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https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RFP_673_0925&download=1 LA FEMME DU PERVERS NARCISSIQUE Simone Korff-Sausse Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse » 2003/3 Vol. 67 | pages 925 à 942 ISSN 0035-2942 ISBN 213053564X DOI 10.3917/rfp.673.0925 Article disponible en ligne à l'adresse : ----------------------------------------------------------------------------------- --------------------------------- https://www.cairn.info/revue-francaise-de- psychanalyse-2003-3-page-925.htm ----------------------------------------------------------------------------------- --------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.92.86.230) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.92.86.230) La femme du pervers narcissique Simone KORFF-SAUSSE « La vérité joue un rôle aussi déterminant pour la croissance de la psyché que la nourri- turepourlacroissancedel’organisme.Une privation de vérité entraîne une détérioration delapersonnalité.» (Bion.) Je n’ai jamais rencontré de pervers narcissique dans mon cabinet d’analyste.Parcontre,j’aieuàplusieursreprisesdespatientes(enpsychothé- rapieouenanalyse)quiétaientdesfemmesdeperversnarcissiques.Età chaque fois, j’ai été interpellée par l’impact de la pathologie de ce conjoint, aussi bien sur la personnalité de la femme que sur le cours et le contenu de la thérapie.Avecelles,cepersonnage–redoutable!–estentréd’unecertaine manièredansmoncabinet1.Pendantuntempsassezlong,iln’étaitquestion quedecethomme.Mêmesij’aitoujourspuéviterqu’ilinterviennepourde vrai dans la prise en charge, le pervers narcissique était diablement présent danslacure.Cesontdesthérapiesoùilestimpossibled’aborderd’embléele conflit intra- psychique avec la patiente, car celle-ci – «femme sous influence » – est complètement prise dans une relation interpsychique alié- nante, dont il lui faut se dégager avant de pouvoir envisager un traitement plusclassiqued’élucidationdescontenusinconscients.C’estdecepremier temps (qui peut être extrêmement long, étant donné la ténacité des identifica- tions primaires et la force du masochisme) dont je veux parler. Le tableau clinique que je me propose de soumettre à une approche psy- chanalytique concerne quatre patientes dont je ne détaillerai pas l’histoire individuelle, d’abord par souci de confidentialité, mais aussi parce que je vou- 1.Àlaquestion«Oùrencontrerdesperversnarcissiques?»,Racamier(1987)répond:«Bien peu dans notre bureau (...) Encore moins sur le divan du psychanalyste (...) Mais on en rencontre dans lavie,oùmieuxvautnepasavoiraffaireaveceux.Etdanslesfamilles.»Aprèslesrelationsdes enfants avec des parents pervers narcissiques, il s’agit donc ici de décrire les relations de la femme avec un conjoint pervers narcissique. Rev. franç. Psychanal., 3/2003 © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.92.86.230) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.92.86.230) 926 Simone Korff-Sausse draisprivilégierlespointscommuns.Eneffet,laconvergenceentrecescasest assez étonnante, au point que j’avais l’impression à chaque fois d’entendre la même histoire, de voir à l’œuvre les mêmes mécanismes psychiques, d’être prise dans les mêmes difficultés contre-transférentielles, de me heurter aux mêmes résistances et de voir se dérouler les mêmes modalités de résolution1. Malgré la singularité de chaque cas, on peut donc dégager les grandes lignes de ce tableau clinique en ce qui concerne : — leur fonctionnement psychique ; — le type de relation avec le compagnon ; — les modalités de communication et d’emprise du pervers narcissique2 ; — les problèmes posés par la psychothérapie, et en particulier la nature de la mobilisation contre-transférentielle. SOUS L’EMPRISE ALIÉNANTE DE L’AUTRE Il s’agit de femmes qui vivent avec un conjoint depuis longtemps (32 ans pour Béatrice ; 22 ans pour Dominique ; 16 ans pour Alice ; la quatrième, Christine, beaucoup plus jeune, ne vit avec son compagnon que depuis deux ans, mais il est à noter qu’elle a eu avant lui une relation de même type, qui s’est terminée sous la menace des armes...) et qui sont dans une crise du coupleoùellesenvisagentdelequitter,sansyparvenir.Dèslepremierentre- tien, apparaissent dans leur récit certaines situations ou des détails qui font penserauthérapeutequ’ils’agitd’unerelationtrèspathologique.Maiscela, elles ne le disent pas clairement et c’est une des premières caractéristiques de ces cas cliniques que de minimiser les faits ou de les raconter de telle manière quel’auditeuradumalàenprendrelamesure.Cen’estqueprogressivement, presque par hasard, au détour d’une phrase et souvent parce que le psychana- lyste finit par poser des questions, que l’on apprend qu’elles subissent depuis des années des violences physiques (dont elles ont gardé des traces : cicatrices, doigt tordu, baisse de vision à la suite d’un coup sur l’œil3) et des violences 1.J’aid’ailleursétéfrappéeparlefaitquelesdescriptionsdespraticiensquis’occupentdesi tua- tions de violences conjugales, et en particulier ceux qui ont mis en place des dispositifs d’accueil pour fem- mes battues (Bin-Heng, Cherbit et Lombardi, 1996 ; Gillioz, De Puy et Ducret, 1997) correspondent jus- qu’aumoindredétailàmespropresobservations.Cequ’apporteuneapprochepsychanalytique,c’ est l’élucidation des ressorts psychiques inconscients qui sont à l’œuvre dans ces configurations relationnelles. 2.Laquestionseposedesavoirsil’expression«perversnarcissique»estpertinentepourtous ces conjoints, et plus spécifiquement quel est le rapport, pour certains d’entre eux, avec la paranoïa. 3.Bin-Heng,CherbitetLombardi(1996,p.59)remarquentque«leshommesviolentsfrappent essentiellement leurs partenaires sur les parties du corps visibles en dehors de l’habillement : visage (tradi- tionnelle image de la femme battue : œil au beurre noir, souvent caché par des lunettes de soleil) cou, tête, jambes, bras ». Il effectue un « marquage de territoire, comme si son corps s’étendait à celui de l’autre... ». © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.92.86.230) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.92.86.230) La femme du pervers narcissique 927 psychiques (insultes, accusations, humiliations, intimidations, menaces de mort), ces scènes se déroulant souvent devant les enfants. Ce tableau clinique évoque la relation d’emprise, lorsqu’elle s’exerce dans une problématique perverse, telle qu’elle a été décrite en particulier par Roger Dorey1 (1981), comme une « action d’appropriation par dépossession de l’autre».Ils’agitd’uneconfiscation,unemainmise,quiramènel’autreàun objetentièrementdominéetassimilable.Lamarqueinscritesurlecorpsdela femme par les coups signe l’appropriation par le conjoint dominateur et tyrannique et atteste l’état de soumission imposée et acceptée. Faceauxviolencessubies,cesfemmessontsansréponse,nirévolte.Elles neprotestentpas.Pire:ellesannulentaussitôtcequis’estpassé.Dansle cours de l’entretien, il leur arrive de s’étonner elles-mêmes de ce manque de réaction (probablement dans un mouvement – passager – d’identification à l’analyste), mais c’est pour retomber aussitôt dans l’état de passivité et d’anesthésiehabituel.Etc’estuneautredeleurscaractéristiques,quenous analyserons plus en détail : leur histoire, elles n’y croient pas vraiment ; leurs opinions sont incertaines ; elles doutent de leurs perceptions. Non seulement elles lui «trouvent toujours des excuses», mais elles s’attribuent la responsabilité : « Je dois y être pour quelque chose », est une phrasequirevientaprèschaquerécitdescènesviolentes.Lesconjointsleur signifient systématiquement, pour justifier après coup leurs crises violentes, quecesontellesquilesontprovoquées.Ellessetrouventdansl’identification à l’agresseur de Ferenczi, où l’enfant-victime intériorise la culpabilité que