ISBN : 978-2-13-078562-0 Dépôt légal – 1 re édition : 2016, mai © Presses Unive

ISBN : 978-2-13-078562-0 Dépôt légal – 1 re édition : 2016, mai © Presses Universitaires de France, 2016 6, avenue Reille, 75014 Paris Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. REMERCIEMENTS Ce livre a bénéficié de nombreux conseils et commentaires. Je tiens à remercier ici tout particulièrement Frédéric Cherbonnier, Mathias Dewatripont, Augustin Landier, Patrick Rey, Paul Seabright, Nathalie Tirole, Philippe Trainar et Étienne Wasmer, qui ont lu tout ou partie de versions précédentes. Philippe Aghion, Roland Bénabou, Olivier Blanchard, Christophe Bisière, Paul Champsaur et Alain Quinet ont également fourni de précieux commentaires. Si ces lecteurs bienveillants ont beaucoup contribué à l’ouvrage, ils ne doivent être en aucun cas tenus responsables des erreurs éventuelles ou de ses lacunes. Comme tout livre, Économie du bien commun emprunte fortement à l’environnement intellectuel de l’auteur. Dans mon cas, les différentes institutions auxquelles j’appartiens, et en premier lieu bien sûr Toulouse School of Economics (TSE) et Institute for Advanced Study in Toulouse (IAST), l’institut pluridisciplinaire fondé en 2011 à l’université de Toulouse Capitole. Cet environnement intellectuel est un hommage à Jean-Jacques Laffont, quintessence de l’économiste et incarnation de la recherche du bien commun. L’influence intellectuelle de mes collaborateurs, qui ne sont évidemment pas non plus responsables des déficiences de cet ouvrage, s’y retrouve à quasiment chaque ligne. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec l’équipe des Presses Universitaires de France, et en particulier Monique Labrune, directrice éditoriale, qui a accompagné le processus d’élaboration avec talent et bonne humeur. Enfin, je voudrais remercier ceux et celles qui m’ont encouragé à écrire cet ouvrage. À commencer par les nombreuses personnes, parfois anonymes, qui m’ont fait prendre conscience de mon devoir de communiquer sur ma discipline au-delà d’un cercle de décideurs sans pour autant sacrifier la rigueur. AVANT-PROPOS Où est passé le bien commun ? Depuis le retentissant échec économique, culturel, social et environnemental des économies planifiées, depuis la chute du mur de Berlin et la mutation économique de la Chine, l’économie de marché est devenue le modèle dominant, voire exclusif d’organisation de nos sociétés. Même dans le « monde libre », le pouvoir politique a perdu de son influence, au profit à la fois du marché et de nouveaux acteurs. Les privatisations, l’ouverture à la concurrence, la mondialisation, le recours plus systématique aux mises aux enchères dans la commande publique restreignent le champ de la décision publique. Et pour celle- ci, l’appareil judiciaire et les autorités indépendantes de régulation, organes non soumis à la primauté du politique, sont devenus des acteurs incontournables. Pour autant, l’économie de marché n’a remporté qu’une victoire en demi- teinte, car elle n’a gagné ni les cœurs ni les esprits. La prééminence du marché, à qui seule une petite minorité de nos concitoyens font confiance, est accueillie avec fatalisme, mâtiné pour certains d’indignation. Une opposition diffuse dénonce le triomphe de l’économie sur les valeurs humanistes, un monde sans pitié ni compassion livré à l’intérêt privé, le délitement du lien social et des valeurs liées à la dignité humaine, le recul du politique et du service public, ou encore l’absence de durabilité de notre environnement. Un slogan populaire qui ne connaît pas de frontières rappelle que « le monde n’est pas une marchandise ». Ces interrogations résonnent avec une acuité particulière dans le contexte actuel marqué par la crise financière, la hausse du chômage et des inégalités, l’inaptitude de nos dirigeants face au changement climatique, l’ébranlement de la construction européenne, l’instabilité géopolitique et la crise des migrants qui en résulte, ainsi que par la montée des populismes partout dans le monde. Où est passée la recherche du bien commun ? Et en quoi l’économie peut- elle contribuer à sa réalisation ? Définir le bien commun, ce à quoi nous aspirons pour la société, requiert, au moins en partie, un jugement de valeur. Ce jugement peut refléter nos préférences, notre degré d’information ainsi que notre position dans la société. Même si nous nous accordons sur la désirabilité de ces objectifs, nous pouvons pondérer différemment l’équité, le pouvoir d’achat, l’environnement, la place accordée à notre travail ou à notre vie privée. Sans parler d’autres dimensions, telles que les valeurs morales, la religion ou la spiritualité sur lesquelles les avis peuvent diverger profondément. Il est toutefois possible d’éliminer une partie de l’arbitraire inhérent à l’exercice de définition du bien commun. L’expérience de pensée qui suit fournit une bonne entrée en matière. Supposez que vous ne soyez pas encore