Littérature : textes théoriques et critiques, N. Toursel et J. Vassevière LA PO

Littérature : textes théoriques et critiques, N. Toursel et J. Vassevière LA POESIE • La poésie est tjrs apparue comme un genre noble, un mode d'expression doté de caractéristiques et de pouvoirs spécifiques conférant d'emblée à son auteur le statut d'artiste promis à la postérité. Au roman, la poésie opposait une forme socialement reconnue, codifiée, définie comme le produit d'une élaboration artistique et l'expression authentique de la sensibilité ou de la sagesse d'un homme. • Le langage poétique revêt un caractère de nécessité parce qu'il prend en compte le signifiant. Selon Valéry, « l'apparence de couler librement d'une source est donnée à un discours plus riche, plus réglé, plus relié et composé que la nature immédiate n'en peut offrir à personne. C'est à un tel discours que se donne le nom d'inspiré » (Rhumbs). Une telle conception de la poésie va à l'encontre du lyrisme romantique, construit autour de l'image du poète exprimant directement et sincèrement ses sentiments. Elle encourage le formalisme, auquel s'oppose un lyrisme élargi, mettant en relation le poète et le monde. ▪ Toutefois, la voix qui dit je dans le poème, le « sujet lyrique », n'est plus confondue avec la personne de l'écrivain. • De mm, la figure et le rôle du poète changent selon la conception que l'on se fait de la création poétique, fruit d'une inspiration, d'un travail conscient ou d'une forme de dédoublement du sujet. La spécificité du lge poétique amène à se poser la question de sa réception. La conception que l'on peut se faire de la lecture du poème varie selon qu'on le considère comme un texte autonome ou un txt polysémique qui sollicite l'activité herméneutique du lecteur. Les fonctions attribuées au poète découlent directement des réponses qui ont été données aux questions concernant le langage et la création poétiques, le rap au monde et au lecteur. I/ Le langage poétique • Il ne semble pas possible de définir la poésie indépendamment d'une réflexion sur le langage. Ainsi, sa spécificité est le plus svt définie, au plan de ses modes de fonctionnement, par comparaison avec la prose. ▪ La poésie constitue un autre état de la parole que le discours ordinaire : le vers, par sa forme parfaite qui associe le son et le sens suggère « l'Idée » de l'objet évoqué (Mallarmé) • Selon Valéry, la prose est subordonnée à l'idée, au sens, dont elle a pour fonction d'assurer la formulation et la transmission. Elle « expire à peine entendue », puisque le sens « est l'objet, la loi, la limite d'existence de la prose pure ». Au contraire, « c'est [...] la forme unique qui ordonne et survit » dans le lge poétique. ▪ Fondé sur le son, le rythme, les « rapprochements physiques des mots », il ne se réduit pas au sens à transmettre. C'est dc la forme, « unique et nécessaire expression de l'état ou de la pensée, [...] qui est le ressort de la puissance poétique ». • Sartre part du même constat : la poésie n'utilise pas les mots de la mm manière que la prose. Les poètes sont des hommes qui refusent d'utiliser le langage comme « instrument », qui considèrent « les mots comme des choses et non comme des signes ». ▪ Le mot pour le poète est signification « naturelle », « coulée dans le mot, absorbée par sa sonorité ou par son aspect visuel ». Le mot n'est plus le « signe » d'un aspect du monde mais son « image », une image qui « représente la signification plutôt qu'[elle] ne l'exprime ». Le lge poétique établit ainsi « entre le mot et la chose signifiée un double rapport réciproque de ressemblance magique et de signification ». Cette « remotivation du signifiant » (Aquien) constitue une spécificité du lge poétique. • Le lge poétique n'est pas réductible à la versification. Le poème en prose, en apparence anarchique, élabore une forme aboutie en travaillant le lge et en lui donnant des lois. ▪ Le mot deviennent des objets esthétiques. Ponge entend leur donner « une condition plus noble que celle de simples désignations », d'où l'attention portée à leur matérialité graphique et sonore ; d'où aussi le désir de leur restituer, par la recherche de l'impropriété, une chaleur et une sensualité dont les prive, dans la communication courante, leur réduction à une signification abstraite. • La question se pose de savoir