La lettre volée et le vol sur la lettre Éric LAURENT Conférence prononcée au Co

La lettre volée et le vol sur la lettre Éric LAURENT Conférence prononcée au Cours de Jacques-Alain Miller : « L’expérience du réel dans la cure analytique » 1998-1999 (inédit). Publiée dans La Cause freudienne n° 43, « Les paradigmes de la jouissance » p. 22. La dernière fois que je me trouvais à cette place, à la fin du cours « L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique », Jacques-Alain MILLER parlait d’une possibilité de continuer le travail de sémi- naire qui s’était amorcé cette année-là. C’est bien ce qui vient à se réaliser aujourd’hui, puisque je conçois cette séance et l’offre qu’il m’a faite de parler aujourd’hui à l’heure de son Cours, comme une occasion de communiquer certains résultats de mon enseignement de cette année, à mi-par- cours de l’année universitaire. Je me suis proposé en effet d’étudier la fonction plus-Un chez LACAN, du moins certains aspects de cette fonction, en prenant en compte à la fois l’aspect trou et l’aspect plus-Un, que sous-tend l’utilisation ou la référence à la fonction du plus-Un. f(x) Trou +1 Schéma 1a Nous avons eu l’occasion, l’an dernier, d’aborder le lien de cette fonction plus-Un avec la place du père et le Nom-du-Père. Cette place de plus-Un est à approfondir pour le psychanalyste, spécia- lement dans la perspective du Séminaire V de LACAN, Les formations de l’inconscient, dans la pré- sentation actuelle qu’en a faite Jacques-Alain MILLER. Ce séminaire met en effet l’accent sur une place qui est extime au système de la langue, distinguée en tant qu’elle est hors système et pour- tant dedans. Cette place autorise les sens nouveaux qui se produisent à chaque fois que l’effet du mot d’esprit inscrit dans la langue un usage inédit ou une façon de parler nouvelle, et elle permet de les accueillir. Dans la perspective construite à partir de ce rôle d’admission que remplit la fonc- tion de plus-Un, je me suis demandé comment conjuguer celle-ci avec la fonction du psychana- lyste qui consiste à éditer le texte, à le ponctuer. f(x) Trou +1 Schéma 1b E.Laurent - La lettre volée et le vol sur la lettre - 1 Comment se conjoignent donc celui qui admet les sens nouveaux, l’effet de sens, et celui dont la pratique s’articule moins à l’effet de sens qu’à la scansion, sans négliger pour autant le fait que la scansion qu’implique l’édition du texte distribue bien sûr la signification et produit des effets de sens. Ce n’est pas, cependant, le tout de la définition de cette place centrée davantage sur la ponctuation que sur le sens. Et c’est dans cette perspective que j’ai repris la lecture de « Liturater- re », texte éminent dans la série des textes datés du début des années soixante-dix par LACAN, pour aborder la question de la place de la lettre, et celle de son rapport aux semblants et à l’effet de sens. J’ai repris « Lituraterre » d’autant plus qu’il m’est apparu, à ce moment-là, que Jacques-Alain MILLER, au début de son Cours de cette année, avait donné le mathème qui manquait à une lec- ture limpide de ce texte, qui n’est pas considéré, en général, comme un texte d’un accès facile. Double fonction de la lettre Le texte entier de « Lituraterre » est centré autour de deux aspects de la fonction de la lettre. La lettre en tant qu’elle fait trou, et la lettre en temps qu’elle fait objet (a). Lettre Trou (a) Schéma 2a Ce texte est articulé, en effet, autour d’une réflexion sur l’histoire de l’écriture, bien plus que d’une histoire de la littérature, une histoire de l’écriture à laquelle correspondent deux abords, deux apo- logues, deux modes de considération. Les deux abords de l’écriture correspondent aux deux traditions, l’occidentale et l’orientale, que LACAN examine l’une après l’autre. À chacun des deux modes d’écriture, alphabétique ou idéogra- phique, correspond un apologue. Pour le premier c’est « La lettre volée », pour le second je dirai que c’est une histoire d’eau : du haut de son avion, traversant le désert sibérien, LACAN voit des fleuves. Il m’est apparu qu’il s’agissait du même apologue, et en tout cas, il s’agit bien de saisir en quoi l’un et l’autre désignent, délivrent un message sur la lettre qui indique le même point. « Lituraterre » est explicitement la réécriture, dans les années soixante-dix, de « L’instance de la lettre dans l’inconscient », écrit dans lequel LACAN s’attachait aussi, mais autrement, à deux mo- des de l’écriture, le grec et le chinois. Ainsi