75 David Uhrig University of Leicester de construire autrement l’identité indiv

75 David Uhrig University of Leicester de construire autrement l’identité individuelle. L’analyse de Blanchot s’attache donc à démontrer chez Virginia Woolf une conception du roman encore inaperçue, plus proche de Mallarmé que de Proust, où l’individualisme n’est plus d’actualité en littérature. Mots-clés : Blanchot, Huxley, Woolf, roman, nationalisme, fascisme Summary: Aldous Huxley’s Eyeless in Gaza and Virginia Woolf’s The Waves were translated into French in 1937. In September of that year , Maurice Blanchot reviewed these works in L’Insurgé, a political newspaper of the far Right. The young critic had strong positions against the Popular Front in 1936, but in his reading of Huxley, he tries to get away from a strict opposition to the left-wing intellectuals. Blanchot puts his polemic tone aside and starts thinking about the definition of a common ground for intellectuals in the face of the Nazi threat. While giving his preference to Virginia Woolf, Blanchot goes beyond the strictly political question and concentrates on its historical perspective: fighting against Nazism requires a reconsideration of the representation of destiny in politics, which, according to Huxley, obliges one to rethink the notion of “the people” inherited from the French Revolution. But for Blanchot, Woolf’s art is the demonstration of this: it is necessary to build one’s individual identity in another way. Blanchot’s analysis intends to reveal a new conception of the novel in Woolf’s work, one that is far less conspicuous, closer to Mallarmé than to Proust, in which individualism no longer defines the literary mainstream. Keywords: Blanchot, Huxley, Woolf, novel, nationalism, fascism Synergies Royaume-Uni et Irlande n° 4 - 2011 pp. 75-84 Huxley et Woolf lus par Maurice Blanchot en 1937 Résumé : Eyeless in Gaza de Aldous Huxley et The Waves de Virginia Woolf sont traduits en français en 1937 ; en septembre, deux chroniques littéraires rendent compte de ces publications dans L’insurgé, un journal politique d’extrême droite ; elles sont signées Maurice Blanchot. Le jeune critique s’est vivement positionné contre le Front populaire l’année précédente mais, en s’intéressant à Huxley, il cherche à sortir d’une opposition frontale avec les milieux intellectuels de gauche ; il laisse de côté la veine polémique et développe une réflexion sur la définition d’une ligne commune des intellectuels face à la menace nazie. Tout en donnant sa préférence à Woolf, Blanchot dépasse la question strictement politique vers sa mise en perspective dans l’Histoire : lutter contre le nazisme passe par la nécessaire remise en cause de la figure du destin en politique ce qui, comme le pense Huxley, oblige à repenser la notion de peuple héritée de la Révolution française ; mais, pour Blanchot l’art de Woolf en est la démonstration, il faut encore se donner les moyens 76 A Françoise Collin 1. Esquisse de Maurice Blanchot, journaliste politique et critique littéraire, en 1937 Dans l’un des premiers journaux où il écrivait - le très belliciste Rempart de 1933, Maurice Blanchot avait constamment dénoncé la faiblesse de la politique extérieure de la France et, devant l’avènement du nazisme en Allemagne, il s’était insurgé de ce que l’on puisse rapporter à une simple option politique le sort que l’on y réservait aux juifs. Il le soulignait : « les persécutions barbares contre les juifs […] n’ont jamais eu de but politique déterminé » (Blanchot, 1er mai 1933). Cet antinazisme fondamental de Maurice Blanchot se combinait néanmoins à un virulent nationalisme qui le poussait, vis-à-vis de la politique intérieure de la France, à des prises de position de plus en plus extrêmes. En 1936, Blanchot était de ceux qui reprochaient au parlementarisme de s’abîmer dans une politique sociale jugée non seulement démagogique, mais surtout inconséquente, alors que la menace extérieure était de plus en plus manifeste ; bien plus, dans les journaux d’extrême droite très ardemment militants où il écrivait maintenant (Combat et L’Insurgé), Blanchot faisait désormais entendre des positions qui n’excluaient pas, en particulier contre Léon Blum (Bident, 1998 : 93) mais à l’occasion contre Julien Benda aussi, l’usage d’une rhétorique qui n’était pas dépourvue d’accents antisémites1. Cette ambivalence de l’écriture journalistique de Blanchot vis-à-vis de ce qu’il avait nommé les « puissances instinctives, la frénésie des passions » (Blanchot, 1er mai 1933) trouve son apogée en 1937. Au fil des mois qui ont suivi la victoire du Front populaire, Blanchot a conçu une véritable haine pour une République attentiste devenue de surcroît socialiste, en particulier à l’encontre de ce qu’il estimait être l’absence de politique étrangère du gouvernement vis-à-vis de l’Espagne (dans la mesure même où celui-ci n’osait pas