaient extrêmement sévères (un signifiant qui revient souvent). Ils ne la laissaient pas beaucoup sortir. Elle était battue et devait donner tout l’argent qu’elle gagnait. Il revient souvent sur cette différence d’éducation. Mais qu’en est-il de son éducation ? QUELQUES MOTS SUR LA FAMILLE DE JEAN Il décrit sa mère comme quelqu’un de soli- taire, ayant toujours le nez dans les bouquins, pas sévère du tout et soumise – trop soumise – au père. La grand-mère maternelle était sévère, elle faisait sa bourgeoise, et le grand-père était distant. La mère de Jean a été lésée dans l’héritage de ses parents, au grand dam de son mari qui lui reproche de s’être laissée faire. Elle s’est mariée très tôt, alors que le père n’était pas trop d’accord de se marier. Elle a quitté un uploads/Litterature/ sc-009-0077.pdf
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- Publié le Dec 03, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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