Alexandra DAVID-NÉEL Les enseignements secrets des bouddhistes tibétains La vue
Alexandra DAVID-NÉEL Les enseignements secrets des bouddhistes tibétains La vue pénétrante Éditions Adyar, 9e, 2005 – 2 – PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION Le lecteur est averti que ce qui lui est offert dans le présent livre est un « reportage » concernant ce corps d’Enseignements que les Tibétains dénomment Sangs wai Dam ngags1, c’est-à-dire « Enseignements secrets ». La façon dont nous devons entendre le qualificatif « secret » appliqué à ces Enseignements est expliquée dans les pages suivantes, ainsi que la manière dont ils sont transmis. Je me suis efforcée d’exposer ceux-ci de façon complètement objective ; les opinions que je puis entretenir personnellement n’ont pas à s’exprimer dans une présentation qui n’a aucun but de propagande et vise, seulement, à faire connaître quelques-unes 1 Orthographe tibétaine : gsang bai gdam ngag. – 3 – des doctrines professées par une élite intellectuelle tibétaine peu accessible aux investigateurs étrangers. Il sera loisible à chacun de mes lecteurs de se faire une opinion propre quant aux théories qu’il rencontrera dans ce livre. Il y réfléchira et les méditera si bon lui semble. En tous domaines, la tâche d’un enquêteur consiste uniquement à offrir à ceux à qui il s’adresse un nombre de faits propres à élargir le cercle de leurs connaissances. – 4 – AVANT-PROPOS DE LA NOUVELLE ÉDITION AUGMENTÉE Le présent livre est un document unique, le fruit d’une enquête poursuivie pendant une vingtaine d’années en pays Tibétain, enquête impossible à jamais renouveler. Les contacts avec l’intelligentsia religieuse du Tibet, toujours difficiles à effectuer autrefois, sont devenus irréalisables. – 5 – Les aménagements nouveaux des Pays de l’Asie centrale ont livré maintes parties de leurs anciennes solitudes aux entreprises des agriculteurs et des prospecteurs. L’activité bruyante de la civilisation moderne a déchiré le silence solennel qui enveloppait les cavernes des ermites contemplatifs et des paisibles demeures, encloses entre de hauts murs, résidences d’aristocratiques érudits se complaisant aux lectures prolongées et aux doctes méditations. Les ermites, les philosophes, les penseurs et les petits groupes de disciples qui gravitaient autour d’eux se sont dispersés. Où les chercher ?… Ce n’est pas qu’il n’y ait plus de penseurs en Asie. Loin de là. Si quelques-uns des Maîtres spirituels dont j’ai recueilli les Enseignements sont morts, d’autres ont surgi. Il restera toujours, et dans les différentes régions du monde, des hommes qui s’efforceront de découvrir les ressorts qui mettent en mouvement les phénomènes qui apparaissent autour d’eux, et ceux qu’ils perçoivent en eux ; ceux qui constituent le monde et ceux qui constituent leur personne. Où les chercher ?… La possibilité ne s’offre plus à l’Étranger de parcourir librement, comme il le pouvait autrefois, les forêts, les montagnes et tout l’espace qui s’étendait devant lui. Les enquêtes du genre de celle dont ce livre est l’expression sont donc devenues, je viens de le dire, impossibles à renouveler. Ainsi, ces quelques pages peuvent-elles, à juste titre, être présentées comme un document unique, concernant les conceptions philosophiques des intellectuels bouddhistes tibétains. Il me faut ajouter, ici, que malgré mes efforts et ma connaissance assez vaste des différentes doctrines bouddhistes, je – 6 – n’aurais pu, sans la collaboration dévouée du Lama Yongden mon regretté fils adoptif, obtenir la confiance des Maîtres Spirituels Tibétains à qui je m’adressais et les amener à m’exposer des vues philosophiques et des disciplines mentales qu’ils se croyaient tenus de garder secrètes. A. D.-N. – 7 – LES ENSEIGNEMENTS ORAUX SECRETS DANS LES SECTES BOUDDHISTES TIBÉTAINES – 8 – CHAPITRE PREMIER - LE SECRET Il y a déjà longtemps que l’idée m’était venue d’écrire ce livre. Par un bel après-midi d’été j’avais exposé mon projet à un érudit Tibétain qui menait une vie contemplative dans une maisonnette accrochée au flanc rocheux d’une montagne. Il ne m’avait guère encouragée. « Peine perdue, disait-il, la masse des lecteurs et des auditeurs est identique de par le monde entier. Je ne doute pas que les gens – 9 – de votre pays ne ressemblent à ceux que j’ai rencontrés en Chine et dans l’Inde et ceux-là ne différent en rien des Tibétains. « Parlez-leur de vérités profondes, ils baillent et, s’ils osent se le permettre, ils vous quittent, mais racontez-leur des fables absurdes, ils sont tout yeux et tout oreilles. « Ils veulent que les doctrines religieuses, philosophiques ou sociales qu’on leur prêche leur soient agréables, qu’elles cadrent avec leurs conceptions, qu’elles satisfassent leurs inclinations, en somme qu’ils se retrouvent en