FRANC Léonor Histoire de la littérature (lundi 17h-19h) Commentaire : Monsieur
FRANC Léonor Histoire de la littérature (lundi 17h-19h) Commentaire : Monsieur Prudhomme, extrait des Poèmes saturniens de Verlaine Notre commentaire portera sur le sonnet « Monsieur Prudhomme » de Verlaine. Ce poème est extrait du recueil Poèmes saturniens, publié en 1866. Monsieur Prudhomme est un personnage caricatural du bourgeois français créé par Henry Monnier, dont Verlaine s’est visiblement inspiré pour écrire son sonnet. Ce personnage incarne le bourgeois solennel, désireux de suivre l’évolution de son siècle et persuadé de posséder des lumières sur beaucoup de choses. Il est niais et moralisateur. Comment Verlaine arrive-t-il à nous donner un portrait de ce personnage comique, maintes fois dessiné et mis en scène par Henry Monnier ? A la lecture de ce sonnet, nous nous rendons compte que Verlaine ne se contente pas de nous dessiner une caricature : il nous propose une satire subtile d’un bourgeois grotesque. L’étude des moyens artistiques qui le font parvenir à dresser ce portrait fera l’objet d’une première partie. Puis nous remarquerons que se dessine en creux un autre portrait : celui du poète, opposé à monsieur Prudhomme. Ainsi, à travers la moquerie d’un bourgeois ridicule, il apparaîtra en filigrane un véritable plaidoyer en faveur du poète, révélé par certains thèmes phares du romantisme : le refus des convenances sociales, le mépris du pouvoir, l’amour de la nature ou encore la revendication d’une écriture libre. « Il est grave », commence par écrire Verlaine. Ainsi, le ton est donné : la solennité de monsieur Prudhomme se reflètera dès le premier vers grâce à une rythmique très ordonnée, l’alexandrin permettant parfaitement de décliner chaque trait du personnage. Le portrait sera aussi ordonné physiquement tout au long de ce quatrain : le « et » du quatrième vers conclura un tableau allant du « faux col » (v.2) à « l’oreille » pour finir aux « pantoufles » (v.4). De plus, dès le premier vers, Verlaine n’omettra pas de nous donner des informations aussi bien physiques que morales (« grave » pouvant avoir ces deux fonctions) pour réaliser une présentation complète du personnage. Verlaine commence donc par nous faire part de la gravité dont fait preuve monsieur Prudhomme. La gravité semble peser (gravis, lourd) autant sur lui que sur le vers chargé par une allitération en « r ». En déclinant simplement et solennellement ce bourgeois en trois traits (« grave », « maire », « père de famille »), Verlaine semble en faire un résumé avant de le faire rentrer en scène. Ce résumé s’avérera aussi simple que le personnage : monsieur Prudhomme peut être présenté physiquement et moralement (« grave »), puis situé dans la société et dans la famille, en dix mots seulement, sans que le portrait nous semble approximatif. De plus, il peut se définir uniquement par le pouvoir qu’il exerce, que ce soit à l’égard de ses enfants ou de ses concitoyens (qu’on imagine d’ailleurs traités sans distinction). Ainsi semble-t-il avoir du poids aussi bien physiquement que moralement. Si la satire ne nous paraît pas encore évidente dans ce premier vers, peut-être pourrions-nous la voir s’esquisser dans le jeu de mot « maire et père » qui met à mal l’apparente gravité de ce début de portrait. Au deuxième vers, Verlaine commence véritablement sa caricature. Le « faux col engloutit » l’oreille de monsieur Prudhomme, qu’on imagine désormais engoncé, la tête suffisamment petite pour être aspiré par son propre costume. Cette image permet à Verlaine de se moquer à la fois de son apparence physique et du pouvoir que symbolise son costume. Le portrait que dessine Verlaine pourra nous faire penser à monsieur Bertin, bourgeois pataud peint par Jean-Auguste-Dominique Ingres en 1832, dont le cou, masqué par un double-menton, semble aussi disparaître dans son costume. La représentation d’un physique ridicule met à mal la solennité et la fierté affichée dans son regard. Dans ce deuxième vers, Verlaine également gâte l’apparence respectable du bourgeois. Cette rupture se manifeste dans la versification : la phrase se termine sans avoir compléter l’alexandrin. De plus, nous sommes contraints de prononcer le « e » muet à « oreille » ce qui contribue à rendre la versification encore plus bancale. Ainsi Verlaine nous laisse subtilement entendre la dégradation soudaine du portrait de monsieur Prudhomme, en insérant cette ponctuation qui fait tache dans le tableau. Par ailleurs, cette ponctuation met en relief les termes « ses yeux ». Les yeux sont censés être ce qui laisse transparaître l’âme d’une personne, ce qui en dit le plus sur notre pensée. Qu’en est-il de monsieur Prudhomme ? Le lecteur est mis en alerte puisque le vers se termine par un contre-rejet. Verlaine nous révèle que les yeux de monsieur Prudhomme sont « insoucieux » (v.3). Ce terme est mis en valeur de trois manières : il est écrit à la fin de la rime, présente une diérèse, et étonne le lecteur par sa liaison inhabituel avec le mot « flottent » qui le précède. Monsieur Prudhomme est-il capable de rêver à la manière des poètes romantiques ? Le terme « insoucieux » donne plutôt l’image d’un homme sûr de lui, imbu de lui-même, correspondant à l’image du personnage inventé par Henry Monnier. Il ne serait pas bohème, mais sans souci. Pour donner davantage d’arguments à notre point de vue, nous pourrions noter que l’allitération en « t » (v.3) rend lourd et difficile un rêve qui d’habitude suggère la légèreté et la finesse. La possible ambiguïté sera levée au vers huit : le « rêve » (v.4) de monsieur Prudhomme est un « songe » (v.8) qui porte sur des intérêts. Monsieur Prudhomme ne fait pas preuve d’une imagination fantaisiste : il est pragmatique. Il ne rêve pas du « printemps en fleur » (v.4), mais d’argent, puisqu’il compte « marier sa fille » à « un jeune homme cossu » (v.9). Son rêve « sans fin » annoncé au vers trois est désormais compris comme un rêve d’agrandissement illimité de son pouvoir. Enfin, ce rêve s’éloigne définitivement du rêve romantique puisque monsieur Prudhomme est insensible face au spectacle de la nature décrit des vers cinq à six. En effet, on ne peut douter du caractère rhétorique de la question : « Que lui fait l’astre d’or, que lui fait la charmille […] et les gazons silencieux ? ». La longue description de l’incroyable spectacle de la nature permet ainsi de contraster avec le dessin utilitaire de monsieur Prudhomme, et de rendre ce dernier ridicule aux yeux du lecteur. Enfin, l’apparition de « monsieur Machin » parachève la satire de Verlaine. Le rythme parfaitement régulier des alexandrins des vers neuf et dix évoque la régularité d’une vie toute tracée, conventionnelle. Cette régularité du métronome est bien vite mise à mal par Verlaine quand celui-ci fait sortir le bourgeois de ses gonds. En effet, alors qu’il s’emporte contre les poètes, la rythmique elle- aussi perd de son sérieux. Le rejet entre le vers douze et treize souligne cette rupture : Monsieur Prudhomme est comme obligé de reprendre son souffle après cette longue énumération d’insultes à l’égard des poètes. Ainsi, non seulement le rejet permet de mettre en valeur les termes « plus en horreur » (v. 13) et de souligner la colère sauvage de Monsieur Prudhomme, mais aussi toute la rythmique des vers onze à treize confère un caractère théâtral à l’extrait. Peut-être Verlaine veut-il faire songer aux pièces d’Henry Monnier ? A partir du onzième vers, le lecteur a l’impression de lire un discours indirect libre, de voir parler le personnage (le terme « quant » rappelle néanmoins que Verlaine est narrateur). En effet, les injures semblent être directement prononcées par le bourgeois, dont les « ces » sont éminemment péjoratifs (le iste latin). L’énumération fleuve, incontrôlée, nous laisse imaginer monsieur Prudhomme poursuivant les poètes avec un bâton, avant de finir essoufflé. Enfin, l’apparition de monsieur Machin permet également de nous faire voir à quel point tous les bourgeois semblent être identiques. Le terme « Machin » montre à quel point ce personnage n’a aucune personnalité. De plus, le « il » du vers douze est quelque peu ambigu. A qui renvoie-t-il ? Vraisemblablement à monsieur Prudhomme, cependant le fait que grammaticalement (et dans le cadre du texte) ce « il » puisse se rapporter à monsieur Machin est intéressant : monsieur Machin est une copie conforme de monsieur Prudhomme. Ce dernier veut un gendre à son image. La reprise du vers quatre au vers quatorze peut également connoter ce manque d’originalité. La satire de Verlaine est subtile au-delà de l’effet comique qu’elle provoque. De manière indirecte mais parfaitement visible, l’auteur fait l’éloge des poètes en montrant à quel point ceux-ci sont méprisés par un homme ridicule. La comparaison explicite avec les poètes est annoncée au vers onze, néanmoins on en trouve déjà l’esquisse au deuxième quatrain, lorsque Verlaine décrit la splendeur de la nature. Chaque syntagme des vers cinq à sept participe d’un éloge romantique de la nature : « l’astre d’or », les « prés verts », les « gazons uploads/Litterature/ verlaine.pdf
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- Publié le Apv 09, 2022
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