SBORNlK PRACI FILOZOFICKÉ FAKULTY BRNENSKÉ UNIVERZITY STUDIA MINORA FACULTATIS

SBORNlK PRACI FILOZOFICKÉ FAKULTY BRNENSKÉ UNIVERZITY STUDIA MINORA FACULTATIS PHILOSOPHICAE UNIVERSITATIS BRUNENSIS D 25/26, 1978/79 J A R O S L A V F R Y C E R S É M A N T I Q U E D E L A T Y P O G R A P H I E D A N S L E R O M A N C O N T E M P O R A I N Depuis le début du X X e siècle, le roman tend à devenir un discours qui remplace souvent l'histoire, mode d'énonciation qui dominait le roman classique du XIX e siècle. 1 Cette tendance générale — qui, bien sûr, n'exclut point d'autres modalités du récit littéraire — a été constatée et analysée par plusieurs historiens et théoriciens du roman moderne. R. M. Albérès et Michel Raimond considèrent à juste titre l'introduction du monologue intérieur qui, selon ce dernier, se définit entre autres «grosso modo par l'emploi de la première personne du singulier», 2 comme l'un des traits caractéristiques de la transformation du genre romanesque au X X e siècle. Cette technique ne peut être séparée d'une autre, non moins typique du roman actuel, celle du point de vue. Le romancier se place dans la pensée d'un personnage dont il découvre la vérité, les idées et les comportements les plus intimes. Au moment où ce personnage devient le narrateur du récit, nous assistons à la naissance d'une modalité moderne de 1 ' «Ich-Er- zâhlung» qui diffère sensiblement du -«roman-confession» cultivé par cer- tains auteurs au XIX e siècle. Cette fois, il ne s'agit plus d'une vie, d'une aventure simplement racontée à partir du point de vue du narrateur qui en est en même temps le héros ou le témoin. Il s'agit d'un récit qui veut découvrir les structures mentales, les rêves ou les désirs de celui qui parle : il s'agit d'un roman-énigme, comme l'appelle R.-M. Albérès et que nous aimerions mieux appeler «roman-recherche», type dont l'œuvre proustien- ne est, dans la littérature française, l'exemple modèle. Tout cela est une tendance bien connue dans l'évolution du roman con- temporain; celui-ci, dans son ensemble, est en ce qui concerne les techni- ques narratives et les modalités du récit beaucoup plus riche et plus varié 1 Nous comprenons «discours»- et «histoire» au sens qu'Emile Benveniste donne à ces termes dans les Problèmes de linguistique générale. Paris, Gallimard 1968, p. 2 3 8 et ss. 2 Métamorphoses du roman, Paris, Albin Michel 1972; La Crise du roman, Paris, Corti 1966, p. 261. 92 J A H O S L A V F R Y C E B que ne l'était son prédécesseur. 3 Nous ne voulons pas essayer d'interpréter cette transformation du point de vue esthétique ou sociologique: ce qui nous intéresse, ce sont certains procédés dont la fonction a changé au cours de l'évolution du roman contemporain. Nous allons analyser des matériaux recueillis dans un certain nombre de romans français publiés entre 1970 et 1975, les exemples tirés des romans antérieurs à cette date ne nous serviront qu'à des buts de comparaison. Toute œuvre littéraire en général est un acte de communication lin- guistique. L'œuvre littéraire est en même temps, et avant tout, une ma- nifestation des émotions et des idées de l'artiste percevant certains faits de la réalité, un reflet esthétiquement transposé de la réalité ou la pro- jection du moi créateur dans un univers imaginaire. Mais elle est aussi un acte de communication linguistique entre l'émetteur-auteur et le ré- cepteur-lecteur ou auditeur. 4 Cette conception de la création littéraire pla- ce le critique devant certains aspects jusqu'ici négligés de l'œuvre qu'il doit analyser et embrasser dans son interprétation complexe du texte qui reste toujours sa tâche suprême. On le sait: tout énoncé linguistique est produit en un lieu et à un moment donnés, c'est-à-dire dans une situation spatio-temporelle qui comprend le locuteur, le récepteur, les actions qu'ils font au moment de la communication de même que divers objets et événements extérieurs. La situation est un des éléments indispensables qui permettent une compré- hension complète et un décodage adéquat de l'énoncé. Au cours de la communication orale, certaines informations sont apportées par la situation et il n'est pas nécessaire de les expliciter par des procédés linguistiques. Or, la littérature comme énoncé écrit est en ce sens un langage hors situation parce que le lecteur n'est jamais physiquement présent à l'acte d'énonciation, que le producteur de cet acte soit le narrateur (dans le cas du récit à la I e personne) ou un personnage (dans le cas du récit à