socius : Ressources sur le littéraire et le social Sociocritique, médiations et

socius : Ressources sur le littéraire et le social Sociocritique, médiations et interdisciplinarité Le GREMLIN Cet article a été composé par les chercheurs qui formaient en 2009 le Gremlin (Groupe de recherche sur les médiations littéraires et les institutions) : Pascal Brissette, Björn-Olav Dozo, Anthony Glinoer, Michel Lacroix et Guillaume Pinson. Le groupe de recherche s’est depuis élargi à d’autres chercheurs. Les difficiles entre-deux1 « Il n’est pas sûr que le terme de sociocritique […] soit lavé de toute ambiguïté » écrivait Claude Duchet en 19753 », ainsi que des théories et méthodes conçues pour un objet (la littérature) à d’autres, élaborées dans des cadres et des perspectives distinctes (la sociologie, l’histoire sociale, la sociolinguistique, etc.), dès lors que l’on cherche à interroger la socialité du texte, à élucider les procédés et enjeux du processus de transformation sémiotique du social opérée par et dans le texte, bref à articuler, dans l’analyse, phénomènes textuels et phénomènes sociaux. Cependant, à moins de résorber entièrement le social dans le texte (ou au mieux dans les discours), pour en faire une pure construction verbale, ou inversement, de tout ramener, en dernière instance, à des considérations sociologiques, il faut tenir ce pari. On pourrait même dire que la sociocritique est tout entière vouée à assumer et éclairer cet inconfort, cet entre-deux, par le biais de la notion de médiation. L’on peut rappeler, à ce sujet, le postulat de Duchet : « S’il n’est rien dans le texte qui ne résulte d’une certaine action de la société […], il n’y est rien, en revanche, qui soit directement déductible de cette action. D’où l’importance décisive des médiations5 ». Dans cette optique, la sociocritique peut être conçue comme l’étude des multiples formes de médiations entre la littérature et l’ordre des discours aussi bien qu’entre le discours social (dont le discours littéraire) et les phénomènes artistiques, sociaux, économiques, politiques, religieux, etc., d’une époque donnée. Il importe donc de saisir conceptuellement l’ensemble de ces médiations, préciser les méthodes aptes à les éclairer et à rendre raison, dans cette optique, du travail sur le social opéré dans différents corpus de textes, qu’ils aient ou non été conçus et reçus comme « littéraires ». Examiner les textes dans le cadre d’une triangulation dynamique avec ces autres pôles que sont les configurations discursives et les configurations socio- 1 / 16 Phoca PDF socius : Ressources sur le littéraire et le social historiques mine en outre l’opposition frontale avec la sociologie de la littérature, permet de construire d’autres rapports, sans pour autant mener à une confusion entre les deux démarches. Il s’agit plutôt d’identifier sur quels plans et sur quel mode peut s’accomplir un nécessaire travail interdisciplinaire, pour lequel d’autres apports sont indispensables que celui de la sociologie de la littérature. L’ambition de la sociocritique, au sein des études littéraires et, plus généralement, des sciences humaines et sociales, pourrait être celle-là : (re)penser et (re)lire plus finement la dynamique des médiations entre le social et ses représentations, dans leur historicité et leur épaisseur textuelle. Interaction et déterminisme Dans cette lecture du travail de l’entre-deux effectué par la sociocritique, nous postulons que la logique sous-tendant les médiations et, plus généralement, les relations entre individus et systèmes, champs ou cadres généraux d’action, peut être qualifiée de déterminisme léger. Nous ne souscrivons donc pas aux conceptions reposant sur un déterminisme lourd, qui tendent à tout ramener, en dernière instance, à des mécanismes surplombant, et plus particulièrement, les travaux sur la littérature qui réduisent ce qui est en jeu dans les textes et discours, à des effets produits par des lois, états de faits, hiérarchies ou hégémonies infrastructurelles ; pas plus que nous n’adoptons celles qui accordent une place exclusive à l’acteur et tendent à faire émerger l’ensemble des structures, mécanismes sociaux des effets de ses actions. Plutôt, nous souscrivons à une perspective de l’autonomie limitée, de la contrainte partielle, mettant en évidence les effets de retour constants entre structures sociales et action individuelle, de même qu’entre les divers plans sur lesquels se déploie ou auxquels se rattache la littérature. Nous entendons ainsi tenir compte tout à la fois des déterminismes et des phénomènes d’illusio (Bourdieu) ou de méconnaissance7. Ce rapport, irréductible à l’un ou l’autre pôle (il n’y a pas « d’individus » sans « société », il n’y a pas de « sujets » sans « objets »), peut constituer le fondement d’une manière féconde de penser la tension de ce qui est à la fois unique ─l’œuvre d’art ─et pourtant inclus dès l’origine du processus de création dans un réseau d’interdépendances. Singularité et