Bye Bye Blondie Virginie Despentes LGF/Le Livre de Poche (2006) Etiquettes: Gen
Bye Bye Blondie Virginie Despentes LGF/Le Livre de Poche (2006) Etiquettes: General, Fiction « Une fille qu’on rencontre en HP n’est pas une fille qui rend heureux. Il voulait jouer contre le reste du monde, avoir raison contre toutes les évid- ences,il pensait que c’était ça l’amour. Il voulait prendre ce risque, avec elle, et qu’ils arrivent sur l’autre rive, sains et saufs. Mais ils réussissent juste à s’entraîner au fond. Il est temps de renoncer... »Gloria a été internée en hôpital psychiatrique. Contre toute at- tente, la punkette « prolo » y a rencontré Éric, un fils de bourgeois aussi infréquentable qu’elle ; ils se sont aimés comme on s’aime à seize ans. Puis la vie, autant que les con- traintes sociales, les a séparés. Vingt ans après, à nouveau, leurs chemins se croisent.Portrait d’une femme blessée aux prises avec ses démons, traversée des années punk, chronique d’un amour naufragé, Bye Bye Blondie est sans doute le livre le plus émouv- ant de Virginie Despentes. 3/482 Virginie Despentes Bye Bye Blondie Copyright : Éditions Grasset et Fasquelle, 2004. ISBN : 978.2.253.11244.0, 1re publication, LGF. Virginie Despentes publie son premier ro- man, Baise-moi, en 1993. Il est traduit dans plus de vingt pays. Suivront Les Chiennes savantes en 1995, puis Les Jolies Choses en 1998, aux édi- tions Grasset, prix de Flore et adapté au cinéma par Gilles Paquet-Brenner avec Marion Cotillard et Stomy Bugsy en 2000. Elle publie Teen Spirit en 2002, adapté au cinéma par Olivier de Pias, sous le titre Tel père, telle fille, en 2003, avec Vincent Elbaz et Élodie Bouchez. Bye Bye Blon- die est publié en 2004, Virginie Despentes réalise son adaptation en 2011, avec Béatrice Dalle, Em- manuelle Béart, Soko et Pascal Greggory. En 2010, Apocalypse bébé obtient le prix Renaudot. Virginie Despentes a également publié un essai, King Kong Théorie, qui a obtenu le Lambda Littérature award for LGBT non fiction en 2011. Elle a réalisé sur le même sujet un documentaire, Mutantes, Féminisme Porno Punk, qui a été cour- onné en 2011 par le prix CHE du London Lesbi- an and Gay Film Festival. Paru dans Le Livre de Poche : Apocalypse bébé King Kong théorie 6/482 À Philippe et Manon. Les asiles d’aliénés sont des réceptacles de magie noire, conscients et prémédités. A. Artaud. Elle se dérègle. Ça ne va pas en s’arran- geant, ni même en stagnant. Elle était convain- cue, d’expérience, qu’à chaque fois qu’elle s’ap- procherait trop près du bord, elle saurait faire pi- rouette arrière. Seulement, cette fois, elle ne con- trôle plus rien, "sans les mains". Tous les warn- ings clignotent en vain et elle sent les gens s’in- quiéter, s’éloigner au fur et à mesure. Elle vient de s’engueuler avec son petit ami. Elle aurait pu le tuer. S’en est fallu d’un centimètre, d’une seconde. Flirt poussé avec le drame. Il aurait suffi qu’il soit un peu moins rapide, un peu moins agile, un peu moins fort qu’elle. Comme après chaque déflagration, elle est particulièrement calme, lucide, et honteuse. Gloria remonte la rue Saint-Jean à grandes enjambées, sous une pluie qui se prend pour une douche. Trempée, elle se sent conne, cradingue et super à la rue : elle avait emménagé chez lui, et quelque chose lui dit qu’après la scène qu’elle vient de faire, elle est, de façon pro- visoire, SDF. Elle passe en revue les apparte- ments des gens qu’elle connaît. La plupart ont fait des enfants et n’ont plus la place pour héber- ger quelqu’un. Dans la bagarre qui vient de pren- dre fin, elle a lancé son portable contre le mur. Pour une fois qu’elle avait un petit peu de for- fait... elle voudrait appeler Véronique, la seule personne qui pourrait peut-être la dépanner quelques jours, mais elle n’a plus son numéro, ni le moindre euro pour l’appeler... de toute façon, à l’heure qu’il est, elle bosse. Gloria n’a pas une thune en poche, elle décide de remonter à pied jusqu’au Royal, c’est-à-dire au-dessus de la gare, c’est-à-dire à l’autre bout de la ville. Combien de 9/482 fois s’est-elle plainte de ce que Lucas habitait trop loin de son bar ? Nancy, même sous le soleil, n’a rien d’une ville riante, à ses yeux en tout cas. Alors, sous la pluie, ça se déploie dans les gris et trouve sa dimension glauque, clapoteuse, limite intéress- ante, tellement c'est déprimant. Ville de l’Est, ciel bas, bâtiments de deux étages, quelques-uns jouissent d’une belle architecture, mais dans l’en- semble impossible d’ignorer que