TEMPS ET DESTIN MARCEL CONCHE PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE Pour Sébastien t

TEMPS ET DESTIN MARCEL CONCHE PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE Pour Sébastien tsaN 130439926 6 Dépôt légal - Ire édition : 1992, février @ Presses Universitaires de France, 1992 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris Avertissement La présente édition de cet ouvrage ne diffère de la précé- dente (Ed. de Mégare, ig8o) que par l'ajout, à titre de Supplément, outre une courte Note inédite sur le temps, d'une note et d'un article polémique relatifs à la conception kantienne du temps, note et article qui figuraient déjà dans la première édition de l'Orientation philosophique (Ed. de Mégare, 1974), et qu'il n'a pas paru inopportun de reprendre dans un ouvrage qui s'intitule Temps et destin, et alors que la question des objections à l'Esthétique trans- cendantale est d'un intérêt toujours actuel1. i. Cf., par exemple, F.-X. Chenet, La quatrième remarque de l'Esthétique transcendantale face aux objections, Les Etudes philo- sophiques, avril-juin iggo, p. 16 1 - 17 1. 5 Alain Vinson m'a apporté une aide précieuse pour la correction des épreuves de ce livre. Je le prie de trouver ici l'expression de mon amicale gratitude. Avant-propos Dès lors que l'Etre était, par Hegel, tenu pour une catégorie, la chose en soi, dont tout ce que l'on peut dire est seulement qu'elle « est », n'était en soi plus rien, et rien ne s'opposait plus à ce que la métaphysique, comme science du tout de la réalité, trouvât son achèvement. Car si la tâche de la philosophie est de penser l'être (ou, plus concrètement, le réel), et si l'être est une catégorie, c'est-à- dire une forme de la pensée, l'homme, comme être pensant, ne saurait être un sujet fini, il est sans extérieur, il est nécessairement sujet absolu - et les catégories sont les catégories de l'absolu. Ce que l'on peut, si l'on veut, dans le sens de Vico, interpréter ainsi : tout ce qui pour l'homme a sens d' « être » ou de « réalité » n'est que production humaine, et rien ne saurait s'opposer à ce que l'homme comprenne complètement ce qu'il a lui-même produit. Mais l'avenir n'est pas encore. Est-ce à dire qu'il ne relève pas de la connaissance ? Qu'il ne relève donc pas de la philosophie comme savoir spéculatif (qui ne serait qu'un savoir rétrospectif), mais seulement de l'opinion ? Certes on peut dire que l'avenir est, pour Hegel, impré- visible et inanticipable. On ne peut connaître que ce qui est, non ce qui n'est pas encore. Pour connaître l'avenir, 7 TEMPS ET DESTIN il faut attendre qu'il se soit produit, et alors il ne sera plus à venir. Toutefois s'en tenir à cela, à cette idée de l'impré- visibilité de l'avenir, serait bergsoniser Hegel et le mécon- naître dangereusement. Selon Hegel, l'avenir, comme suite d'événements, ne peut être connu d'avance. Ce qui est cependant connu, et connu absolument, c'est l'avenir comme avenir humain - qu'il doive y avoir un tel avenir, ou non. Hegel est le philosophe de la Révolution française. Mais la Révolution française n'est pas pour lui une révo- lution parmi d'autres. Elle est la Révolution absolue. L'histoire est maintenant achevée, non en ce sens qu'il n'y aurait plus rien à faire pour réaliser la liberté (la Révo- lution elle-même n'a nullement résolu ce problème), mais en ce sens que nous savons désormais pour toujours que ce qui est à réaliser, c'est la liberté. Ce qui s'est dévoilé désormais une fois pour toutes, c'est que tout homme, comme tel, est libre en droit, que la liberté est l'être même de l'homme. A la lumière de cette vérité, l'histoire du passé humain se comprend, ainsi que l'achèvement que lui apporte la Révolution, et l'histoire de l'avenir se définit en son orientation de droit. L'événement de la Révolution n'est pas simplement un événement parmi d'autres dans l'histoire. C'est un événement de l'histoire, celui par lequel elle cesse d'être une histoire avançant aveuglément mais devient l'histoire de l'homme se sachant lui-même, l'his- toire sensée. La vérité qui nous dévoile l'être de l'homme comme raison-liberté n'est pas dépassable : elle fonde désormais l'être même de l'homme pour toujours (pour tout avenir humain). L'homme est et se sait libre. Une telle vérité n'a pas à être relativisée comme si elle était sim- plement une vérité apparaissant dans l'histoire, elle est liée à la notion même de l'homme, et à la notion d'une histoire humaine. Relativiser cette vérité pour lui en opposer une autre (censée mieux correspondre au temps