Histoire de l'éducation Histoire du département de philosophie de Paris VIII. L
Histoire de l'éducation Histoire du département de philosophie de Paris VIII. Le destin d’une institution d’avant-garde Monsieur Charles Soulié Citer ce document / Cite this document : Soulié Charles. Histoire du département de philosophie de Paris VIII. Le destin d’une institution d’avant-garde. In: Histoire de l'éducation, n° 77, 1998. pp. 47-69. doi : 10.3406/hedu.1998.2941 http://www.persee.fr/doc/hedu_0221-6280_1998_num_77_1_2941 Document généré le 16/10/2015 Le destin d'une institution d'avant-garde : HISTOIRE DU DÉPARTEMENT DE PHILOSOPHIE DE PARIS VIII par Charles SOULIE L'histoire du département de philosophie de l'université de Paris VIII Vincennes-Saint-Denis et, de façon plus générale, celle de l'université de Vincennes, offre l'occasion d'étudier le destin des institutions d'avant-garde et la place qu'elles occupent dans le champ universitaire français. Sans retracer le détail des circonstances ayant présidé à la naissance de cet établissement (1), on retiendra que le pôle le plus académique de l'université (la Sorbonne) s'opposa vivement à sa création. En réponse aux critiques faites en mai 1968 à l'université traditionnelle, l'université de Vincennes avait à la fois l'ambition de mettre sur pied une nouvelle forme de pédagogie, d'enseigner de nouveaux contenus, de développer la pluridisciplina- rité et l'ouverture sur le monde, de favoriser l'intervention des usagers et, enfin, de s'ouvrir aux salariés comme aux non-bacheliers (2). (1) Sur ce point : Rémy Faucherre : Atypie-utopie : Vincennes, naissance d'une université, mai 1968-janvier 1969, maîtrise d'histoire, Paris VII, 1992 et pour un cadrage historique plus général, Jean-Claude Passeron : « 1950-1980, L'université mise à la question : changement de décor ou changement de cap ? » in Histoire des universités françaises, ouvrage collectif publié sous la direction de Jacques Verger, Privât, 1986, et Pierre Bourdieu : Homo Academicus, Minuit, 1984. Le faible nombre de travaux universitaires portant sur l'histoire des universités françaises est révélateur de la position dominée de ces établissements dans l'enseignement supéneur français et il « contraste avec la surabondance bibliographique qui caractérise les universités germaniques et anglo-saxonnes ou les grandes écoles françaises. On ne dispose par exemple d'aucun ouvrage d'ensemble sur l'histoire de l'Université de Paris depuis les publications de la Troisième République, alors que les principales universités étrangères reprennent leur histoire régulièrement. » (Christophe Charle : La République des universitaires, Seuil, 1994, p. 10, note 2). (2) Il est possible de rapprocher la naissance de Vincennes de celle de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales. Brigitte Mazon, dans le livre qu'elle lui consacre (Aux origines de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1988, éd. du Cerf), souligne à de nombreuses reprises le conservatisme de l'université française, qui Histoire de l'éducation - n° 77, janvier 1998 Service d'histoire de l'éducation I.N.R.P. - 29, rue d'Ulm - 75005 Paris 48 Charles SOULIE Construit avec une rapidité exceptionnelle par la volonté d'Edgar Faure, alors ministre de l'Éducation nationale du Général de Gaulle, le Centre universitaire expérimental de Vincennes (C.U.E.V) ouvre ses portes le 13 janvier 1969. D'une capacité théorique de 7500 places, il rencontre la première année certaines difficultés pour trouver des étudiants, mais connaît ensuite une forte progression de ses effectifs qui culmineront à 32969 en 1978-1979. Un des points qui heurteront le plus vivement le pôle académique est la manière dont les enseignants de Vincennes seront recrutés. Habituellement, dans les universités, le recrutement s'effectue par cooptation, les anciens cooptant les nouveaux. Cela était impossible dans le cas de Vincennes et certains firent pression pour que ce soient les enseignants de la Sorbonne qui, comme dans le cas de Nanterre, créée en 1964, cooptent les futurs enseignants de Vincennes. L'équipe de départ (1) refusa, et il fut décidé de mettre en place une Commission d'orientation dont la tâche était de désigner le noyau cooptant, c'est-à-dire la première équipe d'enseignants à qui il reviendrait ensuite de coopter l'ensemble des enseignants de Vincennes. Raymond Las Vergnas, qui fut chargé de la fondation de cette université, évoque ainsi les opérations de recrutement (2) : « Il me fallait constituer un corps de professeurs ex abrupto en passant outre aux filières académiques rituelles. [...] La hardiesse de la procédure, qui par certains fut jugée sacrilège, n'alla pas sans provoquer des remous. » L'hostilité d'une fraction du monde académique au mode de désignation du noyau cooptant empêchera qu'aboutisse un second projet visant à créer un autre centre expérimental, où linguistes et scientifiques auraient travaillé en étroite collaboration. À Vincennes, l'enjeu était de taille, attendu qu'il s'agissait de recruter 20 professeurs (dont un en philosophie), 50 maîtres de conférences (2 en philosophie), 65 maîtres-assistants (deux en philosophie) retarda longtemps