Université de Montréal Usages de l’épistolaire dans le roman libertin du XVIIIe
Université de Montréal Usages de l’épistolaire dans le roman libertin du XVIIIe siècle (Crébillon fils, Rétif de la Bretonne, Laclos) par Elsa Pinon Département des littératures de langue française Facultés des arts et des sciences Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Maître ès Arts (M.A.) en Littérature de langue française Août 2016 © Elsa Pinon, 2016 i Résumé La scène littéraire du XVIIIe est marquée par la profusion des romans épistolaires et libertins, qui connaissent un succès parallèle. Par l'imposition d’une structure communicationnelle propre à la lettre, le roman épistolaire trouve la voie de l'introspection et de la subjectivité et prend progressivement certaines libertés quant à l'expression de la passion : si La Nouvelle Héloïse de Rousseau et les romans anglais tels que la Clarissa de Richardson contribuent à accroître la popularité du roman par lettres, la quantité de romans épistolaires qui délaissent le thème de l’amour « pur » au profit de la peinture des exploits libertins témoigne de l’engouement du public pour ce genre nouveau. Selon nous, le roman épistolaire libertin relève d’une association particulièrement probante qui fait de la lettre le support privilégié du récit des anti-héros libertins. La recherche d’authenticité en littérature fait de la lettre un moyen d’expression privilégié, tandis que les conséquences d’une société en pleine mutation occupent une place particulière dans les récits libertins. Nous postulons une adéquation spécifique entre les deux genres : la subjectivité de la lettre permet au libertin de s’exprimer sans filtre narratif, tandis que le principe libertin de l’intrusion d’un tiers (dans les aventures amoureuses ou, comme ici, dans la correspondance) permet au lecteur de prendre connaissance de l’ensemble des lettres. Notre étude portera sur trois romans qui associent de différentes façon la parole du libertin à l’épistolaire : Les Heureux Orphelins de Crébillon, Le Paysan et la Paysanne pervertis de Rétif de la Bretonne et Les Liaisons dangereuses, de Laclos. Mots-clés : Littérature française, XVIIIe siècle, Crébillon, Rétif de la Bretonne, Laclos, Libertinage, Épistolaire ii Abstract The eighteen-century literary scene is marked by the success of both epistolary and libertine novels. Through the imposition of a communicational structure specific to letters, the epistolary novel deals with introspection and subjectivity, and takes some liberties with the expression of passion: if La Nouvelle Héloïse by Rousseau and English novels such as Clarissa by Richardson contribute to the popularity of the epistolary novels, the aforementioned novels forgo the theme of “pure” love in order to describe the exploits of libertine characters. This major shift provokes the interest of the public towards this new genre. We think that letters are used as the favoured medium for the libertine’s narrative because of the successful combination of epistolary and libertine novels. The search for authenticity in literature makes letters the most pertinent means of expression, while the consequences of a changing society occupy a particular place in libertine novels. We suggest a specific compatibility between the two genres: the subjectivity that is inherent in letters allows the libertine character to express himself without any apparent narrative filter, and the libertine’s principle of intrusion allows the reader to access all the letters. The novels in our study (Les Heureux Orphelins by Crébillon, Le Paysan et la Paysanne pervertis by Rétif de la Bretonne et Les Liaisons dangereuses by Laclos) each associate the libertine’s speech and epistolarity in a different way. Keywords : French Literature, XVIIIth century, Crébillon, Rétif de la Bretonne, Laclos, libertinage, Epistolarity iii Table des matières Résumé..........................................................................................................................................i Abstract ........................................................................................................................................ ii Remerciements............................................................................................................................ iv Introduction ................................................................................................................................. 1 1. Typologie des oeuvres ........................................................................................................ 7 1.1. L’hybridité d’un roman à double composition – Les Heureux Orphelins .................. 8 1.2. La tentation du romanesque dans la lettre – Le Paysan et la Paysanne pervertis .... 12 1.3. Le roman épistolaire total – Les Liaisons dangereuses ............................................ 17 2. Lettre et libertinage : des « mécanismes » identiques ? .................................................... 22 2.1. L’illusion de l’authenticité ........................................................................................ 23 2.2. L’épistolaire entre intime et dévoilement : la place du lecteur ................................. 31 2.3. Le temps et l’espace dans le roman épistolaire : un cadre au service du libertinage 37 2.1.1 Une poétique de l’immédiateté ............................................................................. 38 2.1.2 Un espace qui favorise la promiscuité .................................................................. 43 2.4. L’intellectualisation de la jouissance ........................................................................ 