All Rights Reserved © Canadian University Music Society / Société de musique de

All Rights Reserved © Canadian University Music Society / Société de musique des universités canadiennes, 1984 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 1 mars 2021 05:12 Canadian University Music Review Revue de musique des universités canadiennes Vers une nouvelle anthropologie de l’art et de la musique À propos d’un ouvrage de Steven Feld : Sound and Sentiment Jean Molino Numéro 5, 1984 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1013943ar DOI : https://doi.org/10.7202/1013943ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Canadian University Music Society / Société de musique des universités canadiennes ISSN 0710-0353 (imprimé) 2291-2436 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Molino, J. (1984). Vers une nouvelle anthropologie de l’art et de la musique : à propos d’un ouvrage de Steven Feld : Sound and Sentiment. Canadian University Music Review / Revue de musique des universités canadiennes, (5), 269–313. https://doi.org/10.7202/1013943ar VERS UNE NOUVELLE ANTHROPOLOGIE DE L'ART ET DE LA MUSIQUE À propos d'un ouvrage de Steven Feld : Sound and Sentiment Jean Molino Le livre de Steven Feld, Sound and Sentiment (1982), est un livre merveilleux et fascinant : après ce livre, il n'est plus possible de comprendre la musique et la poésie des civilisations traditionnelles comme on les comprenait auparavant. Comme toute oeuvre réellement novatrice, l'ouvrage de Feld est si riche, pose tellement de problèmes, qu'il est difficile de faire un sort à tout ce qui le mériterait. Nous allons essayer de suivre le livre dans son développement en soulignant les points essentiels de son analyse en même temps que ceux qui nous semblent prêter à discussion. Au premier abord, l'ouvrage de Feld a de quoi surprendre le lecteur qui, ethnomusicologue ou non, s'attendrait à trouver dès les premières pages la description du système musical Kaluli. Or c'est à la suite d'un long et savant cheminement que l'auteur nous fait pénétrer dans la musique Kaluli : il commence par l'analyse d'un mythe, dont les thèmes vont servir de fil directeur à l'œuvre; il s'intéresse ensuite à la façon dont les Kaluli classent les diverses espèces d'oiseaux ; puis il analyse un chant de deuil ; il en arrive enfin, dans deux chapitres qui se répondent, à l'analyse du système poétique et du système musical avant de conclure par une réflexion générale sur l'esthétique Kaluli. Pourquoi ce que certains verraient peut-être comme un inutile détour? C'est que Steven Feld veut replacer la musique dans son contexte culturel. Mais ici aussi la surprise est grande; il ne s'agit pas, comme le fait le plus souvent l'ethnomusicologue, de décrire le contexte socio-culturel en général — fonctions et Revue de musique des universités canadiennes, N° 5, 1984 270 ancrage social de la musique —, mais de considérer la musique comme une pratique en même temps artistique et cognitive : les Kaluli pensent leur musique et leur musique les fait penser. Comprendre leur musique, c'est donc la plonger dans le système cognitif qui lui donne tout son sens. Aussi le livre de Feld aborde-t-il avec profondeur des sujets qu'une monographie d'ethnomusicologie n'a pas coutume de traiter et le lecteur doit faire l'effort de le suivre sur son terrain. Non seulement il ne perdra pas son temps, mais il aura, grâce à ce cheminement, changé sa conception de l'art et de la musique. Le lecteur et le critique sont en même temps obligés de s'arrêter sur l'analyse des mythes, sur l'étude des folk-taxonomies, sur l'emploi du concept de métaphore, à cause de l'intérêt propre de ces dévelop- pements et des problèmes qu'ils posent. Disons une fois pour toutes que le livre est écrit dans une langue à la fois claire et élégante, mais ce sont les idées de Steven Feld que nous brûlons maintenant de développer et de discuter. Elles le méritent ; suivons le guide ... * * * * Le chapitre I, The Boy who Became a Muni Bird, présente un mythe Kaluli : un enfant auquel sa sœur refuse à plusieurs reprises de donner une écrevisse est transformé en oiseau (muni) et s'envole en pleurant et chantant à la façon du muni. Pourquoi Steven Feld, parti pour étudier la musique d'une société de Nouvelle-Guinée, commence-t-il son étude par l'analyse d'un mythe? (...) le chapitre I (...) repose sur le structuralisme et l'analyse des mythes, présentant le mythe dont les thèmes constitutifs forment le sujet des chapitres essentiels de l'étude. L'analyse repose sur l'idée que le mythe est