son avènement. L'auteur précise notamment que sans le financement extérieur de la fondation Ford, la Maison des Sciences de l'Homme n'aurait sans doute jamais vu le jour. (1) Qui était constituée de Raymond Las Vergnas (doyen de la Sorbonne et ancien directeur de l'Institut d'anglais), et d'un groupe d'assistants et de maîtres-assistants en anglais qui deviendra le noyau fondateur de Vincennes (Hélène Cixous, Pierre Dommergues, Bernard Cassen auxquels s'adjoindront Sylvère Monod et Jean Gatte- gno). À ce groupe, il faut ajouter Jean-Baptiste Duroselle, professeur d'histoire de la diplomatie, normalien et vice-doyen de la Sorbonne, qui n'avait guère d'affinités idéologiques avec ce projet et qui se retira d'ailleurs assez vite de l'affaire. (2) In Vincennes ou le désir d'apprendre, ouvrage collectif publié sous la direction de Jacqueline Brunet, Bernard Cassen, François Châtelet, Pierre Merlin et Madeleine Rebérioux, Éditions Alain Moreau, 1979, p. 38. Le département de philosophie de Paris VIII 49 et 80 assistants (3 en philosophie) soit 215 enseignants au total. D'après R. Faucherre (1), les membres de cette Commission furent choisis en fonction de deux critères : que le ministère leur fasse confiance et qu'ils soient prêts à accepter la nomination d'enseignants de « gauche », qu'ils soient « libéraux », « gauchistes » ou « communistes ». Cette Commission, dont les membres ne pouvaient postuler à Vincennes, comprenait 24 membres. Chez les philosophes, on trouvait Georges Canguilhem et Vladimir Jankélévitch (tous deux professeurs à la Sorbonne), ainsi que Jacques Derrida (maître-assistant à l'École normale supérieure). Il semble aussi que Hélène Cixous, Bernard Cassen et Pierre Dommergues aient joué un grand rôle dans la constitution du noyau cooptant. H. Cixous notamment, dont le capital social était manifestement très important, s'est beaucoup occupée du recrutement des départements de sociologie, littérature française, philosophie, mathématiques, et a reçu individuellement tous les cooptants. Elle contactera aussi plusieurs intellectuels, dont certains étaient de ses amis, et qui la conseilleront pour les recrutements (Jacques Lacan, Jacques Derrida, Carlos Fuentes, Octavio Paz, Roland Barthes, Gilles Deleuze...). Hélène Cixous (2) proposera aussi à des enseignants comme J.-C. Passeron en sociologie, Michel Deguy et Tzvetan Todorov en littérature française, de venir à Vincennes. De son côté, P. Dommergues contactera Michel Foucault, Gérard Miller, Jacques Julliard, etc. Jean-Luc Godard posera sa candidature au département de cinéma, mais celle-ci n'ayant pas été jugée sérieuse par le ministère, Marie-Claire Ropars lui sera préférée. P. Dommergues souhaitait embaucher « des étudiants en fin d'études, des jeunes, des vedettes, par opposition aux enseignants classiques ». Les critères guidant ses choix étaient les suivants : « innovation dans la pensée ou la pédagogie ; une certaine conception de mai 68 "Les enseignants qui n'auraient pas pu être sur les barricades, n'étaient pas pris; les meilleurs de l'esprit de mai"; le respect d'un certain équilibre politique entre les enseignants communistes et les enseignants du SNESup » (3). Toujours selon R. Faucherre (4) : « Il est clair que toute cette période est vécue par les premiers acteurs dans l'improvisation la plus totale; les contacts individuels, les relations d'amitié, (1) Op. cit., p. 57 et suivantes. (2) Fait remarquable, cette enseignante (fille de médecin et de sage-femme) n'avait à l'époque que 31 ans et avait été nommée en 1967 par R. Las Vergnas à Nan- terre sur un poste de professeur, alors qu'elle n'avait pas soutenu sa thèse. (3) R. Faucherre, op. cit., p. 59. (4) Op. cit., p. 58. 50 Charles SOULIE les hasards des rencontres, les discussions aux terrasses de café jouent un rôle essentiel pour le recrutement d'une équipe dont les fondateurs veulent assurer une cohérence dans la diversité; il n'est alors pas étonnant que les documents soient rares et les souvenirs flous. » Ces procédures étaient fort éloignées des normes habituelles de recrutement des enseignants du supérieur et J.-B. Duroselle, comme Gérald Antoine (membre du cabinet d'E. Faure), manifesteront leur désaccord. De même, on peut penser que « les relations d'amitié », tout comme les « hasards des rencontres » étaient politiquement et, plus encore académiquement et socialement, déterminés. Une marginalisation rapide Michel Foucault présida à la naissance du département de philosophie de Vincennes. Avant de s'y intéresser, il avait pensé accéder, avec l'appui de Georges Canguilhem et de Raymond Aron, à une chaire de philosophie à la Sorbonne. Mais ces appuis s'avérèrent insuffisants et la candidature de M. Foucault à la chaire de philosophie de Vincennes fut notamment appuyée par G. Canguilhem. Ce dernier connaissait bien M. Foucault car il avait été en 1961 le rapporteur de sa thèse principale : Folie et déraison. Histoire de la uploads/Litterature/ soulie-histoire-departement-philosophie-paris-8.pdf
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- Publié le Dec 29, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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