1 Questions de racine Sur la nécessité d’une nouvelle édition de la Philosophie
1 Questions de racine Sur la nécessité d’une nouvelle édition de la Philosophie de la liberté en 1918 Karl-Julius Reubke Rudolf Steiner commence la préface de la réédition de la Philosophie de la liberté avec une phrase qui s’imprègne facilement dans la mémoire : « Ce sont deux questions racines concernant la vie de l’âme humaine d’après lesquelles est ordonné tout ce qui va être discuté dans cet ouvrage.»1 Cette phrase d’ouverture se retient facilement et est en même temps quelque peu récalcitrante à la lecture. J’aime avant tout en elle le terme « questions racines ». Cette expression utilisée seulement ici par Rudolf Steiner — lequel sinon ne craignait pas les répétitions — a en soi d’en appeler à des images et des représentations, induit à des associations et peut stimuler de profondes pensées — on pourrait aussi dire : méditations. Si l’on a besoin d’une occasion pour s’occuper de ce mot composé, alors on peut se mélanger, sans se faire remarquer, aux célébrants de ces grands et petits jubilées, car l’an prochain on célèbrera en effet le centenaire de cette préface. Par la chronique de Christoph Lindenberg, nous savons2 que Steiner, en ce début d’année 1918, se mit à remanier l’ouvrage. Si nous faisons souvenance au retour de cette préface, qu’il rédigeait voici juste cent ans, alors l’année 1917, de la guerre mondiale se trouve à sa place sur l’avant-scène, mais les acteurs de l’année suivante se trouvent déjà dans la ruelle pour entrée en scène, alors que ceux de l’année précédente ont à peine fini de dire leur texte. L’œuvre philosophique la plus importante de Rudolf Steiner fut bientôt épuisée peu après sa parution. L’auteur lui-même n’avait pas besoin d’en avoir des souvenirs particuliers, car les idées qui y étaient exprimées, étaient solidement ancrées dans sa conscience, comme on peut le remarquer aux nombreux renvois dans ses conférences. L’idée me vint d’une hésitation du souvenir, au moment où, pour ma part, je voulus récemment la citer en anglais et me mis en quête d’une traduction appropriée de Philosophy of Freedom, « comme la seule et unique autorisée par l’auteur », celle du couple Hoernlé, qui me tomba sous les yeux.3 La question de Harry Collison — qui provoqua et édita cette traduction en 1916 — avait-elle incité chez Steiner le désir d’une édition élargie ? (Le titre de Philosophy of spiritual activity, Steiner le proposa seulement pour la traduction de la nouvelle édition.4). Lorsque dans une conférence devant les membres, Rudolf Steiner en vint à parler, à l’occasion de la réédition de Philosophie de la liberté, il expliqua en rétrospective que la « nécessité s’avéra pour lui « personnellement, à un certain moment, de ressaisir les impulsions du présent dans les exposés que j’ai donnés dans ma Philosophie de la liberté. »5. Ceci se réfère certes à l’impulsion primordiale d’écrire ce livre, mais se laisse foncièrement transposer. Qu’y avait-il donc dans ce terrain-là dans lequel s’enracina donc ce remaniement de la nouvelle édition ? Clarté dans le tumulte du combat Un enracinement largement ramifié et non pas directement sur le réseau des causes superficielles des événements bruyants du temps, qui en appellent aujourd’hui aux célébrations du souvenir, fut préparé par Rudolf Steiner — de la fin 1916 et pendant toute l’année 1917 — devant le petit nombre de membres multinationaux qui persistait à Dornach. Cette série de conférences prend une situation particulière, voire même peut-être une place d’honneur, dans l’édition complète de son œuvre, au point que la Rudolf Steiner Verlag s’est laissée stimuler par une réédition largement annotée en trois volumes.6 Plus d’une, des questions commentées dans cette série des 24 considérations d’histoire contemporaine, resurgissent pendant l’année 1917 dans les conférences ultérieures. 1 Rudolf Steiner : La philosophie de la liberté (GA 4), Dornach 1995, p.7. [Le lecteur sera surpris, peut-être, de constater une traduction française différente de ce terme, parue chez EAR, nonobstant également dûment autorisée par la Rudolf Steiner Nachlassverwaltung Dornach/Suisse(voir note 3). C’est que la suite de l’article de Karl Julius Reubke m’oblige nettement à choisir de traduire Wurzelfragen par « Questions de racines », sans autre état d’âme, d’une manière « au raz des pâquerettes », comme une traduction sur Arte si vous voulez ! ndt] 2 Christoph Lindenberg : Rudolf Steiner — Une chronique, Stuttgart 1988, p.393. 3 Voir http://wn.rsarchive.org/Books/GA004/English/GPP1916/GA004_c01.html 4 L’édition du centenaire porte le titre Penser intuitif comme chemin spirituel et insiste de ce fait sur l’activité spirituelle pensante, qui apparaît nettement plus fortement. Voir Rudolf Steiner : Intuitive Thinking as un spiritual pathde Michael Lipson. Hudson/N.Y. 1995. 