ne ressent pas l’adulte-agresseur, s’exposant à une énorme confusion, où « l’enfant est déjà clivé, à la fois innocent et coupable, et sa confiance dans le témoignagedesespropressensenestbrisée»(1933,p.130).LorsqueChris- tine raconte des scènes de son enfance où elle était manifestement abandonnée et maltraitée par des parents qui apparaissent comme des « parents imma- tures»(G.Harrus,2002),elleterminesonrécitendisant:«C’estpeut-être moi qui en demandais trop »... C’est pourtant elle qui donne régulièrement de l’argent à ses parents quand ils ont des difficultés financières, elle qui s’occupe de leurs problèmes de santé, elle qui joue le rôle de parent, mais ne reçoit aucuneaidedeleurpartlorsqu’elleenabesoin.«Lesperversnarcissiquesne doivent jamais rien à personne, cependant tout leur est dû » (Racamier, 1986). Lorsqu’Alice se décide enfin un jour à déposer plainte, elle en éprouve un fort sentimentdehonte.C’estavecl’impressiond’êtreune«unevraiesalope», qu’elle se rend au commissariat afin de nommer et de dénoncer la violence. 1.PourDorey,larelationd’emprises’exercesoitdansleregistrepervers(parlarusedudésir), soit dans le registre obsessionnel (par la force). © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.92.86.230) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.92.86.230) 928 Simone Korff-Sausse Leplussouvent,l’environnementn’estpasaucourant.Lecoupleoffre auxautresuneimageidéaleetlemariesttrèsapprécié.Sonprofilsocialest peaufiné.Onadmiresonurbanité,sonintelligenceparfoisbrillante,saforte personnalité.Ilcultivesonimageetcelaluiréussit.Ilsaitdonnerlechange. Leclivagefonctionneimpeccablement.D’autantplusquelafemmedu perversnarcissiquenefaitrienpourremettreenquestioncetteimage.Bien au contraire, elle l’entretient, elle y adhère, reproduisant le parfait clivage de sonmari,entrel’objetidéaletl’objetpersécuteur.Personneparmiles membres de la famille ou des amis ne se doute que cet homme charmant est le même qui, en rentrant d’un dîner en ville, frappe sa femme avec une ceinture en l’injuriant devant leur petite fille que les hurlements ont réveillée. Cen’estqu’aufildesannéesquecetteimagesefissure.Quelquespersonnes de l’entourage commencent à voir ce qui se passe ou bien la patiente commenceàenparler.Maisilestétonnantdeconstaterlalenteurdece processusdemiseàjour.D’unepart,lespersonnesqui«savent»font commesiellesnesavaientpas.D’autrepart,mêmequandlapatiente commence à parler, elle en parle si timidement et en étant si peu convaincue (et donc convaincante), que les gens ne la croient pas ou se refusent à en tirerlesconséquences.Puisilarriveunepériodeoùl’entourages’inquiète (fratrie, amis, médecin, avocat), mais leurs paroles de mise en garde ( « Vous êtes en danger », « Attention aux enfants » ), que pourtant elle entend,neprennentpaseffet,commeendéfautd’inscription.L’unedes tâchesdupsychanalysteseradoncderendrelaparoleeffective.Tâchehabi- tuelle pour un psychanalyste, mais qui connaît dans ces situations bien des avatars. LE MÉTA-REGARD Une des premières questions qui se pose est de savoir pourquoi ces fem- mesviennentconsulter,parfoisauboutdevingtansdeviecommune.Qu’est- ce qui a déclenché, enfin, le souhait de se dégager de cette relation et rendue possible la demande d’aide ? Après des années, où elles ont oscillé entre aveu- glement et lucidité et où chaque moment de révolte a été immédiatement annulé en tirant le rideau du déni, survient un événement qui constitue « un point de non-retour ». Cet événement correspond toujours à une circonstance qui implique le regarddel’autre.Dansuncas(etc’estfréquent),ils’agitduregardde l’enfant.C’estquandlemaritapesafemmedevantl’enfantetqu’ellevoitle © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.92.86.230) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.92.86.230) La femme du pervers narcissique 929 uploads/Litterature/ text-2 1 .pdf

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