ce ne sont pas des maisons de médecin. À cause de la pluie, les clochards et les jeunes punks à chien se sont réfu- giés dans le centre commercial Saint-Sébastien. Des gens se sont collés contre les vitrines, pour se protéger un peu. Bruit des bus électriques, klaxon typique, qui ne fait pas mal aux oreilles. Parcours jonché des mêmes enseignes que si elle marchait dans n’importe quelle ville d’Europe : 10/482 Footlocker, Pimkie, H&M, Body Shop... des vit- rines moches, trop éclairées, aseptisées. Jamais rien de mal foutu, de traviole ou de surprenant. Le long des rues dorénavant, plus une seule vit- rine ne détonne : il ne reste plus d’espace pour ça dans les villes de l’époque moderne. C’est mor- bide et glacé, comme marcher dans une morgue de couleurs vives. La pluie glisse le long du dos de Gloria, dégouline, glaciale, jusqu’à la ceinture de son benne. Elle fouille ses poches, vérifie qu’elle a bien pris ses papiers. Elle sanglote en marchant, sans chercher à se faire plus discrète. Tant pis pour les gens qui la croisent et lui jettent un re- gard compatissant, méprisant, inquiet ou désap- probateur... ce qu’elle en a à foutre, du regard des gens qu’elle connaît pas. Depuis quelques années que ça va tout le temps mal, elle pleure souvent en ville et elle a cru remarquer que les gens adoraient ça. Ils vi- ennent tout de suite parler, consoler, discuter. 11/482 Elle aimerait bien se faire foudroyer, mais son fantasme numéro un reste qu’on lui mette une balle dans la nuque, qu’on l’achève comme un animal. Rue Léopold-Lallement, elle regarde les affiches en passant devant le cinéma. Même si elle avait de l’argent sur elle, et que les séances commencent de suite, aucun des films program- més ne lui donnerait envie d’entrer. Une affiche de dessin animé japonais retient son attention, avec un monde suspendu dans le noir. Elle se de- mande si c’est un truc pour les petits enfants ou bien un spectacle pour tout le monde. Elle tourne la tête une dernière fois, puis traverse au rouge, sans trop regarder. Un bolide freine brusquement et l’évite de justesse. Il est arrivé sans un bruit, capot noir brillant, même sans rien y connaître en caisse, impossible de ne pas voir que c’est une 12/482 belle machine. Gloria s’arrête net, au milieu de la route. Parfaitement dans son tort ? Elle s’en tape. Est-ce que quelqu’un dans cette caisse a la moindre envie d’en découdre ? C’est remonté, in- tact, elle est à bloc. Elle sait qu’en plus d’être top pénible, son attitude est nulle, qu’elle le prenne d’un point de vue éthique, pragmatique ou lo- gique, cette manie de vouloir se cogner avec tout le monde n’engendrera jamais rien de bon, bien au contraire : que des emmerdes. Mais, comme souvent, le savoir ne change rien à sa réaction. Comme d’autres gens sont dans la came, et sachant qu’ils ne doivent pas le faire continuent un jour après l’autre, Gloria est dans l’énerve- ment débile. Et heure après heure, elle s’enterre. Debout, au milieu du passage clouté, la pluie lui tambourine sur le crâne, comme si le ciel en personne essayait de lui faire entendre raison. Le feu est repassé au vert, elle reste quelques secondes encore, immobile, à regarder dans la direction du chauffeur. Elle ne distingue 13/482 rien de ses traits, à cause du rideau de flotte dressé entre elle et lui. Elle se contente d’adopter un rictus malsain. Mâchoire inférieure bloquée, elle déglutit, ses yeux sont comme du plomb brûlant. Que quelqu’un sorte de cette voiture, Dieu fasse qu’il soit grand, et en mesure de se défendre. Finalement, quelqu’un sort, mais de l’arrière de la caisse. Elle se redresse et s’apprête à le traiter de tous les noms mais le gars s’écrie "Gloria" et lui coupe un peu son élan. Un homme très grand, en pardessus classe, par réflexe elle regarde les pompes et à vue de nez pense qu’elles coûtent cher. Rasé de près, les dents très blanches. - Gloria ? c’est pas vrai, j’y crois pas, c’est toi ? Elle reste figée, lèvres entrouvertes par la stupeur. Elle se racle la gorge, reste silencieuse, esquisse un sourire. Il la prend dans ses bras, elle n’a pas le temps de reculer : 14/482 - Ça fait bizarre ! tu me reconnais ? monte, je te dépose, tu vas où ? Il a laissé la portière arrière ouverte, d’autres voitures derrière lui attendent qu’il libère la voie. uploads/Litterature/ tmpgvdrd7-pdf.pdf
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- Publié le Fev 27, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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