B-1 : 70 ans — “ à ” Babylone ou “ pour ” Babylone ? La façon dont la Traductio

B-1 : 70 ans — “ à ” Babylone ou “ pour ” Babylone ? La façon dont la Traduction du monde nouveau rend Jérémie 29.10 semble décrire les 70 ans comme une période de captivité : “ soixante-dix ans à Babylone ”. Il est vrai que la préposition hébraïque le, traduite ici par “ à ”, peut avoir un sens locatif (“ à, en ”) dans certaines expressions, mais son sens général est “ pour, vers, en ce qui concerne, par référence à ”. C’est d’ailleurs ainsi que la rendent la plupart des traductions modernes en Jérémie 29.101 JÉRÉMIE 29.10 : “ soixante-dix ans […] pour Babylone ” Extrait de The NIV Interlinear Hebrew-English Old Testament, vol. 4, p. 211 (John R. Kohlenberger III [éd.], Grand Rapids, Michigan, USA ; Zondervan Publishing House, 1979). Jérémie 29.10 avec un texte interlinéaire français sous le texte hébreu. D’après The NIV Interlinear Hebrew- English Old Testament (ci-dessus) : 1 Le professeur Ernst Jenni, qui est probablement de nos jours la plus grande autorité en matière de prépositions hébraïques, rejette le point de vue selon lequel le sens de le (l) est local et directionnel. — Ernst Jenni, Die hebräischen Präpositionen. Band 3: Die Präposition Lamed (Stuttgart, etc. ; Verlag Kohlhammer, 2000), p. 134, 135. Cet ouvrage consacre 350 pages à l’examen de la seule préposition le. Voir aussi Paul Joüon, Grammaire de l’hébreu biblique (Rome ; Institut Biblique Pontifical, 1923, édition photomécanique corrigée, 1982), § 133a, 133d. (Il est intéressant de noter que l’édition danoise de 1985 de MN a “ pour Babylone ”, et que la nouvelle édition révisée suédoise de MN, parue en 2004, a également “ pour Babylone ” au lieu de “ à Babylone ” précédemment !) Voici des exemples tirés de quelques-unes des traductions françaises les plus connues : La Sainte Bible, par A. Crampon (1905) : “ C’est lorsque soixante-dix ans se seront accomplis pour Babylone. ” La Bible, par Pierre de Beaumont (1981) : “ Quand soixante-dix années auront passé sur Babylone. ” Traduction Œcuménique de la Bible (1988) : “ Quand soixante-dix ans seront écoulés pour Babylone. ” Votre Bible, par F. Amiot et al. (1982) : “ Lorsque soixante-dix ans seront passés pour Babylone. ” La Bible, par André Chouraqui (1985) : “ Quand seront remplis les soixante-dix ans de Babèl. ” La Bible du Semeur (1992) : “ C’est seulement au bout des soixante-dix années allouées à Babylone. ” D’autres traductions expriment la même pensée en d’autres termes : La Bible, par le Rabbinat Français (1966) : “ Quand Babylone sera au terme de soixante-dix ans pleinement révolus. ” La Bible en français courant (1986) : “ Quand le royaume de Babylone aura duré soixante-dix ans. ” Toutes ces traductions expriment la même pensée, à savoir que les 70 ans désignent une période de suprématie babylonienne, et non pas la durée de la captivité des Juifs ou celle de la désolation de Jérusalem suite à sa destruction en 587 av. n. è. C’est d’ailleurs ce que dit le texte hébreu, ce qui s’harmonise avec la prophétie de Jérémie 25.11 sur les 70 ans de servitude. Tant que les rois babyloniens auraient la suprématie, d’autres nations devraient les servir. Pourtant, la Traduction du monde nouveau n’est pas la seule à rendre la préposition hébraïque le par “ à ” en Jérémie 29.10. D’autres traductions emploient cette préposition dans ce texte. En français, on peut citer celles de Lemaistre de Sacy (1696), de David Martin (1707), d’Édouard Dhorme (1959), ainsi que la Bible de Jérusalem (éd. de 1973 et de 1998). En anglais, la plus connue est la King James Version (KJV), dont la toute première édition date de 1611, et qui est restée pendant plus de trois siècles la “ Version Autorisée ” ou Authorized Version (AV) pour l’Église anglicane et beaucoup d’autres Églises protestantes. Au fil du temps, cette traduction a fini par acquérir une certaine autorité et par se voir parée d’une véritable aura de sainteté, comme le montrent ses révisions modernes. Prenons comme exemple la New King James Version (NKJV), publiée en 1982. Bien que la langue ait été modernisée, les éditeurs se sont efforcés de conserver le plus possible le texte de l’ancienne et vénérable KJV. Les progrès effectués au cours des deux derniers siècles, particulièrement grâce à la découverte de très nombreux anciens manuscrits bibliques, se reflètent au mieux dans les notes en bas de