UNE QUERELLE DES ANCIENS ET DES MODERNES Jean Jacquelin Ce papier a été publié

UNE QUERELLE DES ANCIENS ET DES MODERNES Jean Jacquelin Ce papier a été publié dans le magazine QUADRATURE n°61, pp.7-13, juillet 2006, édité par EDP Sciences, 17 av. du Hoggar, PA de Courtaboeuf, 91944 Les ULIS, France http://www.edpsciences.org/quadrature/ Illustration baroque et anachronique, ayant pour fond une peinture d’Albert Besnard [artiste français, 1849-1934]. « La Première d’Hernani, avant la bataille ». J.Jacquelin, « Une querelle des Anciens et des Modernes », 15/09/2005 2 UNE QUERELLE DES ANCIENS ET DES MODERNES Jean Jacquelin 1. AVANT-PROPOS Si vous évoquez « La querelle des anciens et des modernes » chacun pensera à cette controverse littéraire déclenchée par l’affirmation de la supériorité des Modernes sur les auteurs antiques. Souvenons-nous : Vers la fin du XVII ième siècle, les discussions érudites dégénérèrent rapidement en une polémique acerbe, particulièrement lorsque Charles Perrault, s'appuyant sur l'autorité de Descartes, élabora la théorie d'un double progrès: dans les arts et dans les sciences. Cette notion de progrès étant étendue au domaine moral, le débat masquait une opposition profonde sur le plan philosophique. Malgré Fénelon, qui donna une opinion nuancée dans sa Lettre sur les occupations de l'Académie française (1714), la querelle se poursuivit durant des décennies, à travers l'affrontement des Encyclopédistes (les Modernes) et des Classiques (les Anciens). Un événement marquant fut la violente bataille d'Hernani, au Théâtre-Français (1830), dont le souvenir a inspiré le peintre Albert Besnard (toile de 1903, Musée Victor Hugo, Paris). Avec le temps, les querelles deviennent moins dogmatiques. Le résultat fut de montrer qu'il y avait plus d'une forme possible pour atteindre à la beauté littéraire. Ce qui n’empêche pas que se poursuivent encore des polémiques périodiquement renouvelées, les écoles se multipliant et s'affrontant : les jeunes générations ne manquent pas de révéler des méconnus de la génération précédente et parfois de flétrir certaines des anciennes gloires. L’écrit polémique est l'instrument propre à la lutte des intelligences, indispensable au progrès de l'esprit humain. [1] Quel rapport ces évènements peuvent-ils bien avoir avec les mathématiques ? A-priori, aucun me direz-vous, si ce ne sont des analogies de comportement des acteurs dans leurs domaines respectifs. Est-il dans la nature de l’homme de se plaire à contredire les théories établies ? De se délecter à révéler des failles subtiles dans les raisonnements de ses prédécesseurs ? De trouver plaisir à railler les vieilles idoles et adorer de nouvelles ? Ou, au contraire, de jouir d’une argumentation classique soutenue mordicus et de se complaire dans la certitude et la sécurité du connu et de l’établi ? Cette dualité et les polémiques qu’elle suscite sont le moteur d’une évolution qui tend à renforcer et élargir les connaissances tout en préservant les valeurs sûres du passé. On ne saurait s’en plaindre, au fond, surtout pour des scientifiques. Par contre, sur la forme, il y aurait beaucoup à redire : Pourquoi ces attitudes suffisantes et ces propos parfois virulents ? Les sciences n’en sont malheureusement pas épargnées. Parlons un peu du calcul différentiel et intégral. Aïe, aïe, aïe, je vois se poindre le fameux dx et venir la controverse ! Je vois les uns jeter de l’huile sur le feu en parlant de bricolage, de méthode de physicien (sur un ton plutôt péjoratif). Et les autres leur répliquer qu’ils feraient mieux de s’occuper de problèmes concrets plutôt que de « couper les cheveux en quatre », comme savent si bien le faire les mathématiciens (sur un ton tout aussi péjoratif). Certes, débattons, mais pas de cette sorte ! Le calcul différentiel et intégral, tel sera notre propos. Un bien trop vaste sujet, dont nous nous contenterons des prémices, souvent avec naïveté et sans esprit polémique, si faire se peut… J.Jacquelin, « Une querelle des Anciens et des Modernes », 15/09/2005 3 2. CALCUL DIFFERENTIEL (AU SENS DE LEIBNITZ) Les débuts du calcul infinitésimal remontent à la fin du XVIième siècle. La théorie fut développée dans la seconde moitié du XVIIième simultanément, mais indépendamment, par Gottfried Wilhelm Leibnitz (1646-1716) et Isaac Newton (1643-1727) comme un calcul, c’est à dire