Sous le soleil de Satan (1926)1 GEORGES BERNANOS (1888-1948) Le combat de l’esp
Sous le soleil de Satan (1926)1 GEORGES BERNANOS (1888-1948) Le combat de l’esprit d’enfance Une étude de Jean-Luc. | pdf. C’est le roman par lequel Bernanos s’est fait connaître du grand public. Écrit à près de quarante ans, c’est aussi le roman qui le décide à vivre de sa plume. Dans la fiche d’auteur déposée chez Plon, pour définir le but poursuivi dans son roman, Bernanos avait répondu par une phrase de Léon Bloy : « Une complainte horrible du péché, sans amertume ni solennité, mais grave, mais orthodoxe et d’une inapaisable véracité. » 1. Signification possible du titre 2. Un récit éclaté en trois parties… 3. mais à la subtile unité 4. De la toute-puissance du Mal au combat de l’esprit d’enfance Notes 1. Signification possible du titre Le titre de l’ouvrage ne peut manquer de surprendre. Il présente un caractère antithétique, voire ironique, marqué. En effet, dans la tradition biblique, Satan appartient au domaine de l’ombre. En revanche le Christ est la lumière du monde, le prophète Malachie l’appelle en outre « soleil de justice ». Pourquoi donc Bernanos attribue-t-il l’emblème de la vérité au maître d’iniquité ? Bernanos qui possédait une profonde intuition de la foi et une bonne connaissance des Écritures ne peut, en l’occurrence être soupçonné d’hérésie. Il faut rechercher des pistes possibles pour ce titre provocant destiné à réveiller la tiédeur des croyants. N’oublions pas que, dans la lignée de Léon Bloy et d’Édouard Drumont, Bernanos s’est toujours montré un polémiste redoutable. Ce soleil doit d’abord signifier un monde qui est apparemment livré au mal. En ce sens, Bernanos rejoint peut-être une autre symbolique, celle d’Isaïe 60:19 : « Désormais ce n’est plus le soleil qui sera pour toi la lumière du jour, ce n’est plus la lune, avec sa clarté, qui sera pour toi la lumière de la nuit. C’est le Seigneur qui sera pour toi la lumière de toujours ». En d’autres termes, la vérité de Dieu n’a plus d’équivalence dans le monde créé depuis qu’elle s’est révélée dans les Écritures, ce qui rend impropre le symbolisme de la création entaché de paganisme. Choisir comme titre « le soleil de Satan », c’est affirmer que la lumière divine s’est faite discrète au point de ne continuer à luire que dans le for intérieur de certaines consciences. La Vérité ne s’impose plus au contraire de l’Erreur qui brille de mille feux séducteurs. Une autre explication peut être trouvée dans l’infinie patience de Dieu qui laisse du temps aux hommes pour parfaire leur vie « car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. » Matthieu 5:45. Dans cette hypothèse, Satan aurait profité de l’apparente absence de Dieu pour asseoir temporairement son règne sur le monde. Ce soleil manifesterait ainsi le « mystère d’iniquité » auquel fait allusion la IIe lettre de Paul aux Thessaloniciens, et qui est un thème parcourant toute l’Apocalypse : Il faut que le mal épuise toute sa capacité de nuisance avant d’être vaincu. Cette toute-puissance démoniaque est en effet scandaleuse si bien que certaines bonnes âmes ont pu accuser Bernanos de manichéisme. Une lecture attentive du roman démontre le contraire : l’orthodoxie de Bernanos sait bien que Satan est déjà vaincu dans l’éternité. Mais il lui faut au même moment témoigner de la présence mystérieuse et universelle du péché originel en tous, cette secrète inclination au mal et cette connivence naturelle avec lui. Une autre tentative d’explication nous conduit vers les signes apocalyptiques de la fin des temps : « Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang à l’avènement du jour du Seigneur, grandiose et redoutable. » Joël 2:31 (3-4) Ces versets sont repris mot pour mot dans les Actes des apôtres en 2:20. Quant à l’Apocalypse, en 6:12, elle révèle les mêmes signes à l’ouverture du sixième sceau : « il se fit un violent tremblement de terre. Le soleil devint noir comme une étoffe de crin, et la lune entière comme du sang. » Bernanos peut avoir voulu nous faire comprendre que notre monde approchait de son jugement dans ce rayonnement insolite et provocateur de Lucifer dont l’étymologie signifie porteur de lumière. Ce dernier point nous amène à considérer un autre sens probable : le soleil de Satan ne serait rien d’autre que la lumière aveuglante de l’erreur. Le monde de Satan est fondamentalement celui de l’illusion, des promesses fallacieuses2. À la suite de Baudelaire, Bernanos sait bien que « La plus grande ruse du démon, c’est de nous faire croire qu’il n’existe pas ». Bernanos s’est toujours inquiété de l’aveuglement