assumer officiellement son soutien aux Républicains). En juillet, Blanchot affirmait encore que son pays aurait dû choisir son camp avec plus de détermination et surtout davantage de discernement puisque le soutien au régime de Franco aurait permis à la France de concurrencer en Espagne l’influence de l’Allemagne (Blanchot, 7 juillet 1937). C’est dire si à cette date Blanchot n’était pas près d’abandonner un combat dont le caractère « révolutionnaire » fait d’autant plus question aujourd’hui qu’il se distingue moins des aspirations sociales les plus conservatrices. Pourtant, à la rentrée parlementaire 1937, Blanchot se fait tout à coup plus discret : il ne signe plus d’articles ouvertement politiques (jusqu’au mois de juillet 1940 où il sera nommément directeur de trois numéros nettement maréchalistes du journal Aux Ecoutes)2. A ce silence soudain, des raisons d’ordre juridique ne sont pas à négliger : des condamnations ont été prononcées à l’encontre de la presse d’extrême droite, Maurras a été incarcéré le 23 mai 1937 et les journaux où Blanchot écrit sont en passe de cesser de paraître ; L’Insurgé a été trois fois inculpé et saisi à partir du mois de mars 1937 - notamment pour « provocation au meurtre et à la violence » (Bident, 1998 : 93) et le principal actionnaire du journal, Jacques Lemaigre-Dubreuil - lequel finance parallèlement La Cagoule - préfère une autre stratégie politique que la bataille judiciaire3. De plus, le gouvernement du Front populaire est en partie revenu sur son inspiration initiale : un emprunt de défense nationale a été voté en mars, Blum, poussé à la démission, n’est plus au gouvernement depuis le mois de juin et les nouvelles réformes sociales ont été ajournées. Combat et L’Insurgé - principalement créés pour lutter contre l’avènement du Front populaire, ont perdu une bonne part de leur raison d’être. Synergies Royaume-Uni et Irlande n° 4 - 2011 pp. 75-84 David Uhrig 77 Désormais, les enjeux politiques prioritaires débordent largement le seul cadre national. Pour un journaliste comme Blanchot, il est temps de renouveler un mode de discours qui n’a plus besoin d’être péremptoirement offensif : la menace de la guerre est une réalité qui occupe maintenant toutes les consciences. La difficulté est plutôt de saisir au nom de quoi peuvent se fédérer les différentes oppositions au nazisme. A L’Insurgé, Blanchot peut continuer la critique littéraire qui, parallèlement à ses articles directement politiques, lui a permis de s’ouvrir à une réflexion sur l’actualité éditoriale. Devenant en ce mois de septembre 1937 l’ultime scène éditoriale de Blanchot, cette chronique littéraire se trouve donc rencontrer un contexte politique qui en renouvelle l’enjeu. 2. Les deux œuvres britanniques choisies par Blanchot Blanchot choisit de sortir du débat intellectuel strictement français. Il consacre à quinze jours d’intervalle deux comptes rendus à des auteurs anglais, l’un très célèbre alors, Aldous Huxley (Blanchot, 15 septembre 1937) et l’autre, encore considéré comme d’avant-garde, Virginia Woolf (Blanchot, 29 septembre 1937). Tous deux ont récemment été traduits en français et sont publiés cette année-là à Paris, le premier pour un roman paru en anglais l’année précédente seulement, Eyeless in Gaza (Huxley, 1936), la seconde pour une œuvre déjà publiée depuis six ans, The Waves (Woolf, 1931). La Paix des profondeurs (Huxley, 1937) a bénéficié de la constance de son traducteur chez Plon, Jules Castier ; Les Vagues (Woolf, 1937), malgré la difficulté du texte, ont finalement trouvé une traductrice en la personne de Marguerite Yourcenar qui publie chez Stock. Sur la quarantaine d’ouvrages que Blanchot a recensés pour la chronique littéraire de L’Insurgé, c’est la première fois qu’il est question d’auteurs anglophones. Jusque-là, Blanchot avait centré son attention principalement sur des auteurs français ; en cela, la critique littéraire de Blanchot était certainement marquée par l’option nationaliste du journal où il écrivait et il lui était peut-être difficile de s’émanciper de son activisme politique lorsqu’il écrivait par ailleurs sa chronique littéraire. Aussi, en consacrant à partir du mois d’août 1937 sa chronique à des auteurs étrangers, ici (Blanchot, 22 septembre 1937) à un auteur francophone (Charles-Ferdinand Ramuz), là (Blanchot, 25 août 1937) à un auteur germanophone (Rainer Maria Rilke), enfin à deux auteurs britanniques, il n’est pas exclu que Blanchot ait cherché à élargir l’horizon culturel des lecteurs de L’Insurgé. Cela dit, la comparaison d’Aldous Huxley à Virginia Woolf révèle en tant que telle la teneur de l’émancipation de Blanchot vis-à-vis du journalisme et l’ambition qu’il prétend donner à la littérature : à un Huxley « passionnant » du point de vue du « roman des notions » (Blanchot, 15 uploads/Litterature/ uhrig.pdf

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