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HAL Id: halshs-00658311 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00658311 Submitted on 12 Jan 2012 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Les mots, les morts et l’écriture Thérèse Bouysse-Cassagne To cite this version: Thérèse Bouysse-Cassagne. Les mots, les morts et l’écriture : arts de la mémoire et évangélisation dans les Andes. Cahiers des Amériques Latines, Université Paris 3, Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine (IHEAL / Université Paris 3), 2000, pp.57-84. ￿halshs-00658311￿ FIGURE N°1 : LE UARIZCA, D’APRÈS GUAMAN POMA DE AYALA LES MOTS, LES MORTS ET L’ÉCRITURE : ARTS DE LA MÉMOIRE ET ÉVANGELISATION DANS LES ANDES THÉRÈSE BOUYSSE-CASSAGNE * M ÉMOIRE « PERSISTANTE » ou « mutilée », mémoire « recomposée » ou « colonisée », la mémoire des Indiens des Andes a été appréciée de diverses manières et de nombreux travaux portent sur l’immense tra- vail de réinterprétation symbolique fait par l’ensemble de la société andine à l’époque coloniale. Cependant, malgré l’effort soutenu des chercheurs, nous connaissons encore mal le fonctionnement d’une grande partie des « arts de la mémoire » autochtones, et l’ignorance où nous sommes du processus global de mémorisation préhispanique rend fragile bon nombre de nos interpréta- tions; en particulier lorsqu’il s’agit de comprendre comment se fit le passage à l’écriture et plus généralement la façon dont les Indiens s’approprièrent l’ensemble des arts de la mémoire occidentaux. On s’accorde généralement à considérer que de grands pans du savoir traditionnel étaient retransmis oralement et que l’une des fonctions des rituels collectifs (taqui) était de réactiver des souvenirs dont certains avaient été soigneusement codifiés par les Incas, quelque cin- quante années avant la Conquête. Mais notre incertitude à l’égard des méca- nismes de cette mémoire orale tient principalement au fait que nos connaissances passent par des documents écrits par les Espagnols, de sorte que nous ne la sai- sissons jamais qu’immobilisée par le travail de ceux dont l’office était précisément de la capturer pour s’en servir. Toutefois, dans divers domaines, nos avancées récentes sont importantes : les travaux de Cereceda (1978) et de Desrosiers (1997) nous ont permis CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N° 33 57 *CNRS-CREDAL DOSSIER THÉRESE BOUYSSE-CASSAGNE 58 CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N°33 d’approfondir nos connaissances en matière de techniques de tissage. L’étude du code des couleurs et la façon dont celui-ci fournissait à la mémoire des repérages visuels a été mieux connu grâce aux recherches entreprises sur les tex- tiles (Paul, 1997); les plumes (Bouysse-Cassagne, 1997) et la taxinomie indigène des lamas (Flores-Ochoa 1978) ou des graines (Cereceda, 1987). Le rôle joué par l’organisation de l’espace dans une mise en ordre de la mémoire a fait l’objet d’un très grand nombre de travaux (Zuidema, 1995, et plus récem- ment Abercrombie, 1998). Mais on connaît moins la mémoire des choses dans la transmission des souvenirs collectifs, dans la construction de l’histoire, et dans l’organisation des rapports sociaux. Et bien que maintes fois cité en exemple depuis les travaux de Murra (1975), le rôle qu’ont joué les tissus dans ce domaine n’a inspiré en définitive que peu de recherches (Bubba, 1997). Quant au khipu, qui a retenu l’attention de plusieurs chercheurs (Ascher et Ascher, 1988; Urton, 1998; Salomon, 1997; Pärssinen, 1992) les hypothèses les plus récentes rapprochent cet art singulier d’une forme d’écriture, sans que l’on parvienne toutefois à en déchiffrer les codes. Contrairement au Mexique, où il est possible de suivre la main indigène s’appropriant l’art du croquis espa- gnol et passer du glyphe à l’écriture (Gruzinski, 1988), nous ne sommes pas en mesure de savoir à quel point l’art des khipu, conceptuellement et formellement si différent de l’écriture occidentale et celui du dessin - dessin figuré (quellca) des poteries (keru) ou dessins géométriques des tissages (tocapu) - ont été en mesure de faciliter l’apprentissage de l’écriture occidentale. LA MÉMOIRE DES AUTRES : VÉRITÉ ET NORME Les Espagnols qui découvraient les Andes et recueillaient les traditions (au Cusco et ailleurs) auxquelles ils donnaient le nom de fabulas, s’étonnaient de leur nombre et des différences qu’ils percevaient entre les unes et les autres. Ils recevaient directement ces informations des Indiens ou par l’entremise des khipucamayoc chargés de tenir les registres impériaux ou locaux. Pour les évangélisateurs c’était un moyen de connaître les réalités de l’ido- lâtrie et pour l’administration coloniale de s’assurer le recrutement de la main d’œuvre, en