né, et que vous ne connaissiez donc pas la place qui vous sera réservée dans la société : ni vos gènes, ni votre environnement familial, social, ethnique, religieux, national… Et posez-vous la question : « Dans quelle société aimerais-je vivre, sachant que je pourrai être un homme ou une femme, être doté d’une bonne ou d’une mauvaise santé, avoir vu le jour dans une famille aisée ou pauvre, instruite ou peu cultivée, athée ou croyante, grandir au centre de Paris ou en Lozère, vouloir me réaliser dans le travail ou adopter un autre style de vie, etc. ? » Cette façon de s’interroger, de faire abstraction de sa position dans la société et de ses attributs, de se placer « derrière le voile d’ignorance », est issue d’une longue tradition intellectuelle, inaugurée en Angleterre au XVII e siècle par Thomas Hobbes et John Locke, poursuivie en Europe continentale au XVIII e siècle par Emmanuel Kant et Jean-Jacques Rousseau (et son contrat social), et plus récemment renouvelée aux États-Unis par la théorie de la justice du philosophe John Rawls (1971) et la comparaison interpersonnelle des bien-être de l’économiste John Harsanyi (1955). Pour restreindre les choix et vous interdire de « botter en touche » par le biais d’une réponse chimérique, je reformulerai légèrement la question : « Dans quelle organisation de la société aimeriez-vous vivre ? » La question pertinente n’est en effet pas de savoir dans quelle société idéale nous aimerions vivre, par exemple une société dans laquelle les citoyens, les travailleurs, les dirigeants du monde économique, les responsables politiques, les pays privilégieraient spontanément l’intérêt général au détriment de leur intérêt personnel. Car si, comme nous le verrons dans ce livre, l’être humain n’est pas constamment à la recherche de son intérêt matériel, le manque de prise en considération d’incitations et de comportements pourtant fort prévisibles, que l’on retrouve par exemple dans le mythe de l’homme nouveau, a mené par le passé à des formes d’organisation de la société totalitaires et appauvrissantes. Ce livre part donc du principe suivant : que nous soyons homme politique, chef d’entreprise, salarié, chômeur, travailleur indépendant, haut fonctionnaire, agriculteur, chercheur, quelle que soit notre place dans la société, nous réagissons tous aux incitations auxquelles nous sommes confrontés. Ces incitations – matérielles ou sociales – et nos préférences combinées définissent le comportement que nous adoptons, un comportement qui peut aller à l’encontre de l’intérêt collectif. C’est pourquoi la recherche du bien commun passe en grande partie par la construction d’institutions visant à concilier autant que faire se peut l’intérêt individuel et l’intérêt général. Dans cette perspective, l’économie de marché n’est en rien une finalité. Elle n’est tout au plus qu’un instrument ; et encore, un instrument bien imparfait si l’on tient compte de la divergence possible entre l’intérêt privé des individus, des groupes sociaux et des nations, et l’intérêt général. S’il est difficile de se replacer derrière le voile d’ignorance tant nous sommes conditionnés par la place spécifique que nous occupons déjà dans la société 1, cette expérience de pensée permettra de nous orienter beaucoup plus sûrement vers un terrain d’entente. Il se peut que je consomme trop d’eau ou que je pollue, non pas parce que j’en tire un plaisir intrinsèque, mais parce que cela satisfait mon intérêt matériel : je produis plus de légumes, ou j’économise des coûts d’isolation, ou je me dispense de l’achat d’un véhicule plus propre. Et vous qui subissez mes agissements, vous les réprouverez. Mais si nous réfléchissons à l’organisation de la société, nous pouvons nous accorder sur la question de savoir si mon comportement est désirable du point de vue de quelqu’un qui ne sait pas s’il en sera le bénéficiaire ou la victime, c’est-à-dire si le désagrément du second excède le gain du premier. L’intérêt individuel et l’intérêt général divergent dès que mon libre arbitre va à l’encontre de vos intérêts, mais ils convergent en partie derrière le voile d’ignorance. Un autre bénéfice de cet outil de raisonnement que représente l’abstraction du voile d’ignorance est que les droits acquièrent une rationalité et ne sont plus de simples slogans : le droit à la santé est une assurance contre la malchance d’avoir les mauvais gènes, l’égalité des chances devant l’éducation doit nous assurer contre les différences qu’induit l’environnement où nous naissons et grandissons, les droits de l’homme et la liberté sont des protections contre l’arbitraire des gouvernants, etc. Les droits ne sont plus des concepts absolus, que la société peut ou non accorder ; ce qui les rend plus opératoires, car en pratique ils peuvent être octroyés à des niveaux divers ou entrer en conflit uploads/Litterature/ jean-tirole-economie-du-bien-commun.pdf

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