5 Conférence du 27 octobre 1918 dans du même auteur : Symptomatologie historique (GA 185), Dornach 1982, p.125. En français chez Triades : Symptômes dans l’histoire pp.101-102., ndt] 6 Du même auteur : Considérations d’histoire contemporaine (GA 173a-c), Dornach 2014. En cas de citation, merci d’indiquer la source : Les traductions de Daniel Kmiecik − www.triarticulation.fr/AtelierTrad 2 La grande Guerre en était arrivée, en cette année 1917, à une phase, dont il ne semblait pas y avoir aucune issue, dont le sens fût clair, pour en sortir et elle devint, avec la déclaration de guerre des USA à l’empire allemand, définitivement une guerre mondiale. Tous les participants supputaient sur leurs chances de réaliser chacun leurs objectifs, pourtant ni d’un côté ni de l’autre on ne suivait une ligne unilatérale. La presse évoluait vers le statut de « grande puissance »7, aux mains de quelques gros entrepreneurs. Elle produisait des sensations propagandistes, à la dépecée, sur l’arrière-plan d’une image du monde en terme de bien et de mal, uniquement présupposée comme juste. La propagande du nationalisme d’un côté et celle du communisme, de l’autre, laissaient désemparées les puissances de l’Europe centrale, avec leur conservatisme irrésolu. Steiner n’a eu de cesse d’attirer l’attention sur ce qui devait être lu et étudié, puisque la maladie de lire le moins possible et seulement de manière imprécise, était si répandue que ses auditeurs menaçaient aussi d’en être infectés. Partout régnait encore une image de la guerre telle qu’elle est transmise dans la Bhagavad Gîtã. Au moment où Steiner, lors de la fondation de la Société anthroposophique en 1912/13 (et un semestre plus tard encore), parla de cet ouvrage sacré, il insista sur une situation décrite qui remontait à l’époque d’Homère, au passage de la 3ème à la 4ème époque culturelle post-atlantéenne. Il était en effet important de reconnaître que l’évolution de l’humanité entre temps avait largement progressé. La polarité du bien et du mal qui valait à l’époque n’est plus aujourd’hui encore qu’une simple représentation alléchante, à laquelle nous tous, somnambules, ne cessons jamais de tomber et elle est volontiers utilisée, à l’instar d’un « opium du peuple », par des pouvoirs qui ont intérêt à nous débrancher de notre propre découverte autonome de jugement. L’appel que le héros Arjuna profère au commencement du tumulte du combat : « Arête ! Je veux d’abord savoir avec qui je combats »8, est pour cette raison souvent mésestimé. Les Considérations d’histoire contemporaine résonnent comme une acceptation de ce motif. Cela retentit au moment où Steiner en appelle à ses lecteurs : Gardez la tête froide, recherchez les informations qui sont disponibles et formez-vous une base d’analyse assurée qui ne s’emballe pas, une perspective des symptômes. Il n’importe pas de découvrir un point de vue de la misère, mais au contraire, un chemin pour en sortir. Nous, qui, comme anthroposophes, nous nous astreignons à la science de l’esprit, nous pouvons nous former une conscience des événements réels dans tous les règnes physiques et spirituels. Un travail cognitif commun est une vertu qui sert salutairement et nécessairement l’évolution du monde ! Cette situation difficile du monde aura dû convaincre Rudolf Steiner de l’urgence d’une nouvelle édition de la Philosophie de la liberté, au moment où, après la fin des Considérations d’histoire contemporaine, il les mit en circulation à Berlin.9 À la fin de l’ultime conférence, le 30 janvier, il dessina un cercle partagé en trois — pour exposer la distinction chez Platon entre « état d’enseignant », « état de défense » et « état de cultivateur » de son Politeia. — mais sans nommé encore la Dreigliederung. À Berlin, il travailla, jusqu’à la fin de septembre, à l’ouvrage Des énigmes de l’âme avec le chapitre fondamental « Driegliederung ».10 Propagande et circulaire du pape Les activités politiques et militaires tournaient à plein régime. Après avoir tâté le terrain lors d’entretiens avec le nonce Pacelli — qui deviendra plus tard le pape PieXII. — le pape Benoît XV, le 1er août 1917, publia une circulaire apostolique11, un appel à la paix, lequel se heurta de tous côtés à un mépris bienveillant. Incité par son élève, Otto comte de Lerchenfeld, Steiner lança alors une attaque politique concrète et mit en débat ses idées de la Dreigliederung sociale qu’il opposa à la polarisation agresseur-victime, bien-mal, exploiteur-exploité. Il tenta aussi, chez ses auditeurs de ses conférences anthroposophiques, d’éveiller une conscience portante pour ces idées nécessaires et salutaires. Dans sa conférence du 25 septembre uploads/Litterature/ sur-la-necessite-d-x27-une-nouvelle-edition-de-la-philosophie-de-la-liberte-en-1918.pdf
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- Publié le Aoû 01, 2021
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