de ses contemporains qui, au nom du matérialisme ou tout simplement de l’indifférence, ne voient plus le mal ou se laissent glisser vers les facilités irresponsables. Lui, qui a combattu dans le 1er conflit mondial, a fait l’expérience bouleversante du péché, de cette lutte surnaturelle entre le Christ et l’Ennemi du genre humain. Plus tard, en lecteur averti de Sainte Thérèse de Lisieux, il a vécu douloureusement le combat effroyable entre les puissances infernales et le divin maître dans le secret de son âme. Il y a découvert que l’enfer guettait les « âmes femelles », celles qui refusent le combat spirituel et s’enfoncent dans une inconsciente mollesse. « J’ai juré de vous émouvoir, d’amitié ou de colère, qu’importe ! », s’exclamera-t-il dans la Grande Peur des bien-pensants. Le soleil serait donc un cri d’effroi, de révolte et d’alerte pour réveiller les âmes assoupies, car, à la suite de Sainte Thérèse, Bernanos a toujours voulu être un missionnaire, un romancier qui utilise le récit comme témoignage des exigences de la foi. C’est sans doute dans cette expérience mystique du combat surnaturel que s’est enracinée cette peur si caractéristique des grands personnages bernanosiens. D’ailleurs, dans le premier chapitre du « Saint de Lumbres », Bernanos nous donne sa propre orientation : « Et ce n’est pas non plus cette image, ni aucune autre, qui troublera les sens du vieux solitaire, mais, dans son cœur candide et têtu, l’autre concupiscence s’éveille, ce délire de la connaissance qui perdit la mère des hommes, droite et pensive, au seuil du Bien et du Mal. Connaître pour détruire, et renouveler dans la destruction sa connaissance et son désir – ô soleil de Satan ! – désir du néant recherché pour lui-même, abominable effusion du cœur ! » Le péché originel prend sa source dans le dévoiement de la connaissance3, dans la connaissance pour la connaissance, dans la connaissance sans charité. Ce désir de connaître qui a perdu sa finalité, celle de la rencontre de la créature avec son créateur, s’est désincarné, est devenu irresponsable en se muant en une simple curiosité qui n’engage plus la personne. Le soleil de Satan est une illusion de la connaissance qui s’arrête aux apparences, rêve de pouvoir et ne va plus au cœur. Cette connaissance est devenue pur divertissement et non plus don de soi. Voilà la puissante intuition bernanosienne qui se renforce des allitérations sifflantes du titre pour renvoyer sans doute au mythique serpent tentateur des origines ! 2. Un récit éclaté en trois parties… Le roman commence par un prologue intitulé « Histoire de Mouchette ». Il se poursuit par une première partie, « La tentation du désespoir », pour s’achever sur une seconde partie, « Le saint de Lumbres ». a) Histoire de Mouchette Ce prologue débute par un incipit saisissant qui semble étranger au récit qui va suivre. Il présente plus l’allure d’une dédicace que d’une introduction : « Voici l’heure du soir qu’aima P.-J. Toulet. […] Voici l’heure du poète qui distillait la vie dans son cœur, pour en extraire l’essence secrète, embaumée, empoisonnée. » Cette évocation éthérée d’un soir de solitude contraste de manière abrupte avec l’histoire de Mouchette : en effet, nulle poésie dans le récit quasi naturaliste qui s’annonce. Le « Soleil de Satan » commence par une heure crépusculaire envoûtante, mais déjà « empoisonnée ». Comme dans Hamlet, « il y a quelque chose de pourri », de vénéneux, derrière les apparences ordinaires et bourgeoises de cet Artois bernanosien. Mouchette va être le révélateur du mal médiocre qui habite le cœur de cette société conformiste. Si le lecteur conditionné par le titre attendait les premières manifestations sataniques, il n’aura droit qu’à la désespérante histoire de Germaine Malhorty en révolte contre son milieu étouffant. L’histoire se déroule dans le Boulonnais, dans le bourg de Terninques, au village de Campagne, tous lieux inventés par le romancier dans cette terre du Nord qui accueillit son enfance. Elle a lieu dans les débuts de la IIIe République. En effet plusieurs indices comme l’évocation de Raspail, Blanqui, le statut de député de Gallet nous orientent vers les années 1880. Bernanos commence, comme dans une scène d’exposition au théâtre, par nous présenter d’un ton sarcastique les trois personnages principaux, les trois hommes qui vont faire le malheur de Mouchette : D’abord, le père Malorthy, meunier devenu brasseur. Cet uploads/Litterature/ sous-le-soleil-de-satan.pdf
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- Publié le Jul 22, 2022
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