que nous 8 AVANT-PROPOS vivons), ou pour la « dépasser », serait revenir en deçà d'un point déjà atteint, car l'homme ne peut sans se détruire renoncer à son humanité. Soit! Mais plusieurs métaphysiques sont compatibles avec cette manière de voir l'histoire, et non la seule méta- physique de Hegel. Pourquoi cependant ne pas s'en tenir à celle-ci ? On le peut - à la condition toutefois de se désintéresser de soi-même en tant qu'individu mortel. L'avenir, comme suite d'événements, est largement impré- visible. Pas totalement cependant. Je mourrai. Ma mort est un événement certain, quoique à venir. Je puis ne pas me désintéresser de ma mort, estimant qu'autant vaudrait me désintéresser de ma vie. Mais dès lors, il convient, pour moi vivant, de philosopher sous l'horizon de l'iné- luctable avenir de ma vie - la mort. La mort n'a rien de nécessaire, le contraire n'en étant pas absurde. Elle est de l'ordre du destin, non de la nécessité. Cela étant, notre problème, ici, est celui-ci : comment penser le temps s'il doit être tel que la vie humaine soit dans la dépendance absolue de l'incontrôlable - la mort ? Ou, selon une autre formulation : s'il doit être tel que l'homme - le sujet humain - ait un extérieur absolu, la mort. Ou : comment penser le temps s'il doit signifier le destin ? Répétons-le : le philosophe est parfaitement libre de se désintéresser de lui-même en tant qu'individu mortel (mais son désintérêt est-il de bonne foi ? peut-être ne croit-il pas à sa mort, peut-être, par exemple, se croit-il sauvé de la mort parce que assuré de vivre dans la mémoire sociale). Il peut alors construire une métaphysique. Celle-ci peut être cohérente. Elle sera donc possible. Simplement elle n'aura pas pour nous de signification réelle. Si main- tenant nous considérons les métaphysiques de la mort, il en est pour qui la mort ne signifie pas non-vie. Ces méta- physiques peuvent être cohérentes. Ce sont, en ce cas, 9 TEMPS ET DESTIN des métaphysiques possibles. Mais elles n'ont pas, pour nous, de signification réelle. Nous ne pouvons y croire. Or, sans croyance, une philosophie n'est que la philosophie des autres. Nous pouvons admirer les palais qu'ils ont édifiés, mais c'est seulement dans notre maison que nous pouvons vivre. D'une manière générale, nous ne nions pas la possi- bilité d'une métaphysique du meilleur, de diverses sortes de métaphysiques du meilleur, ou d'espèces intermédiaires : simplement la nôtre est une métaphysique du pire. C'est en elle seulement que notre sensibilité et notre raison (dans l'usage libre et individuel que nous en faisons, selon la leçon de Montaigne) trouvent leur satisfaction. « Méta- physique du pire » ne signifie d'ailleurs nullement impossi- bilité du bonheur ou de la joie. Car la joie peut parfai- tement être une réponse à la condition humaine vue sous l'angle du pire : non certes n'importe quelle joie, ni une joie quelconque, mais la joie tragique - la joie du héros. C'est cette joie que nous souhaitons et pour nous-même et pour ceux qui nous sont apparentés. Juin 1979. 10 Introduction Après avoir défini le temps comme « le nombre du mouvement selon l'antérieur-postérieur » (Phys. IV, II, 219 b i), c'est-à-dire le compte des moments successifs distinguables dans le mouvement de ce qui se meut ou le changement de ce qui change (et qui est toujours une substance individuelle), Aristote se demande ce que signifie être « dans le temps ». L'instant, l'avant et l'après sont dans le temps en ce sens qu'ils sont quelque chose de ce nombre qu'est le temps comme l'unité, le pair et l'impair sont quelque chose du nombre : une partie - pour l'unité, un attribut - pour le pair et l'impair (car on dit : un nombre « pair », un nombre « impair »). Les choses ou substances, au contraire, sont dans le temps en ce sens qu'il y a nombre d'elles. Leur existence relève du nombre, se déroule selon le nombre. La conséquence est immédia- tement tirée : « S'il en est ainsi, elles sont enveloppées par le nombre (7rcptéXF.-roct Ú1C' <xp!.9[jLo3) » (ibid., 12, 221 a 17- 18). Elle est développée quelques lignes plus bas : « Mais puisque l'existence dans le temps ressemble à l'existence dans le nombre, on pourra considérer un temps plus grand que tout ce qui est dans le temps; par suite, il est inévitable que tout ce qui est dans le temps soit enveloppé par le il TEMPS ET DESTIN temps... » (221 a 26-28, trad. Carteron). Nous sommes dans le temps : cela signifie uploads/Litterature/ temps-et-destin-marcel-conche-pdf.pdf

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