Les visiteurs de Questions de classe(s) connaissent les éditions Libertalia qui
Les visiteurs de Questions de classe(s) connaissent les éditions Libertalia qui publient, entre autres, la collection “N’Autre École”. Ce mois-ci est sorti un ouvrage important : Paris, bivouac des révolutions de l’historien anglais Robert Tombs. Pour accompagner la sortie de ce livre nous avons posé quelques questions à Éric Fournier et Nicolas Norrito qui ont préparé cette (belle) édition. Exclusivement pour Q2C, ils nous offrent également l’introduction signée Éric Fournier (en fin d’entretien) Signalons enfin, avant de leur laisser la parole, que le vendredi 21 mars, de 17 heures-20 heures, le centre d’histoire du XIXe siècle de l’université de Paris I-La Sorbonne invite Robert Tombs pour une conférence-débat à l’occasion de la publication de Paris bivouac des révolutions. La Commune de 1871. La rencontre sera animée par Jean-François Chanet, Quentin Deluermoz, Eric Fournier et Dominique Kalifa et se terminera par un pot pour fêter la sortie du livre. Salle Marc-Bloch, escalier C, 3e étage, 17 rue de la Sorbonne. *** Questions de classe(s) – Pourquoi « encore » revenir sur la Commune de Paris aujourd’hui ? Éric Fournier – L’histoire de la Commune est encore en mouvement. Un renouvellement a été impulsé par Jacques Rougerie dans les années 1960 et 1970, poursuivi par des historiens anglo-saxons comme Robert Tombs dont la thèse portait, en 1981, sur la guerre civile vue depuis l’armée de Versailles. Au début des années 2000, une nouvelle génération d’historiens français s’est penchée sur le sujet. L’édition présente, mise à jour par l’auteur, regroupe ces analyses récentes. Q2C – Le lecteur est surpris par le style et le ton de ce travail historique, assez différent de la tradition française. En quoi ce livre peut transformer la vision que nous avons de cet épisode de l’histoire de France ? En quoi cette écriture de l’histoire vous semble-t-elle « singulière » ? E. F. – Robert Tombs s’inscrit en fait dans une certaine historiographie française, qui doit beaucoup à Alain Corbin, celle d’une écoute « compréhensive » des acteurs de la Commune. Sur les traces de Rougerie, il met en avant l’étrangeté de ces communards au regard de nos critère actuels. Ce faisant, il met l’événement à distance critique ce qui est précisément le positionnement historien. Il rend aussi la situation révolutionnaire de 1871 à son incertitude, à son caractère inattendu, à sa recomposition permanente sous l’effet du contexte. Par ailleurs, il mobilise tous les outils de l’historien, faisant fi des querelles d’amphithéâtre, des distinctions d’école historique – d’où peut-être le sentiment pour un lecteur français qu’on ne voit pas tout de suite de quelle « histoire » relève ce livre. En fait, il s’efforce de les assembler. La Commune méritait bien, je crois, cette mise en commun des différentes approches historiques, ce décloisonnement méthodologique. Q2C – Éric, tu as travaillé sur la Commune, qu’est-ce que la lecture de ce livre t’a appris de nouveau. En quoi a-t-elle pu modifier ta vision ? E. F. – Ce livre insiste sur l’importance de la guerre puis de la guerre civile et montre donc à quel point la Commune est le produit des circonstances qui ont « réveillé » une tradition révolutionnaire qui s’effaçait à Paris : en août 1870, les blanquistes n’ont pu mobiliser que 60 hommes pour une prise d’armes ! Quelques mois plus tard, la Commune mobilisait plusieurs dizaines de milliers de Parisiens. Le caractère inattendu, loin de dévaloriser la Commune, souligne la capacité d’action d’hommes, de femmes aussi, s’emparant de situations de crise pour ouvrir une brèche émancipatrice. Tombs insiste aussi, prolongement de ce caractère guerrier, sur l’importance de la garde nationale. Ce sont les solidarités nées lors du siège dans cette milice populaire et entretenues lors de la Commune qui permettent, en grande partie, d’expliquer pourquoi certains insurgés, des « hommes neufs » sans expérience militante, ont combattu jusqu’au bout. Tombs interroge les détails disruptifs : Pourquoi certains quartiers ont-ils davantage voté pour la Commune qu’ils ne sont morts pour elles ? Pourquoi d’autres ont-ils agi à l’inverse ? Ou, pour reprendre la question des incendies : Pourquoi ces communards si anticléricaux n’ont-ils presque pas brûlé d’églises ? Q2C – Je trouve qu’il est parfois un peu difficile d’entendre la voix de Robert Tombs, il a une manière assez particulière de prendre position, au point qu’on a l’impression, au final, d’un bilan assez pessimiste. Est-ce que c’est aussi votre avis ? E. F. – Robert Tombs, professeur à Cambridge, l’un des deux spécialistes mondiaux de la Commune, se caractérise par une grande modestie. Il évite ainsi la position surplombante