elles et se sentent approuvés par elles ». Le Maître n’avait rien à m’apprendre à ce sujet. Des centaines de fois j’avais entendu, en Occident, des hommes et des femmes exprimer le désir de trouver une religion qui les satisferait, ou les avais vu rejeter une doctrine avec ces mots : « elle ne me satisfait pas ». Et qu’était-ce donc que cela qui voulait être agréablement chatouillé, satisfait ? C’était l’assemblage de notions fausses, de penchants irraisonnables, de sentiments d’une sensualité rudimentaire que l’on déguise sous l’apparence d’un fantoche dénommé « Moi ». Je songeais alors aux dévotes qui se grisent d’encens et des sonorités prenantes de l’orgue dans les demi- ténèbres de nos cathédrales, se croyant en route vers des cimes spirituelles. Je songeais à tous ceux, quelle que soit la foi religieuse ou laïque à laquelle ils appartiennent, qui vibrent à l’audition de certains noms, de certains mots qui ne sont que vain bruit vide de réalité. – 10 – « D’une façon générale, continuait le Maître, nous distinguons trois catégories d’individus : ceux dont l’intellect est complètement obtus ; ceux dont l’intellect est de qualité moyenne, ouvert à la compréhension de quelques vérités particulièrement évidentes et ceux doués d’un intellect supérieurement équipé pour les perceptions aiguës, qui sont aptes à pénétrer sous la surface du monde des phénomènes physiques comme sous celle des phénomènes mentaux et à saisir les causes qui y sont à l’œuvre2. « Il suffit de diriger l’attention de ces derniers, de leur dire : « regardez de ce côté, considérez cela » et ils discernent ce qu’il y a à discerner là où ils ont porté leur regard ; ils comprennent ce qu’est véritablement la chose qu’on leur a indiquée. « On peut clamer sur les grandes routes les enseignements tenus pour secrets, ils demeureront « secrets » pour les individus à l’intellect obtus qui entendront les discours qu’on leur adressera et n’en saisiront que le son. « Ce n’est pas du Maître que dépend le « secret », c’est de celui qui l’écoute. Un maître ne peut être que celui qui ouvre une porte ; il appartient au disciple d’être capable de voir ce qui se trouve au- delà d’elle. Il existe des instructeurs capables de discerner le degré d’acuité intellectuelle de ceux qui sollicitent leur enseignement et ils réservent l’exposition détaillée de certaines doctrines à ceux-là seuls qu’ils jugent capables de les comprendre. Ainsi sont communiqués et se perpétuent les enseignements profonds transmis oralement de maître à étudiant depuis de nombreuses générations. Vous les avez entendus. Usez-en selon ce que vous jugerez bon. Ils sont très simples mais heurtent à la façon d’un puissant bélier la muraille des fausses notions enracinées dans 2 Respectivement dénommés thama, ding et rab – Écrits thama, hbring et rab. – 11 – l’esprit des hommes et des émotions qui les ravissent avant de les précipiter dans la douleur… « Essayez !… » Je me rappelai, alors, ce que les anciens textes bouddhistes rapportent quant à l’hésitation que le Bouddha éprouva avant de commencer sa prédication : « … J’ai découvert une vérité profonde, difficile à percevoir, difficile à comprendre, accessible seulement aux sages. « … L’humanité s’agite dans le tourbillon du monde et y trouve son plaisir. Ce sera chose difficile pour les hommes de comprendre la loi de l’enchaînement des causes et des effets, la suppression des samskâras3… « … À quoi bon divulguer aux hommes ce que j’ai découvert au prix de pénibles efforts. Pourquoi le ferais-je ? Cette doctrine ne peut être comprise par ceux qu’emplissent le désir et la haine… elle est mystérieuse, profonde, cachée à l’esprit grossier. Si je la proclame et que les hommes ne soient point capables de la comprendre, il n’en résultera que fatigue et ennui pour moi. « Et comme il pensait ainsi, le Vénérable se sentit incliné à demeurer paisible sans prêcher la doctrine ». 3 Les samskâras sont les formations mentales, les idées, les conceptions que l’on « confectionne » et qui ont leur point d’appui sur l’ignorance. Voir plus loin une explication détaillée. – 12 – Ici, les textes, avec une imagination toute orientale, font intervenir un Dieu : Brahmâ Sahampati, qui exprime en paroles audibles les pensées qui naissent dans l’esprit du Bouddha. Brahmâ Sahampati exhorte le Bouddha à surmonter ses hésitations : « … Veuille le Vénérable4 prêcher la doctrine. Il y a des êtres dont les yeux de l’esprit sont à peine obscurcis par une légère poussière, ceux-là comprendront la doctrine. « … Au pays de Magadha5, une doctrine fausse a régné uploads/Litterature/ david-neel-alexandra-les-enseignements-secrets-des-bouddhistes-tibetains.pdf
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- Publié le Dec 17, 2021
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