quelle est la visée du discours poétique dans la poésie moderne : la connaissance ou la transgression (Bonnefoy) ; l'expression d'un contenu ontologique ou le jeu sur le langage (Leuwers). A/ Stéphane Mallarmé, Crise de vers (1896) • Mallarmé a défini sa poétique symboliste dans plusieurs écrits. Il s'est opposé aux Parnassiens qui, « en présentant les objets directement », on traité leurs sujets en « vieux rhéteurs » : « il faut au contraire qu'il n'y ait qu'allusion » (Entretiens avec Jules Huret) La poésie a partie liée avec l' « énigme » : « Nommer un objet, c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite de deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve. C'est le parfait usage de ce mystère qui constitue le symbole : évoquer petit à petit un objet pour montrer un état d'âme, ou, inversement, choisir un objet et en dégager un état d'âme, par une série de déchiffrements » Le poète a développé sa réflexion sur l'usage de la langue dans Crise de vers, synthèse de plusieurs articles antérieurs. Mallarmé s'y réclame d' « un Idéalisme qui (pareillement aux fugues, aux sonates) refuse les matériaux naturels et, comme brutale, une pensée exacte les ordonnant ». ▪ Le discours ordinaire a « une fonction de numéraire » : il est totalement dévalorisé par rap à la litté. « Parler n'a trait à la réalité des choses que commercialement : en littérature, cela se contente d'y faire une allusion ou de distraire leur qualité qu'incorporera quelque idée ». • La poésie est rapprochée de « la Musique » dans le rêve de la création d'un langage motivé (cf. Sartre) qui accorderait le son et le sens et porterait « l'intellectuelle parole à son apogée ». ▪ L'acte de nomination ne livre pas l'objet ; la parole poétique, produit d'un travail qui élimine tout hasard et donne au vers sa cohérence et sa musicalité, peut exprimer « la notion pure » sous une forme sensible. Séparer le double état de la parole • « mon sens regrette que le discours défaille à exprimer les objets par des touches y répondant en coloris ou en allure, lesquelles existent dans l'instrument de la voix » « L'œuvre pure implique la disparition élocutoire du poète, qui cède l'initiative aux mots, par le heurt de leur inégalité mobilisés ; ils s'allument de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries, remplaçant la respiration perceptible en l'ancien souffle lyrique ou la direction personnelle enthousiaste de la phrase ». « Je me figure [...] que nous en sommes [...] à rechercher [...] un art d'achever la transposition, au Livre, de la symphonie ». « Un désir indéniable à mon temps est de séparer comme en vue d'attributions différentes le double état de la parole, brut ou immédiat ici, là essentiel ». « A quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant ; si ce n'est pour qu'en émane, sans la gêne d'un proche ou concret rappel, la notion pure ». « Le dire, avant tout, rêve et chant, retrouve chez le Poëte [...] sa virtualité. Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire, achève cet isolement de la parole ». Langage – Son / Sens – Vers • La poésie remédie « au défaut des langues » qui ne peuvent exprimer l'objet par des « touches » sensibles (la consonance des mots n'y est pas porteuse de sens). Son pouvoir, né de sa capacité à traiter musicalement la phrase en lui donnant une cohérence fondée sur le rythme et les sonorités, lui permet de surprendre le lecteur en évoquant dans son esprit la « notion pure » de l'objet. B/ Paul Valéry, « Commentaires de Charmes » (1936) • Valéry a élaboré une véritable théorie des fonctions du langage en rapport avec ses recherches poétiques. Il oppose la prose et la poésie, en tant qu'utilisations radicalement différentes du langage, tant au plan de leurs modes de fonctionnement que de leurs finalités. • La « forme unique » de la poésie ne se laisse jamais oublier au profit de son seul sens. On retrouve ici la spécificité de la fonction poétique du langage telle que la définit Jakobson, dans ses Essais de linguistique générale : « l'accent mis sur le message pour son propre compte ». « C'est ici la forme unique qui ordonne et survit... » • « La poésie n'a pas le moins du uploads/Litterature/ la-poesie-litterature-textes-theoriques-et-critiques-toursel-et-vasseviere.pdf

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