une méthode facile à manier [2, p.441]. A cette époque, une fonction f(x) était expliquée comme une quantité variable qui dépend d’une autre quantité (x) variable. Cette notion de fonction était intimement associée à sa représentation graphique telle qu’un exemple est représenté figure 1, en coordonnées cartésiennes. Figure 1 : Tangente vue en tant que limite. Etant donnés un point fixe P (x, y=f(x)) et le point courant Pc (xc, yc=f(xc)), le « quotient différentiel » (∆y/∆x) était défini par : ( ) ( ) ( ) ( ) c c c c tg( ) c f x f x f x x f x y y y x x x x x x α − + ∆ − − ∆= = = = ∆ − − ∆ Si la fonction f(x) possède certaines propriétés telles que ce quotient différentiel tende vers une limite quand xc tend vers x, cette limite est appelée la dérivée de la fonction au point P (x, y=f(x)) et est notée : ) ( tg limite ) ( ' 0 α =       ∆ ∆ ≡ ≡ → ∆x x y dx dy x f Corrélativement, l’angle αc tend vers α et la droite (Tc) portant le segment PPc tend vers la tangente (T) à la courbe, au point P. J.Jacquelin, « Une querelle des Anciens et des Modernes », 15/09/2005 4 La fonction est dite dérivable au point P si et seulement si les limites du quotient différentiel, à droite et à gauche, existent et sont égales. La continuité est une condition nécessaire de dérivabilité, mais non suffisante. Il existe des fonctions continues en un point mais qui n’y sont pas dérivables. Qui plus est, Bernard Bolzano (1781-1848) a décrit un exemple de fonction partout continue mais dérivable nulle part dans un intervalle. Ceci constitue de sérieuses pierres d’achoppement à la généralité de la théorie. De plus, les infinitésimaux dx et dy , qui ont été interprétés intuitivement comme des ∆x et ∆y infiniment petits, allaient susciter beaucoup d’interrogations, voire de suspicion. L’écriture formelle dx dy ( le rapport entre deux infiniment petits ) parait des plus équivoque. Mais n’anticipons pas. 3. CALCUL INTEGRAL (AU SENS DE RIEMANN) Bien avant Riemann, le calcul de l’aire d’une surface limitée par une courbe fermée ou du volume d’une région limitée par une surface fermée avait conduit à considérer un processus limite en approchant la surface ou la région considérée de plus en plus finement par des méthodes élémentaires. Déjà au XVIIième siècle, avec Kepler (1571-1630) et avec le principe de Cavalieri (1598-1647), on parlait de méthode exhaustive lors de décompositions en domaines élémentaires. Parmi les précurseurs, il faut citer Guldin, Descartes, Fermat, Wallis, Pascal : pour plus d’informations, voir [3]. C’était avant que Leibnitz et Newton ne construisent indépendamment et presque simultanément une méthode satisfaisante d’intégration pour le calcul des aires et des volumes. Néanmoins, on doit encore qualifier d’intuitive la méthode consistant à approcher l’aire (A) par des valeurs inférieures ou supérieures à l’aide de polygones en escalier (figure 2), en prenant des précautions évidentes pour le découpage au voisinage des extremums : 1 1 0 0 j n j n j j j j j j m x A M x = − = − = = ∆ ≤ ≤ ∆ ∑ ∑ avec les notations suivantes : ( ) ( ) ) ( ), ( inf ) ( ), ( sup 1 1 1 j j j j j j j j j x f x f m x f x f M x x x + + + = = − = ∆ Figure 2 : Encadrement par sommes inférieures et supérieures. J.Jacquelin, « Une querelle des Anciens et des Modernes », 15/09/2005 5 Si la fonction f(x) possède certaines propriétés, l’approximation s’améliore lorsque la taille des pas diminue, de telle sorte que la somme des aires inscrites d’une part et circonscrites d’autre part, tendent vers une limite commune [2, p.482]. Si tel est le cas, la limite est appelée l’intégrale définie de la fonction entre x0=a et xn=b. Elle est notée : 0 1 1 0 0 0 0 ( ) lim lim n j n j n x j j j j x j j x x j j f x dx m x M x = − = − = = ∆ → ∆ →     = ∆ = ∆         ∑ ∑ ∫ Là encore, le dx qui apparaît a été interprété intuitivement comme un ∆x infiniment petit et le signe somme est compris comme un sigma étendu à un infiniment grand nombre (n) de termes élémentaires, ce qui a été vu avec beaucoup de méfiance, pour ne pas dire de défiance et à juste titre. En ces temps, on montre plus qu’on ne démontre et il ne viendrait pas à l’idée de considérer une fonction qui ne soit pas uniformément continue [4, p.11]. Cette condition est uploads/Litterature/ une-querelle-des-anciens-et-des-modernes.pdf

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