page, mais pas dans le texte lui-même. Il n’y a donc pas lieu de se demander pourquoi cette version très conservatrice retient la préposition at (“ à ”) en Jérémie 29.10. Il est intéressant de noter, toutefois, que d’autres révisions de la KJV, moins enchaînées à la tradition (par exemple la Revised Version, l’American Standard Version et la Revised Standard Version), ont remplacé at (“ à ”) par for (“ pour ”) en Jérémie 29.10. Quant à la dernière en date de ces révisions, la New Revised Standard Version (1990), elle a remplacé l’expression “ seventy years […] at Babylon ” (“ soixante-dix ans […] à Babylone ”) de la KJV par “ Babylon’s seventy years ” (“ les soixante-dix ans de Babylone ”)2. 2 Les quelques traductions modernes en anglais qui ont retenu l’expression “ à Babylone ” en Jérémie 29.10 ont pu être influencées, directement ou non, par la KJV. L’un de mes amis, un linguiste Danois, a également attiré mon attention sur le fait que l’on a dans la Vulgate latine (IVe siècle de n. è.) la leçon in Babylone (“ à Babylone ”), ce qui est une interprétation plutôt qu’une traduction. Il est tout à fait possible que cette version antique et très estimée ait elle aussi influencé certaines traductions anciennes, tant anglaises que françaises, voire même la plus récente Bible de Jérusalem. Pourquoi la plupart des traductions modernes rejettent-elles la leçon “ à Babylone ” en Jérémie 29.10 en faveur de l’expression “ pour Babylone ” ou d’une formule exprimant la même id B-2 : Ce que disent les hébraïsants Les hébraïsants modernes sont généralement d’accord pour dire que le sens spatial ou local de le en Jérémie 29.10 est hautement improbable, sinon impossible. Voici, par exemple, ce que dit le Dr Tor Magnus Amble, de l’Université d’Oslo : “ La préposition le signifie ‘ vers ’, ‘ pour ’ (‘ en direction de ’ ou ‘ par référence à ’). Mis à part dans quelques expression figées, on peut difficilement lui attribuer un sens locatif, et en tout cas pas ici. Elle introduit très souvent un objet indirect (‘ relatif à ’, correspondant à un datif grec). C’est également ainsi que les traducteurs de la LXX l’ont comprise, comme vous l’indiquez fort justement. La traduction doit donc être : soixante-dix ans ‘ pour Babel ’. ” — Lettre personnelle à l’auteur, datée du 23 novembre 1990. (Souligné par l’auteur.) L’hébraïsant suédois Seth Erlandsson est encore plus catégorique : “ Le sens spatial est impossible en Jér. 29:10. La LXX n’a pas non plus ‘ à Babylone ’, mais le datif ; par conséquent, ‘ pour Babylone ’. ” — Lettre personnelle à l’auteur, datée du 23 décembre 1990. (Souligné par l’auteur.) Il serait facile de présenter de nombreuses autres déclarations d’hébraïsants, mais il suffira de citer ici le professeur Ernst Jenni, de Bâle, en Suisse. Voici ce que déclare ce spécialiste de la préposition le : “ Tous les commentaires et traductions modernes ont ‘ pour Babel ’ (non pas la ville ou le pays mais Babel en tant que puissance mondiale) ; tant la langue que le contexte montrent clairement l’exactitude de cette expression. Avec le ‘ sens local ’ il faut faire une distinction entre ‘ où ? ’ (‘ dans, à ’) et ‘ vers où ? ’ (‘ à ’ directionnel, ‘ vers, en direction de ’). Le sens de base de l est ‘ en référence à ’, et avec une spécification locale on peut comprendre un sens local ou local- directionnel uniquement dans certaines expressions adverbiales (p. ex. Nomb. 11.10 [Clines DCH IV, 481b], ‘ à l’entrée de ’, cf. Lamed p. 256, 260, rubrique 8151). […] “ À propos des traductions : avec babylôni, la LXX a sans ambiguïté un datif (‘ pour Babylone ’). Seule la Vulgate a, de façon certaine, in Babylone, ‘ à Babylone ’, de même la King James Version (‘ at Babylon ’) et probablement aussi la New World Translation. ” — Lettre personnelle à l’auteur datée du 1er octobre 2003. (Souligné par l’auteur) Ainsi, comme Jérémie 29.10 parle littéralement de 70 ans “ pour Babylone ”, il est clair qu’il ne peut s’agir ni de la période de désolation de Jérusalem et de son temple, ni même de la période d’exil des Juifs à Babylone. Tout comme en Jérémie 25.10-12, il est plutôt question de la période de suprématie babylonienne. C’est également la conclusion à laquelle sont arrivés des biblistes qui ont soigneusement examiné le texte. On trouvera certains de ces commentaires dans l’encadré uploads/Litterature/ tgr-b 2 .pdf

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