Socio-anthropologie 31 | 2015 Mortels Souviens-toi que tu vas mourir : Walking
Socio-anthropologie 31 | 2015 Mortels Souviens-toi que tu vas mourir : Walking Dead ou comment vivre avec la mort Eric Villagordo Édition électronique URL : http://socio- anthropologie.revues.org/2139 ISSN : 1773-018X Éditeur Publications de la Sorbonne Édition imprimée Date de publication : 10 septembre 2015 Pagination : 61-72 ISBN : 978-2-85944-913-1 ISSN : 1276-8707 Référence électronique Eric Villagordo, « Souviens-toi que tu vas mourir : Walking Dead ou comment vivre avec la mort », Socio- anthropologie [En ligne], 31 | 2015, mis en ligne le 10 septembre 2016, consulté le 03 janvier 2017. URL : http://socio-anthropologie.revues.org/2139 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. © Tous droits réservés 61 Souviens-toi que tu vas mourir : Walking Dead ou comment vivre avec la mort eric villagordo Résumé Ce texte propose l’analyse de la série graphique Walking Dead au regard de son rapport à la mort. Il s’agit à la fois de comprendre le genre zom- biesque dans lequel elle s’inscrit et l’originalité qui constitue le succès de ce comics. Une attention est portée au style graphique et aux figures plastiques qui ponctuent la narration : tel le spectacle des cadavres, les cartes postales zombiesques, le paysage des morts-vivants et les scènes d’effroi. Une philosophie émerge de ce roman graphique au long cours, à travers les choix fictionnels du scénariste Robert Kirkman. Celle d’un memento mori ancré dans la perte régulière des héros redevenus mortels, impuissants, lâches et sadiques. Comment garder une éthique lorsque les morts envahissent tout l’espace vital ? Mots-clés : comics, bande dessinée, zombies, apocalypse, politique, représentation de la mort, esthétique du cadavre, relations sociales en temps de guerre, Romero Abstract This text offers an analysis of the graphic series Walking Dead in terms of its relationship with death. The aim is to understand the zombie genre of which it is part and the originality that has made these comics a success. Particular attention is paid to the graphic style and artistic forms that punctuate the narration, such as the spectacle of corpses, zombie postcards, the landscape of the living dead and scenes of terror. Through the fictional choices of scriptwriter Robert Kirkma, a philo- sophy emerges from this expansive graphic novel—that of a memento mori anchored in the regular loss of heroes who have reverted to being mortal, impotent, cowardly and sadistic. How can ethics be maintained when the dead invade all living space? Keywords: Comics, Zombies, Apocalypse, Politics, Representation of Death, Aesthetic of the Corpse, Social Relations in Time of War 62 eric villagordo Comment vivre avec la mort… de son vivant, autrement dit comment vivre avec les morts, dans son souvenir et celui des autres, puisque nous naissons et vivons sur le territoire de ceux qui nous ont pré- cédés ? Les anthropologues ont transmis la richesse des réponses données à cette interrogation par toutes formes d’humanité et de traditions. Mais le problème est plus compliqué lorsque les morts reviennent parmi nous. La fiction contemporaine, succédant aux contes, légendes, récits, peintures, rites, incantations, prend en charge cette question complexe de la confrontation avec nos morts et, par-là, avec notre propre futur. Comment vivre et réagir face à un cadavre qui est une anticipation possible de notre propre cadavre ? Je me propose d’analyser l’imaginaire à l’œuvre dans la bande des- sinée Walking dead, série américaine qui débuta en 2005, scénarisée par Robert Kirkman (scénariste états-unien né en 1978) et dessinée par Tony Moore (dessinateur états-unien né en 1978) puis par Charlie Adlard (dessinateur anglais né en 1966) dès la deuxième année. Ce comics, doublé d’une série télévisée au succès mondial depuis octobre 2010, appartient au genre post-apocalyptique zombiesque et s’inscrit à ce titre dans la tradition de la trilogie cinématographique de George Andrew Romero 1 dont Kirkman dit ouvertement s’inspi- rer 2. Cependant, le scénariste est aussi l’héritier, comme tout ama- teur des univers de zombies, d’une histoire plus ancienne qui s’ancre anthropologiquement dans les religions antiques et dans les sociétés esclavagistes des Caraïbes. L’inscription dans un genre : l’apocalypse zombie Lorsqu’on le découvre pour la première fois, le succès de Walking Dead peut surprendre. En effet, le respect des codes de l’apocalypse zombie, genre codifié et diffusé au cinéma depuis 1967, avec le célèbre film La nuit des morts-vivants de Romero, y est presque révérencieux. Robert Kirkman en effet, réintroduit les conventions du genre ciné- matographique zombie avec une sorte de respect absolu des codes. Ceci explique