et prend soin d’exposer les autres analyses avant de les confronter à ces propres approches. Il s’efforce de faire participer le lecteur à son analyse. J’ai trouvé ce refus de la posture mandarinale tout à fait remarquable. Par exemple, ses conclusions sont intégrées dans le dernier chapitre sur les questions historiographiques et non séparées de cette partie. Je trouve cela assez élégant. Mais Tombs peut aussi être ferme, sinon iconoclaste, comme le soulignent les développements sur la place des femmes dans cette révolution ou son décompte à la baisse du nombre de morts de la semaine sanglante. Cet effacement relatif de l’auteur me semble important. Il évite que cette synthèse ne devienne un point final. Nicolas Norrito – Le livre de Robert Tombs est riche et dense. Je l’ai trouvé passionnant, mais il peut en effet laisser les militants sur leur faim tant il questionne les faits et leur mesure sans recours à la mythologie. C’est un livre favorable aux communards, mais iconoclaste. Tombs explique la complexité de la Commune, il met en avant les forces et les contradictions des communards : sans Bismarck, il n’y aurait jamais eu de soulèvement populaire. Le facteur patriotique est essentiel, ce que démentiront plus tard Lénine et Trotski, puis toute l’historiographie communiste. En fait, ce livre ouvre un champ de recherches : en dépit de très nombreux textes sur la Commune, on connaît peu son histoire. Des générations d’historiens ont confronté les épiques récits des communards et ceux, abjects, des versaillais, donc les mémoires de l’événement, non les faits. Ce qui importe aujourd’hui, c’est de reprendre l’étude à la base, dans les archives, afin de rendre à cet épisode clé de notre histoire sociale, sa juste mesure, qui est porteuse d’espoir, car la Commune – et le mouvement communaliste – sont finalement à notre portée, aujourd’hui encore. Q2C – Puisqu’on est sur un site consacré aux questions d’éducation, Tombs passe assez vite sur le rapport entre la Commune et l’école, comme il passe assez vite aussi sur les réalisations – ou les projets de réalisations concrètes de la Commune. Il me semble que si on peut le suivre sur la minceur des projets révolutionnaires réellement aboutis, leur formulation, leur affirmation a aussi joué un rôle important. Qu’en pensez-vous ? E. F. – Robert Tombs, en effet, se penche assez peu sur la question scolaire, mais lorsqu’il l’évoque, il note bien que l’éducation était considérée comme une priorité. Par ailleurs, la question de l’éducation est souvent réinsérée, certes sous la forme d’une allusion, dans des ensembles plus vastes, comme la question de l’association ou celle de la laïcité par exemple. L’un des mérites de ce livre est d’être une synthèse ouverte, invitant à approfondir. C’est le cas je crois pour la question de l’éducation. Un travail d’ampleur sur cette question de l’éducation reste encore à faire. Concernant la postérité des propositions de la Commune en matière scolaire, il est vrai que la question est absente du dernier chapitre qui traite de l’impact de l’événement « Commune ». Mais n’oublions pas que dans ce chapitre, Robert Tombs a été le premier à tenter une synthèse des usages et des résonances de la Commune après 1871. Il a agi en pionnier, en défricheur et n’a pu faire autrement que de prendre en considération les points les plus controversés, ou déjà étudié en profondeur. N. N – Éric, modeste, ne dit pas qu’il travaille en ce moment sur la Commune et l’école. Dans quelques mois, on devrait y voir plus clair sur cette question… Q2C – Cet ouvrage est le premier d’une nouvelle collection « Ceux d’en bas », quelles sont les futures publications ? N. N – En quelque sept ans d’existence, Libertalia a publié de nombreux travaux historiques, mais n’avait pas encore de collection dédiée à l’histoire. Le nom choisi, « Ceux d’en bas », rend bien compte de notre profond intérêt pour l’history from below, courant historiographique anglo-saxon développé par E. P. Thompson et Christopher Hill, non sans parenté avec les recherches d’Eric Hobsbawm et d’Howard Zinn. Cette histoire « par en bas » s’intéresse davantage aux simples mortels qu’aux généraux et amiraux. Marcus Rediker, dont nous avons publié deux livres, fait partie de la deuxième génération de ce courant, de même que son compère Peter Linebaugh, dont nous voudrions publier le maître livre sur les pendus de Londres, mais il faudrait trouver 20 000 euros pour financer la traduction… En somme, et pour tout dire, dans cette collection, nous aimerions uploads/Litterature/ tombs-entretien-su-paris-bivouac-des-revolutions.pdf
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- Publié le Jui 11, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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