50 3. Entre théâtralité et épistolarité .......................................................................................... 57 3.1. La double adresse...................................................................................................... 58 3.2. La construction de soi du personnage libertin .......................................................... 63 3.3. La liaison galante : un script écrit à l’avance............................................................ 74 Conclusion ................................................................................................................................ 82 Bibliographie.................................................................................................................................i iv Remerciements Je souhaite avant tout remercier M. Ugo Dionne, mon directeur de recherche, dont la patience, les encouragements et les conseils éclairés m’ont permis de mener à bien ce travail. Mes chaleureuses pensées se tournent également vers Mme Catherine Ramond, qui a été la première à me suivre et à me guider dans ce projet. Je tiens également à adresser mes remerciements aux membres du jury, M. Benoît Melançon et M. Éric Méchoulan, dont l’avis critique permettra de mener à terme ce mémoire. Enfin, je tiens à remercier ma famille et mes amis, pour leur soutien, avec une pensée particulière pour Charles et Kévin qui se sont montrés d’une aide précieuse et envers qui je suis infiniment reconnaissante. Introduction En 1754, paraît Les Heureux Orphelins, roman hybride de Crébillon fils dans lequel il met en scène les aventures de Chester, jeune lord de retour à la cour d’Angleterre après plusieurs années à parfaire son éducation libertine en France. Par sa forme, qui mêle narration à la troisième personne et correspondance, le roman pose la question de la pertinence du passage d’un mode narratif à l’autre. En effet, à la lecture de l’œuvre, nous constatons que la répartition entre la narration classique et l’épistolaire coïncide avec la prise de parole du héros libertin, qui ne s’exprime que par lettres : Chester entretient une correspondance avec son formateur, le duc de ***, resté en France, dans laquelle il l’informe de ses exploits et de ses déconvenues. Le roman de Crébillon est, parmi ceux de notre corpus, celui qui associe le plus directement la parole du libertin à l’épistolaire. Crébillon aurait-il perçu une nécessité épistolaire propre à l’expression de la parole libertine ? Au XVIIIe siècle, les deux courants, épistolaire et libertin, se taillent une place sur la scène littéraire française, influençant les œuvres d’auteurs comme Crébillon, mais aussi Rétif de la Bretonne ou Choderlos de Laclos. Ceux-ci réunissent les deux genres en une seule forme littéraire, donnant naissance au « roman épistolaire libertin », sur lequel portera notre travail. Nous pourrions définir le roman épistolaire libertin comme un roman composé, entièrement ou essentiellement, des lettres de personnages qui apparaissent comme des « débauchés de 2 qualité1 » ; ils évoluent dans une (plus ou moins) haute société dont ils respectent – en apparence – les codes langagiers et comportementaux, tout en cherchant à s’affranchir des contraintes de leur siècle. Manipulateurs, les séducteurs et séductrices tissent un réseau de correspondances qui permet d’éclairer les mécanismes de la séduction grâce aux confidences qu’ils se font dans les lettres. Les Heureux Orphelins se présente ainsi comme un roman « imité de l’anglais2 », racontant (entre autres) les entreprises amoureuses de Chester. Décidé à faire en sorte que « toute l’Angleterre change de face entre [s]es mains3 », Chester s’attaque simultanément à trois jeunes femmes de la cour : la duchesse de Suffolk, Mme de Pembrook et Mme de Rindsey. Edmond et Ursule, les deux protagonistes du Paysan et la Paysanne pervertis4 de Rétif, sombrent pour leur part dans le libertinage en suivant les conseils – essentiellement épistolaires – de Gaudet d’Arras, un moine défroqué: pour lui, la seule façon d’atteindre le bonheur « est de dépouiller tous ces préjugés, de briser ces entraves d’une éducation mesquine, qui nous courbent sous leur joug5 ». Enfin, dans Les Liaisons dangereuses, paru en 1782, Valmont et Merteuil mènent la correspondance, entraînant dans leur chute les cibles de leurs projets particuliers, soit Cécile la jeune innocente, Tourvel la femme mariée et vertueuse qui découvre l’amour à ses dépens… et 1 Béatrice Didier, Le siècle des Lumières, Paris, MA édition, 1986, p. 336. 2 En référence au roman d’Eliza Haywood, The Fortunate Foundlings, duquel Crébillon puise l’inspiration pour la situation initiale de son roman. 3 Crébillon fils, Les Heureux Orphelins : histoire imitée de l’anglais : roman, Paris, Desjonquères, 1995 [1775], p. 158. 4 Initialement parus séparément, Le Paysan paraît en 1775, suivi en 1784 par La Paysanne. Les deux romans seront réunis en un seul double roman qui présente le pendant féminin et masculin du libertinage, commercialisé dès 1787. 5 Rétif de la Bretonne, Le Paysan perverti, présenté par Norbert Crochet, 2010, p. 295. URL : http://books.google.fr/books?isbn=1445261545 3 bien d’autres qui seront les victimes « collatérales » des ambitions des libertins. Les conquêtes des libertins se soldant – presque toujours – par la relation sexuelle qui valide le succès de l’entreprise, le plaisir trouve ici une place en littérature : l’expérience sensible et subjective devient un accès à la connaissance et c’est au sein de cette uploads/Litterature/ usages-de-l-x27-epistolaire-dans-le-roman-libertin-du-xviiie-siecle.pdf
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- Publié le Jui 23, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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