la 3 e personne). Par conséquent, l'écrivain doit recréer par les moyens du langage la situation extra-linguistique qui, dans un message oral, véhicule un certain nombre d'informations. Dans une œuvre littéraire, c'est en principe le rôle des descriptions, des propositions incises, des remarques explicatives, d'une façon générale de tout ce que dit le narrateur. A ce point de vue, le travail de l'écrivain consiste, en une certaine mesure, à compenser le manque de certains éléments de la communication orale. Dans les remarques suivantes, nous voulons attirer l'attention sur un moyen qui permet aux écrivains d'arriver à ce but: les différentes ressources typographiques. Il s'agit des signes de ponctuation et de certains artifices, tels l'emploi des caractères italiques, des caractères gras, des lettres capitales et des blancs qui, dans certains cas, peuvent aussi avoir la fonction de producteurs de sens. 3 Sur 60 romans français contemporains que nous avons analysés, 18 sont écrits à la l é r s personne, le à la l é r e et à la 3 e personne, 24 sont racontés par un narrateur objectif, le narrateur d'un roman s'adresse au lecteur à la 2» personne et dans un roman, l'auteur utilise à la fols les trois personnes du singulier. 4 Nous avons proposé un modèle théorique de la communication dans la littérature dans notre étude «La littérature comme acte de communication"-, Etudes romanes de Brno IX, 1976, pp. 23-35. S É M A N T I Q U E D E L A T Y P O G R A P H I E D A N S L E R O M A N C O N T E M P O R A I N 93 Dans l'antiquité déjà, certains auteurs utilisaient l'écriture comme élément pictural sous forme de vers figurés, rhopaliques, pyramidaux ou, plus tard, sous forme de différentes modalités du calligramme. 5 Mais cet emploi pictural de lettres n'est pas, pour le but du présent article, pertinent comme ne le sont pas non plus différents jeux de mots exprimés par les moyens typographiques auxquels s'adonnent aussi parfois les romanciers de notre temps: ^Relevez sur le grand Livre de comptes les recettes médi- camenteuses" ; »faites-moi connaître l'amour je deviendrai une grande alTRUIstE« (RC, 79, 89); 6 ou de simples jeux typographiques: »Chacun son rôlev Oui, il geint de + en (RL, 187). Nous allons étudier les ressources typographiques exclusivement en tant que procédés servant à recréer la situation, c'est-à-dire étudier leur valeur sémantique en tant que véhicules de certaines informations. Les linguistes ont souvent mentionné le rôle de la typographie dans un domaine de significations qui ne sont pas directement transmissibles par l'écriture: celui de traits suprasegmentaux ou prosodiques. Ce sont les pauses, les accents, la mélodie et l'intonation de la phrase. En général l'écriture rend ces éléments de façon très approximative: »C'est ainsi le cas de la hiérarchie accentuelle, rendue si imparfaitement par l'usage occasionnel des italiques, de l'intonation, dont les traits saillants ne peuvent être que suggérés par notre ponctuation^ 7 Mais ce qui, pour un linguiste, ne constitue qu'un problème théorique parmi tant d'autres, est pour un écrivain un phénomène de haute importance parce que les accents, l'into- nation, le timbre de la voix ou les pauses traduisent les émotions des personnages, une parcelle de ce je ne sais quoi qui est au-delà de la réalité des apparences et qui, tout compte fait, est l'un des aspects essen- tiels de l'art. Nombreux sont les témoignages de l'attention que les romanciers moder- nes prêtent aux phénomènes suprasegmentaux du langage. On pourrait citer des exemples amusants: »Elle roula le mot qualité entre des guille- mets» (QZ, 98); «Vous savez, avant que nous habitions tous la ferme du Franc-Mâchon, il y est demeuré seul près d'un mois, pendant qu'on procé- dait à des travaux dans le corps d'habitation. Elle vient de dire ça en italiques, Angélique» (SA, 163), aussi bien que sérieux: «Je m'aperçois ici que je rendrai fort mal l'ambiance si particulière de cette conversation si je ne note soigneusement les temps de repos, les cassures, ce perpétuel et brusque passage du désinvolte au sérieux et même au grave...» (GT, 142); «Quel charme que ce bavardage! Ecrit, cela ne donne rien, mais je suis tout remué de m'en souvenir et de le reproduire» (DD, 146) — autant de preuves que ces auteurs apportent une grande attention aux traits prosodiques du langage et qu'ils conçoivent vraiment leurs romans uploads/Litterature/ semantique-et-typographie.pdf

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