prenant connaissance de l’étendue des terres, du nombre des Indiens, du tribut versé à l’Inca, afin de gouverner. L’enjeu était par consé- quent de taille. Mais lorsqu’ils entreprenaient d’écrire l’Histoire et recueillaient les multiples versions d’un seul récit mythique, l’attitude d’un Betanzos ou d’un Sarmiento de Gamboa se faisait prudente. Comme le fait remarquer, à juste tire, Abercrombie dans un ouvrage récent (Abercrombie, 1998 : 193), certains chroniqueurs, tels Sarmiento ou Cobo, se faisaient fort d’élaborer une synthèse de ces différents mythes, afin d’écrire la version qu’ils pensaient être LES MOTS, LES MORTS ET L’ÉCRITURE DOSSIER CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N° 33 59 la « vraie ». Ignorants que cette diversité reflétait les divisions internes de la société qu’ils découvraient. Ne comprenant ni la plasticité des mythes ni la place des diverses traditions, ils raisonnaient en lettrés, en praticiens de l’écri- ture, et ne pouvaient imaginer que le problème de l’exactitude et de la vérité ne se posât pas pour les Indiens dans les mêmes termes que pour eux. Le problème de la vérité de la mémoire autochtone était, en effet, d’une importance majeure puisque le système colonial reposait en grande partie sur le savoir indigène. Aussi, lors d’un procès retentissant fait en 1579 par la com- munauté de Sacaca (Province de Charcas, Bolivie) à son encomendero, Alonso de Montemayor, pour prélèvement excessif de tribut, le problème de la fiabi- lité des khipu fut posé. C’était la première fois, qu’un tribunal espagnol consi- dérait le khipu comme une méthode d’enregistrement sûre et autorisait des khipucamayoc au sein d’une Cour de Justice, celle de la Plata. Mais une très vive polémique s’engagea, qui eut pour effet d’attirer les foudres du grand juriste Solorzano Pereira, estimant quant à lui, que les cordelettes à nœuds étaient des instruments de mémorisation trop peu fiables pour être digne de figurer dans un tribunal (Urton, 1998 : 430; Platt, Bouysse, Harris, à paraître). C’est également au nom du droit et de la justice que l’on brûla les poids et mesures qu’employaient les Indiens sous le prétexte qu’ils différaient selon les régions, et qu’ils ne pouvaient donc être appropriés à un commerce équitable (B. Alvarez, 1998 (1588) : 358). Bien évidemment, l’absence d’exactitude des systèmes d’enregistrement autochtones et leur diversité n’avait rien de nouveau pour les Espagnols, mais elles étaient incompatibles avec l’effort de normalisation généralisé sur lequel ils avaient construit quelques années auparavant les instruments qui devaient leur servir à bâtir un empire. La normalisation du castillan en Espagne, tout particulièrement, avait correspondu à une volonté d’exaltation nationale et à l’élaboration d’un nouvel instrument de contrôle politique. Étrangers en raison de leur diversité et de l’absence de norme évidente qui les faisaient apparaître aléatoires, les arts de la mémoire demeuraient suspects aux yeux des Espagnols. L’absence d’écriture, au sens où ils l’entendaient, rendait également incertaines les informations dont ils prenaient connaissance. Ainsi le soldat Cieza de León, désireux de savoir par qui avaient été construits les monuments de Tiwanaku, et ne recevant pour toute réponse que quelques récits, s’avouait déçu et « louait l’invention de l’écriture, qui permet à la mémoire de durer plusieurs siècles, et de ne rien ignorer de ce que l’on veut savoir » (Cieza de León, 1986 (1553) : 284). Mais comme la plupart des chroniqueurs, Cobo remarquait, de son côté, que ce défaut-là n’interdisait pas aux Indiens de posséder une mémoire hors du commun. C’était comme si « la tradition était inscrite dans leurs os », s’écriait-il en consta- tant l’existence de spécialistes de la mémoire dûment formés dont il évalue le DOSSIER THÉRESE BOUYSSE-CASSAGNE 60 CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N°33 nombre à un millier pour le Cusco (Cobo, 1964 (1653), LXIII : 148). Cette mémoire rivée au corps, difficile à déloger, perdurera en empruntant bien sou- vent, comme on le verra, des formes nouvelles exacerbées. LA PAROLE Plus généralement, les sources du XVIe siècle mettent l’accent sur cette extraordinaire capacité de mémorisation qu’elles attribuent à des techniques de conservation de la mémoire orale, sans pour autant être en mesure de com- prendre qu’une mémoire du mot pour mot n’avait de chance de se dévelop- per que s’il existait un système d’écriture qui autorise l’apprentissage par cœur, grâce à un texte « écrit », servant de référence pour l’apprentissage et la correction. Aussi, lorsque Sarmiento se réfère à uploads/Litterature/ therese-bouysse-cassagne-les-mots-les-morts-et-ecriture.pdf

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