logiquement structuré selon trois paradigmes : la provocation, la médiation et la méta- phore, dans lesquels s'incarnent les sentiments sociaux, les oiseaux et les sons. Devenir un oiseau constitue la médiation des expressions du sentiment dans des formes sonores1 (p. 16). On pourrait concevoir la place centrale qu'occupe le mythe dans l'ouvrage de deux façons différentes : d'un côté, il s'agirait seulement d'accorder au mythe une fonction heuristique, le mythe analysé faisant apparaître des traits spécifiques de la culture étudiée, et fournissant une intuition à partir de 271 laquelle peuvent être facilement et commodément regroupés les thèmes envisagés par l'analyste. Mais d'un autre côté, le mythe peut être considéré comme dévoilant et fournissant le secret de la culture, offrant ainsi la clé qui ouvre un domaine essentiel de la culture, si ce n'est la culture dans sa totalité. Il nous semble que l'auteur hésite et ne choisit pas entre les deux attitudes ou plutôt suggère la seconde sans nous fournir assez d'arguments et de preuves, de sorte que le mythe finit par avoir une fonction plus rhétorique qu'analytique et démonstrative. Une première question se pose : quelle est la place de ce mythe dans l'ensemble de la mythologie Kaluli? Et l'on sait combien il est difficile de séparer le mythe de tous les autres récits diffusés dans une culture. L'auteur distingue deux espèces de mythes, les mythes étiologiques — « une façon d'expliquer le comportement sur lequel je m'interrogeais2 » (p. 22) —, connus de toute la population, racontés dans des circonstances quelconques, et dont les héros sont des animaux; et les mythes dont le héros est Nervelesu, cycle d'histoires centrées autour d'un personnage de « trickster », racontées par des spécialistes dans des cir- constances particulières — la nuit, dans la maison commune. Le mythe de référence appartient à la première catégorie et fait partie d'un groupe de douze mythes concernant les oiseaux; plusieurs de ces mythes traitent aussi de sons et de musique — « et plusieurs parmi les autres mythes portent aussi sur les sons3 » (p. 22). Rien n'est plus difficile, avons-nous dit, que de distinguer les mythes et de les définir par rapport aux autres récits transmis par une culture (cf. par exemple Kirk 1970). Le récit de référence est-il un mythe, un mythe étiologique, un récit (l'auteur emploi indifféremment les mots « myth » et « story ») ? Nous retrouvons l'ambiguïté que nous avons soulignée tout à l'heure et nous n'arrivons pas à comprendre clairement s'il s'agit d'un mythe étiologique, qui nous « explique- rait » la genèse de la musique — comme le mythe d'Orphée dans la culture grecque — ou d'un récit dans lequel se trouverait illustrée une configuration symbolique caractéristique de la culture Kaluli, selon laquelle s'associent les oiseaux muni, la tristesse de l'abandon et la musique. Et cette question nous ramène aux autres mythes qui traitent d'oiseaux et de musique : sons et musique y sont-ils présentés de la même façon, y sont-ils associés aux mêmes circonstances et aux mêmes sentiments ? Notre insatisfaction n'est pas l'expression d'un purisme qui aurait beau jeu d'opposer au détail significatif une totalité 272 impossible à atteindre ; elle naît d'une méfiance à l'égard de cette pratique si courante en anthropologie que l'on pourrait appeler la réduction au simple et à l'unité : pourquoi et comment un mythe parmi d'autres nous donnerait-il la clé unique qui permettrait de comprendre toute la musique d'une culture ? L'utilisation d'un mythe comme guide dans l'analyse de la musique Kaluli pose un second problème de méthode : quel rapport y a-t-il entre mythe et religion Kaluli ? ou, plus exacte- ment, peut-on analyser un mythe sans faire intervenir la religion dans laquelle il s'inscrit ? Il est remarquable en effet que la religion — mots ou choses — ne fasse jamais l'objet d'une analyse systématique et indépendante : que l'auteur commente le mythe de référence, décrive le rituel funéraire auquel il consacre son troisième chapitre, ou étudie longuement la cérémonie du GisaJo, il ne se réfère qu'indirectement aux con- ceptions religieuses Kaluli. La seule chose que nous saurons de la religion Kaluli est résumée dans les phrases qui suivent : La clef de ce genre de perception se trouve dans les conceptions Kaluli, selon lesquelles il uploads/Litterature/ vers-une-nouvelle-anthropologie-de-l-x27-art-et-de-la-musique-a-propos-d-x27-un-ouvrage-de-steven-feld-sound-and-sentiment-jean-molino.pdf

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