François Secret Du « De occulta philosophia » à l'occultisme du XIXe siècle In:
François Secret Du « De occulta philosophia » à l'occultisme du XIXe siècle In: Revue de l'histoire des religions, tome 186 n°1, 1974. pp. 55-81. Résumé Dans le cadre du programme du "Laboratoire des Religions du Livre", de la section des Sciences religieuses de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, nous avons entrepris une recherche de vocabulaire, pour éclairer la naissance au dix-neuvième siècle des deux néologismes : occultisme et ésotérisme, dont H. Corbin a noté encore dernièrement que leur emploi éveille « des réticences, voire de l'irritation chez nombre de gens sérieux ». Nous avons limité cette recherche aux principaux courants d'idées, que l'on trouve recueillis par H. C. Agrippa dans son "De occulta philosophia", et amorcé ainsi l'étude des termes, qui ne sont jamais employés sans quelque méprise : cabale, arcane, secret, sacrement, hiéroglyphe, théosophie, discipline de l'arcane, etc. Citer ce document / Cite this document : Secret François. Du « De occulta philosophia » à l'occultisme du XIXe siècle. In: Revue de l'histoire des religions, tome 186 n°1, 1974. pp. 55-81. doi : 10.3406/rhr.1974.10185 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1974_num_186_1_10185 Du « De occulta philosophia » à l'occultisme du XIXe siècle Dans le cadre du programme du Laboratoire des Religions du Livre, de la seclion des Sciences religieuses de VEcole pra tique des Hautes Etudes, nous avons entrepris une recherche de vocabulaire, pour éclairer la naissance au dix-neuvième siècle des deux néologismes : occultisme et ésolérisme, dont H. Corbin a noté encore dernièrement que leur emploi éveille « des rélicences, voire de l'irritation chez nombre de gens sérieux ». Nous avons limité cette recherche aux principaux courants d'idées, que Von trouve recueillis par IL C. Agrippa dans son De occulta philo sophia, et amorcé ainsi l'élude des termes, qui ne sont jamais employés sans quelque méprise : cabale, arcane, secret, sacre ment, hiéroglyphe, Ihéosophie, discipline de l'arcane, etc. « C'est par un grave abus de langage, lit-on à l'article « Eso- térisme » de {'Encyclopaedia universalis, que les mots « ésoté- risme » et « occultisme » se trouvent si volontiers confondus de nos jours. « Occultisme » est un néologisme forgé au début du xixe siècle par Eliphas Lévi... w1. En fait, ésotérisme est un néologisme aussi, d'ailleurs contemporain de l'autre2, et l'on constate chez les meilleurs auteurs hésitation et flottement dans leur emploi. C'est Paul Vulliaud, qui, assurant dans sa propre revue, Les entretiens idéalistes, la rubrique : Religion- ésotérisme, laissait, à l'occasion, imprimer Religion-occult isme3. E. Dermenghem, dans une étude sur Joseph de Maistre franc-maçon, où il examinait les rapports entre occultisme et christianisme, notait4 : « Le mot « ésotérisme », un peu pédant, 1) Encyclopaedia universalis, art. S. Hutin. 2) СЛ. Robert, Diction., s.v. Esotérisme et occultisme ; cf. infra. 3) Les entretiens idéalistes, XXVIII (1909). 4) J. de Maistre, La franc-maçonnerie, mémoire au duc de Brunswick, Paris, 1925, p. 33 ; cf. ./. de Maislre mystique, Paris, éd. 1946, p. 9 ; P. Vulliaud, J. de Maislre franc-maçon, Paris, 1926 a un chapitre : « J. de Maistre et l'éso- térisme », p. 68. Г)6 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS serait peut-être préférable ; « occultisme » n'est guère du xviiie siècle. « Théosophie » par ailleurs a pris un sens trop précis. » Et A. Viatte, dès la préface de son travail Les sources occultes du romantisme, pouvait écrire : « Dans ce champ immense, mais vierge, de Pésotérisme... w1. Aussi bien n'entendons-nous pas apprécier la valeur d'une distinction déjà proposée au début du siècle par l'abbé Calixte Mélinge2, qui se donna, selon l'expression du Manuel bibli ographique des sciences psychiques et occultes3, le nom mystique d'Alta, et discutée déjà par R. Amadou dans son ouvrage sur l'occultisme, mais constater une mode. Car depuis Dermen- ghem, le mot théosophie a repris emploi selon son etymologie, à la suite sans doute de la publication du Théosophisme de R. Guenon, et à la vague de l'occultisme a succédé celle de l'ésotérisme. Ainsi un volume de D. Saurat sur La littérature et l'occultisme a été redistribué sous le titre de La religion ésotérique de V. Hugo*, et il est arrivé au P. Danielou de citer Les traditions secrètes des apôtres qu'il publia dans Eranos Jahrbuch comme Les traditions ésolériques des apôtres5. Et comme avec ces néologismes c'est la même nuit où tous les chats sont gris, « où s'unifient par l'intérieur toutes les doc trines traditionnelles » et où d'ailleurs6 « la tradition au sens précis du mot est la transmission innée et immanente de principes d'ordre universel » une histoire de ces mots et de leurs corrélats peut y porter quelque lumière. Nous l'esquis- 1) Les sources, éd. 1965, p. 6 (la lre éd. est de 1U27). Depuis, A. Mercier a publié Les sources ésolériques et occultes de la poésie symboliste (1870-1914), Pnris, 1969 (où malheureusement l'emploi de ces deux adjectifs n'est pas expliqué]. 