socialisation Dans le cas de la littérature, et de toute activité touchant directement à la production et diffusion d’objets sémiotiques, qui n’ont de sens qu’en fonction d’une réception, 2 / 16 Phoca PDF socius : Ressources sur le littéraire et le social d’une interprétation, cette opposition, souvent irréductible, entre les approches systémiques et individualisantes, fait surgir la question cruciale de la singularité8. La difficulté, majeure, ici, est de rendre raison du travail opéré dans et par les textes, des déplacements, permutations, ébranlements et obscurcissements qu’ils introduisent, tout en évitant les divers écueils de la « singularisation », parmi lesquels on peut identifier les procédés suivants : 1) reproduire le régime de singularité et d’originalité, prédominant depuis deux siècles dans les secteurs de production culturelle, qui conduit souvent à ne prêter qu’aux riches (forme légitimée du culte du génie) ; 2) attribuer à la seule littérature ou aux textes socialement institués comme « littéraires », les déplacements significatifs (opacification, mise à jour des contradictions, production de topoï inédits, etc.) dans l’ordre des discours ou du symbolique ; 3) présenter comme un saut qualitatif, un travail majeur sur les discours, ce qui n’est peut-être qu’une variation sans portée historique ou herméneutique forte, une transformation prévisible, voire attendue, du fait du contexte socio-discursif ; 4) substituer au génie de l’auteur le brio du chercheur, qui sait toujours, quel que soit son objet, faire émerger un « bougé », une forme de singularité textuelle ; 5) se baser sur un corpus trop restreint, méthodologiquement, pour permettre des généralisations sur la part de reproduction et de transformation du discours social dans la mise en texte. Pour les éviter, il importe de mettre au cœur de la perspective les interactions constantes entre singularité (comme projet global d’un univers, la littérature, et comme caractéristiques éventuelles d’un texte) et socialisation (i.e. : toute forme de déterminisme extérieur, de reproduction du déjà-là discursif, de manifestation de la dimension sociale du texte), ceci en se mettant à l’étude des instances et des opérations intermédiaires, en analysant les multiples interactions, déplacements, brouillages que les diverses médiations du social au texte (et retour) permettent. Par là, la sociocritique peut jouer un rôle spécifique au sein des travaux en sciences humaines, dans la mesure où elle n’adoptera pas le postulat de la singularité de ses 3 / 16 Phoca PDF socius : Ressources sur le littéraire et le social objets, mais posera au contraire cette singularité comme problème fondamental, qu’elle entend interroger. Il importe pour elle de distinguer entre le caractère herméneutique de sa démarche, qui se donne comme objet premier d’étude cette « unité » relativement autonome qu’est le texte, et la revendication de singularité inhérente à l’art moderne. Nous n’entendons pas, pour autant, revenir au positivisme des larges corpus, des données quantitatives, du cadre bien ficelé, de l’érudition foisonnante. Ni élaborer une grille prescrivant un parcours fléché menant sans peine à la découverte des médiations. Comme le signalait André Belleau, « la pratique critique vise en effet beaucoup plus à poser des problèmes qu’à construire des modèles. Elle opère avec des questionnements pertinents, des concepts adéquats, une bonne reconnaissance de terrain, et beaucoup, beaucoup d’oreille9. » Mais, si le « terrain » change avec chaque recherche, et par conséquent les méthodes appropriées, les questionnements et les concepts, eux, se prêtent à des réflexions plus générales, invitent à redessiner périodiquement la carte de la sociocritique. Médiations Pour savoir ce que le texte fait du social et ce que le social fait au texte, il faut identifier les médiations qui opèrent sur tel ou tel texte, et voir comment elles se retraduisent ou se transposent dans le texte. Or, malgré l’importance de la notion de médiation pour la sociocritique, il n’y a eu que peu de travaux visant à établir ses principales formes, les exceptions étant dues à Edmond Cros et Alain Viala11 » : nous estimons que, sans renier sa spécificité ou l’apport indispensable de ses microlectures, la sociocritique doit opter résolument pour la seconde hypothèse. La sociocritique n’a pas à se concevoir dans une opposition radicale, dans un isolationnisme ignorant plus ou moins les travaux qui cherchent eux aussi, quoique dans d’autres perspectives, à éclairer les médiations entre les textes et le social. Elle devrait au contraire montrer que son apport est indispensable à ces analyses, dans une division du travail critique ouverte à des formes diverses de collaboration. Par ailleurs, sur un plan plus concret, le survol des divers axes de médiation uploads/Litterature/ socius-sociocritique-mediations-et-interdisciplinarite 1 .pdf

  • 32
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager