Objet d’étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours 18
Objet d’étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours 1861(1857) Séquence 1 : Les Fleurs du mal Charles Baudelaire Problématique générale : Comment Baudelaire transforme-t-il la laideur du monde moderne et le spleen intérieur en beauté poétique ? Séance 1 : Atteindre l’Idéal par l’Art Étude du sonnet « Correspondances » (IV) Problématique : En quoi ce sonnet illustre-t-il un Baudelaire moderne, précurseur du symbolisme ? Après avoir désigné, dans « L’Avis au lecteur », l’Ennui comme le plus grand ennemi, Charles Baudelaire tente d’échapper au spleen par l’intermédiaire des hautes sphères spirituelles de l’Idéal. Pour exprimer ce désir d’élévation vers le monde spirituel, il crée une poésie symboliste. En grec, un symbolon est un signe de reconnaissance, une poterie divisée en deux et dont chaque partie concorde parfaitement avec l’autre (c’était un signe de reconnaissance entre des alliés). Le symbolisme part du principe que chaque chose matérielle sur terre est le symbole, la correspondance d’une chose spirituelle. Le sonnet « Correspondances » ajoute à cette relation verticale – entre monde matériel et monde spirituel – une seconde relation. Il s’agit cette fois d’une relation horizontale : chaque chose matérielle, perçue par les sens, évoque, correspond à une autre chose matérielle, sensible. Chaque sens est capable d’en évoquer un autre. On appelle cela les synesthésies. Nous étudierons donc ce sonnet en nous demandant en quoi il est représentatif de la modernité de Baudelaire, précurseur du symbolisme. Pour ce faire, nous étudierons dans une première partie la conception de la Nature donnée par ce poème, puis, nous nous attarderons sur le rôle-clef que joue le poète, intermédiaire entre la Nature et les hommes. I- Une nature hiéroglyphique 1) Les correspondances verticales: le monde matériel est relié au monde spirituel - Le lecteur entre dans ce sonnet comme un voyageur dans un temple: « La Nature est un temple »: la métaphore sacralise la Nature et en fait un temple naturel, où l'homme est en communion avec le divin. -Mais ce temple est vivant et tente de communiquer avec l'homme: « […] où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles »: les « vivants piliers » sont peut-être des arbres, quoi qu'il en soit, la « Nature » émet des sons qui auxquels l'homme reste sourd comme l'indique l'adjectif « confuses ». - La Nature sollicite également la vue des humains: « L'homme y passe à travers des forêts de symboles »: ce que l'être humain voit n'est qu'une incarnation matérielle du monde spirituel. - Mais encore une fois, l'homme reste aveugle à ces symboles, puisqu'il ne les voit pas: ce sont les symboles qui observent l'homme et non l'inverse: « Qui l'observent avec des regards familiers »: l'homme est familier à la Nature, puisque celle-ci « est » (v1) de manière immuable, alors que l'homme « passe » (v2) de manière éphémère. La Nature ne lui est pas du tout familière, il y passe sans la voir. Transition: tandis que le monde visible est relié au monde invisible de manière verticale, tous les éléments du monde visible sont reliés entre eux de manière horizontale: ils se correspondent: c'est cela que le mystique suédois Swedenborg avait nommé les synesthésies 2) La théorie des synesthésies: les correspondances horizontales - Le vers qui formule le plus clairement la théorie des correspondances est le vers 8: « Les parfums, les couleurs et les sons de répondent »: la synesthésie n'est pas, selon Swedenborg, un simple phénomène neurologique qui affecte certaines personnes, elle est une réalité du monde sensible: chaque sensation correspond, dans son essence même, à une autre. - C'est en tout cas ce que semblent indiquer les vers 9 et 10: « Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, / Doux comme les hautbois, verts comme les prairies »: le verbe « être » au présent de vérité générale indique que certains parfums correspondent à une sensation tactile (« frais comme des chairs d'enfants »), à une sensation auditive (« doux comme les hautbois »), et à une sensation visuelle (« verts comme les prairies »). - Ces synesthésies permettent de donner une cohérence à la diversité / à la multiplicité du monde: si chaque sensation est reliée à une autre, c'est que le monde possède une unité cachée, comme l'indique le vers 6: « Dans une ténébreuse et profonde unité »: l'unité du monde est assurée grâce à un équilibre universel, qui se retrouve au vers suivant: « Vaste comme la nuit et comme la clarté »: si l'unité du monde est « profonde », elle est aussi « vaste »: à la profondeur de l'espace correspond donc l'étendue. Et cette étendue est équivalente aussi bien à la « nuit » qu'à la « clarté »: autre manière de dire que la nuit est équivalente à la clarté, qu'elles se correspondent et s'équilibrent entre elles. 3- Le parfum: au croisement de l'horizontal et du vertical -Le sens que Baudelaire développe dans les deux tercets est l'odorat: « Il est des parfums frais […] doux […] verts […] Et d'autre corrompus, riches et triomphants » : il s'agit du sens le plus apte à relier le monde horizontal des synesthésies avec le monde vertical de l'invisible: en effet, en tant que sens, l'odorat fait partie du monde physique, mais il s'agit du sens le plus immatériel, le plus impalpable, et en cela il est le plus apte à faire la liaison entre monde physique et monde immatériel. - « Qui chantent les transports de l'esprit et des sens »: les parfums créent une fusion finale entre le monde spirituel et le monde physique. Par l'intermédiaire du parfum – lui-même un intermédiaire entre le matériel et l'immatériel - l'homme réalise la fusion entre le corps et l'esprit et peut aspirer à l'idéal. Transition: si le monde est hiéroglyphique, il a besoin d'un traducteur pour être compris de l'ensemble des hommes II- Un poète déchiffreur 1) Le poète traducteur - Seuls quelques élus - les poètes - sont capables d'entendre les sons de la Nature. Un poète qui a bu « Le feu clair qui remplit les espaces limpides » et qui comprend « Le langage des fleurs et des choses muettes » (cf. « Élévation ») nous révèle quelles sont les voix de la Nature. Les « confuses paroles » ne sont pas confuses pour le poète qui - lui - les entend. - Il en va de même pour l'unité synesthésique du monde. Le poème nous dit au vers 6 que cette unité est « ténébreuse ». Or, le poète voit clair dans ces ténèbres puisque cette unité « ténébreuse » peut être comparée par lui a de la « clarté ». - Enfin, pour affirmer que les « symboles » observent l'homme « avec des regards familiers », il faut que lui-même voie ces symboles en train de le regarder. 2) Une poésie symboliste - Le poète crée chez le lecteur des images mentales. Dans le premier quatrain, le lecteur est amené à voir un temple prendre vie, des arbres avoir des yeux: voilà le rôle du poète: il dévoile ce que les hommes ne verraient pas sans lui. - Le poète fait également entendre les sons de la Nature au vers 5: « Comme de longs échos // qui de loin se confondent ». De part et d'autre de l'hémistiche, les sons consonantiques se répètent: K D L K // K D L K D, ainsi que les son vocaliques: O ON O // ON ON. L'imperfection de la symétrie fait entendre au lecteur ce que le poème dit: de loin, d'un hémistiche à l'autre, les sons se confondent: le lecteur est donc mis dans la situation de celui qui entend les sons de la nature. 3) L'art du poète est finalement supérieur à la nature -Après avoir comparé des parfums qui évoquent une nature bucolique: les « chairs d'enfants », les vertes « prairies », le son du « hautbois », le poète utilise un tiret au vers 11. Ce tiret indique un changement de registre: le poète laisse de côté ces parfums bucoliques et naturels qui ne l'intéressent pas et qu'il ne nomme pas, pour s'intéresser à quatre parfums qu'il nomme mais que, cette fois, il ne compare pas: « Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens ». -Ce sont des parfums « corrompus » car ils sont artificiels et non pas naturels, tout comme la poésie de Baudelaire est un artifice qui assimile la Nature et la transforme en Art. - Ce sont des parfums « riches » car ils sont capiteux (c'est à dire qu’ils sentent forts) tout comme la poésie de Baudelaire intégrera les odeurs « âcres » du spleen, de la luxure et de la mort, et non plus seulement celles de la poésie bucolique. - Enfin, le dernier vers du poème proclame le triomphe de ces productions humaines: « Qui chantent les transports de l’esprit et des sens » : par tradition, la uploads/Litterature/ sequence-baudelaire.pdf
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- Publié le Oct 29, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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