2) Le christianisme césarien, Paris, 1914 ; cf. R. Amadou, L'occultisme, Paris, 1950, p. 18 et 211. '.)) Paris, 1912 (où le mot ésotérisme est employé non sans quelque méprise, ainsi sur le Job de P. Leroux « cet ouvrage, après trente siècles fut arraché à l'ésotérisme et à la doctrine secrète par P. Leroux, qui le dédia à la franc- maronnerie ». 4) Paris, 1948. 5) Dialogue avec Israël, Paris, 1963, p. 60 ; cf. Eranos Jahrbuch, XXXI (196.'}}, repris in Judéo-christianisme et gnose, in Aspects du Judéo-christianisme, Travaux du ('entre d'Etudes..., Strasbourg, Paris, 1965, p. 139 s. 6) C.î. L. Benoist, L'ésotérisme, Paris, 1963, p. 9, 15 (l'auteur tient p. 86 à l'existence « de kabbalistes parmi les Pères Grecs »). DU « DE OCCULTA PHILOSOPHIA » A L OCCULTISME i>/ serons en examinant quelques-uns des courants d'idées que Henri Cornells Agrippa recueillit au début du xvie siècle dans son De occulta philosuphia. Cet ouvrage qui parut après la publication de sa palinodie, le De vanitale scientiarum, brasse ce que l'on a depuis appelé « sciences occultes »x où l'épithète, selon la remarque de Lalande2, se rapporte à la fois au caractère secret de ces recherches et au caractère mystérieux des faits qu'elles ont pour objet, ce sont celles que pourfendra, lors de la naissance du mécanisme, le P. Mersenne : la magie, l'astrologie, l'alchimie et la cabale. Si selon la vieille image des deux livres de la nature et de la Révélation, magie, astrologie et alchimie avaient bien à faire au livre de Nature, la kabbale, que Jean Pic de La Mirandole venait de révéler aux Latins s'appliquait toute au Livre, et c'est l'usage qu'en fit Agrippa, qui en grande partie explique le contresens fait par l'historien de Mersenne. Il écrivait en effet, outrant la pensée de l'ami de Descartes, que « la kabbale est une académie de mots croisés qui se prend pour l'Académie des Sciences »3. Certes un historien de la kabbale chrétienne a pu juger que ce courant d'idées n'était, au mo ment où se constituaient les sciences expérimentales, qu'une voie sans issue4, sa gnose restant accordée à l'ancienne cosmol ogie, il n'en reste pas moins que l'immense intérêt pris à la kabbale allait d'abord à son caractère profondément religieux. Et si Pic de La Mirandole avait allié dans une conclusion qui fit scandale kabbale et magie, si sur ses traces Franciscus Georgius 1) L'expression « sciences occultes » est courante chez B. fie Visrenère ; mais étant donné l'état de la science alors, elle ne choquait pas. Cf. P. Vulliaud, La Kabbale juive, Paris, 1923, I, p. 157 : « Des vérités religieuses ou même scien tifiques ont pu être et ont été soustraites à la connaissance populaire. Ces dogmes n'en demeuraient pas moins des vérités. Ces enseignements scientifiques n'en étaient pas moins des vérités. Comme elles étaient cachées à la foule, on les appelait ésotériques, c'est-à-dire réservées aux initiés. » Pour le sens de ce dernier mot, cf. P. Villiaud, op. cit., II, p. 313 s., qui ridiculise en particulier E. Lévi et son occultisme. 2) Vocabulaire technique et critique de la philosophie, s.v. Occulte. 3) R. Lenoble, Mersenne ou la naissance, du mécanisme, Paris, 1943, p. 102. 4) .1. L. Blau, The Christian interpretation of the C.abbala, New York, 1943 ; cf. S. W. Baron, Л social and religious History of the Jems, New York, 1969, XIII, p. 181, qui reconnaît que Blau est allé trop loin dans son aflirmation. 58 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS Venetus put allier kabbale, astrologie et alchimie, Reuchlin qui: fut la mine où puisa Agrippa, avait dès son De Verbo mirifico montré que toutes recherches occultes étaient condamnées par la kabbale1 qui seule enseignait le seul* Verbe capable de faire des miracles, celui de Jésus en hébreu qui rendait prononçable le Tétragramme ineffable jusqu'à lui. Quoi -qu'il en soit d'ailleurs des rapports de la kabbale et de la magie chez Pic de La Mirandole et chez les différents, auteurs que pilla Agrippa : Reuchlin, Paulus Ricius et Fran- ciscus Georgius, il est incontestable que le caractère ésotérique de la kabbale vint accentuer celui des autres disciplines qui inté ressaient uploads/Litterature/ secret-francois-du-de-occulta-philosophia-a-l-x27-occultisme-du-xixe-siecle-pdf.pdf
Documents similaires










-
46
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 15, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 1.8079MB