s’évoque, à la page 504 des Écrits, l’opposition entre eux : « […] est-ce votre figure qui trace notre destin dans l’écaille passée au feu de la tortue, ou votre éclair qui fait surgir d’une innombrable nuit cette lente mutation de l’être dans l’Eν παντα du langage ». E.Laurent - La lettre volée et le vol sur la lettre - 2 Cette phrase fait référence à l’écriture chinoise dont tout le monde admet qu’elle dérive d’une pra- tique divinatoire consistant à mettre au feu des coquilles de tortues, et par le craquèlement qui s’y dessine, à deviner le destin, le message des dieux, l’écriture. Les chemins de l’écriture en Chine ont donc pris cet appui sur les pratiques divinatoires, dont vous savez à quel point la Chine en reste toujours embarrassée. Ainsi, l’immeuble de la banque de Chine à Hong-Kong a-t-il été récemment construit, après qu’on se fut livré à quelques pratiques divinatoires pour bien s’assurer de la circulation de différents fluides etc. Nous avons donc d’un côté, la divination des écailles de tortues passées au feu et de l’autre l’éclair, l’éclair héraclitéen qui fait surgir de la nuit la lente mutation de l’être et la façon dont le Un, se condensant en une phrase, vient nommer l’innombrable des choses. Ce passage de « L’instance de la lettre… » où LACAN nous confie sa méditation sur les différents modes selon lesquels l’être vient au langage, nous amène aux figures de la métaphore et de la métonymie, qui lui paraissent opérantes aussi bien, dit-il, dans la poésie chinoise que dans la poé- sie occidentale, et c’est la barre qui lui apparaît alors comme le véritable arbre qui organise la ré- partition entre elles. C’est ici que, dans « Lituraterre », LACAN va relire et réinterpréter cette place de la barre. Tandis qu’il la situait comme raison de l’inconscient, comme répétition : ou ça se répète par en dessous, et c’est la métonymie, La barre Métonymie Schéma 3a ou ça franchit la barre, et c’est la métaphore qui ponctue l’incessant glissement du signifiant sur le signifié. La barre Métonymie Métaphore Schéma 3b Lacan reconsidère son abord de façon amusante en disant ceci : « J’ai dit la lettre comme raison de l’inconscient, n’est-ce pas assez désigner dans la lettre ce qui à devoir insister n’est pas là de plein droit, si fort que de raison ça s’avance ». Il reprend donc, avec ce « de plein droit », l’algorithme saussurien S s Schéma 4a E.Laurent - La lettre volée et le vol sur la lettre - 3 et veut faire un pas de plus, une fois que la question a été déplacée et que son enseignement a été jusqu’à mettre ensemble métaphore et métonymie. Nous avons là un premier malentendu. Le malentendu, dit-il, c’est que, en 1970, il parle dans un contexte de promotion de l’écrit. Le contexte, c’est la mise en cause, différemment accentuée à l’époque par un certain nombre d’auteurs, (DERRIDA est le plus éminent d’entre eux, on peut aussi citer BARTHES, puisque LACAN y fait référence dans son texte, et, dans une moindre ou autre me- sure, Michel FOUCAULT) du structuralisme lévi-straussien, trop centré, selon eux, sur la phonologie structurale et sur le privilège, disent-ils, de la voix, de la parole. En effet le concert philosophique, qui était resté médusé par l’abord de LÉVI-STRAUSS pendant une dizaine d’années, commençait un come back, dont la conférence de DERRIDA sur FREUD, en 1966 à l’Institut de psychanalyse, devait marquer une scansion importante. LACAN, répond ici, sèche- ment, nettement et vigoureusement à DERRIDA, assez vigoureusement à BARTHES et il laisse de côté, enfin, d’autres auteurs. Dès le départ on peut alléger le malentendu. LACAN ne veut pas se mêler de la promotion de l’écrit. Il dit plutôt qu’il se réjouit du fait que c’est notre époque qui se met à lire vraiment RABELAIS. Il in- siste donc non pas sur la promotion de l’écrit, mais sur la lecture : lire RABELAIS. Que veut dire pour l’époque : lire RABELAIS ? C’est un monument déjà visité, et MICHELET en a fait le grand homme de la Renaissance. C’est cependant notre époque qui a focalisé la lecture de RABELAIS sur son rire. Ce sont les travaux du formaliste russe Michael BAKHTINE qui ont attiré l’attention des cri- tiques sur ce rire de RABELAIS. Au fond, RABELAIS comme homme d’esprit est connu à partir de la diffusion de ces travaux, produits en Russie vers la fin des années vingt et diffusés ensuite dans la uploads/Litterature/laurent-eric-lettre-la-lettre-volee-et-le-vol-sur-la-lettre.pdf

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