le fait que le succès ne fut pas au rendez-vous la pre- mière année, d’où le départ de Tony Moore. Il est fort possible que les lecteurs n’aient pas tout de suite su apprécier un comics sans superhé- ros, post-apocalyptique, situé hors de notre monde contemporain et à l’écart des conventions des comics. Kirkman se réfère explicitement 1 La nuit des morts vivants en 1968, Zombies/Damns of the Dead en 1978 et Le jour des morts-vivants en 1985. À partir de 2005, G. Romero tournera encore trois films sur les zombies qui ont pu influencer Robert Kirkman pendant l’écriture de Walking Dead. 2 Robert Kirkman confesse au journaliste Fabrice Sapolsky lui faisant remarquer que Walking Dead « c’est le genre d’histoire de zombies qu’on a vu mille fois dans des films ou des comics » : « C’est juste par désir de recréer l’ambiance des films de zombies que j’aime, et de prolonger le film… », dans Sapolsky F., Kirkman R. (2007). 63 souviens-toi que tu vas mourir : walking dead dossier à des récits, des scènes, des situations de films de zombies : le héros principal de Walking Dead, le désormais célèbre Rick, se réveille d’un coma et découvre seul dans un hôpital l’apocalypse zombie (épisode 1, 2004), exactement comme le héros du film de Danny Boyd, 28 jours plus tard (2003, Twentieth Century Fox). De même, Kirkman introduira le personnage de Michonne, une femme noire maniant avec dextérité le sabre, comme dans ce film de Boyd. La figure de la grille derrière laquelle des zombies agglutinés contemplent les vivants, tels les immigrés de la frontière mexicaine contemplant les États-Unis, ou ceux de Ceuta aux portes de l’Europe, apparaît dans de nombreux épisodes de Walking Dead. Les scènes se passent dans une immense maison d’arrêt, référence explicite au camp retranché militaire où se déroule le troisième film de zombie de Romero, Le jour des morts-vivants (1985). Kirman inscrit donc fidèlement ses comics dans la tradition cinématographique du genre zombiesque. Il déclare vouloir continuer le film, en prolonger l’histoire, savoir ce que deviennent les personnages. L’emprunt apparaît également dans le choix du noir et blanc à l’esthétique du cinéma expressionniste allemand dont La nuit des morts vivants porte l’empreinte. Résumons l’argument narratif : les morts se relèvent, envahissent le monde, refusent de vraiment mourir et se nourrissent des vivants ; toute personne mordue est contaminée et devient zombie à son tour. Ni les scientifiques, ni la religion, ni le gouvernement n’y peuvent rien : la question est celle de la survie d’un groupe face au cataclysme, à la peur et à des multitudes de morts qui marchent. Le genre revi- site en cela celui du western où l’on suit également les aventures de groupes attaqués ou obligés de fuir devant les Indiens. On en retrouve les forts assiégés et les batailles. Dans la troisième année de la série, Rick demande : « Le fort a tenu bon durant mon absence ? ». Il doit d’ailleurs dans le premier épisode, troquer sa voiture contre un che- val, et son chapeau de policier pour celui d’un shérif. Jean-Baptiste Thoret rapproche à juste titre les scénarios de Romero et le genre zombiesque en général de l’aventure de survie 3 à la Robinson Crusoé. Selon lui, le premier film de zombie de Romero s’inspirerait égale- ment des Oiseaux d’Alfred Hitchcock (1963), avec notamment la reprise de la séquence de la maison attaquée par une nuée d’oiseaux transformés chez Kirkman en une horde de zombies… Alors que Spawn (comics créé par Todd McFarlane en 1992) renou- velle les codes du genre et met à distance la mort et la dramaturgie centrée sur le héros en jouant sur le registre du grotesque, l’origi- nalité de Kirkman se situe ailleurs : il crée l’un des premiers comics philosophiques sur la mort. Ses comics se distinguent par leur durée, 3 Dans Thoret J.-B. (dir.) (2007), Politique des zombies. L’Amérique selon Georges A. Romero, Paris, Ellipses, p. 12. 64 eric villagordo comparable à celle des mangas, et par leur qualité narrative. Kirkman dit vouloir poursuivre la série aussi longtemps que possible et faire évoluer les personnages sur le temps d’une vie, pour ne pas les aban- donner à la fin d’un film, dans un monde dévasté : C’est comme si vous voyiez un film de zombies, que vous l’aimiez, et que vous vouliez savoir ce qu’il va se passer ensuite. Souvent, vous ne le savez jamais. Walking Dead est venu de cette envie-là de connaître la suite. Enfin dans les films où les humains survivent à la fin ! Mais justement, dans les films de zombies, vous vous uploads/Litterature/ souviens-toi-que-tu-vas-mourir-walking-dead-ou-com.pdf
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- Publié le Jul 27, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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