MICHEL FOUCAULT L' ARCHE OLOGIE DU SAVOIR GALLIMARD I Voila des dizaines d'anne

MICHEL FOUCAULT L' ARCHE OLOGIE DU SAVOIR GALLIMARD I Voila des dizaines d'annees maintenant que l'attention des historiens s'est portee, de preference, sur les longues periodes comme si, au-dessous des peripeties politiques et de leurs episodes, ils entreprenaient de mettre au jour les equilibres stables et difficiles it. rompre, les processus irreversihles, les regulations constantes, les phenomenes tendanciels qui culminent et s'inversent apres des continuites seculaires, les mouvements d'accumulation· et les saturations lentes, les grands socles immobiles et muets que l'enchevetrement des recits traditionnels avait recouverts de toute une epaisseur d'evenements. Pour mener cette analyse, les historiens disposent d'instruments qu'ils ont pour une part fa«;onnes, et pour une part re«;us : modeles de la croissance economique, analyse quantitative des flux d'echanges, pro fils des developpements et des regressions demographiques, etude du climat et de ses oscillations, reperage des constantes sociologiques, description des ajustements techniques, de leur diffusion et de leur persistance. Ces instruments leur ont permis de distinguer, dans Ie champ de l'histoire, des couches sedimentaires diverses ; aux successions lineaires, qui avaient fait jusque-lit. l'objet de la recherche, s'est substitue un jeu de decrochages en profondeur. De la mobilite politique aux lenteurs propres it. la « civilisation materielle », les niveaux d'analyse se sont multiplies : chacun a ses ruptures specifiques, chacun comporte un decoupage qui n'appartient qu'a lui; et a mesure qu'on descend vers les socles les plus profonds, les scansions se font de plus en plus larges. Derriere I'histoire bousculee des gouvernements, des guerres et des famines, se dessinent des histoires, presque immobiles so us Ie regard, -des histoires a pente faible : histoire des voies maritimes, histoire du ble ou des mines d'or, histoire de la secheresse et de l'irrigation, histoire de l'assolement, histoire de I'equilibre, obtenu par l'espece humaine, entre la faim et la proliferation. Les vieilles questions de l'analyse traditionneUe (quel lien etablir entre des evenements disparates? Comment etablir entre eux une suite necessaire? QueUe est la continuite qui les traverse ou la signification d'ensemble qu'ils finissent par former? Peut-on definir une totalite, ou faut-il se borner a reconstituer des enchatnements?) sont remplacees des ormais par des interrogations d'un autre type : queUes strates faut-il isoler les unes des autres? Quels types de series instaurer? Quels criteres de periodisation adopter pour chacune d'eUes? Quel systeme de relations (hierarchie, dominance, etagement, determination univoque, causalite circulaire) peut-on decrire de l'une a I'autre? QueUes series de series peut-on etablir? Et dans quel tableau, a chronologie large, peut-on determiner des suites distinctes d'evenements? Or a peu pres ala meme epoque, dans ces disciplines qu'on appeUe histoire des idees, des sciences, de la philosophie, de la pensee, de la litterature aussi (leur specificite peut etre negligee pour un instant), dans ces disciplines qui, malgre leur titre, echappent en grande partie au travail de I'historien et a ses methodes, l'attention s'est deplacee au contraire des vastes unites qu'on decrivait comme des « epoques » ou des « siecles • vers des phenomenes de rupture. Sous les grandes continuites de la pensee, sous les manifestations massives et homogenes d'un esprit ou d'une mentalite collective, so us Ie devenir tetu d'une science s'acharnant a exister et it s'achever des son commencement, sous la persistance d'un genre, d'une forme, d'une discipline, d'une activite theorique, on cherche maintenant a detectel' Introduction l'incidence des interruptions. Interruptions dont Ie statut et la nature sont fort divers. Ade. et seuil8 epistemologiques decrits par G. Bachelard : ils suspendent Ie cumul indefini des connaissances, brisent leur lente maturation et les font entrer dans un temps nouveau, les coupent de leur origine empirique et de leurs motivations initiales, les purifient de leurs complicites imaginaires; ils prescrivent ainsi a l'analyse historique non plus la recherche des commencements silencieux, non plus la remontee sans terme vers les premiers precurseurs, mais Ie reperage d'un type nouveau de rationalite et de ses efIets multiples. Deplacements et transformations des concepts : les analyses de G. Canguilhem peuvent servir de modeles; eUes montren14 que l'histoire d'un concept n'est pas, en tout et pour tout, celIe de son affinement progressif, de sa rationalite continument croissante, de son gradient d'abstraction, mais celle de ses divers champs de constitution et de validite, ceUe de ses regles successives d'usage, des milieux theoriques multiples oil s'est poursuivie et achevee son elaboration. Distinction, faite egalement par G. Canguilhem, entre les echelles micro et macroscopiques de l'histoire des sciences oil les evenements et leurs consequences ne se distribuent pas de la meme fac;on : si bien qu'une decouverte, la mise au point d'une methode, l'reuvre d'un savant, ses echecs aussi, n'ont pas la meme incidence, et ne peuvent etre decrits de la meme fac;on a l'un et a l'autre niveau; ce n'est pas la me me histoire qui, ici et la, se trouvera racontee. Redistributions recurrentes qui font apparaitre plusieurs passes, plusieurs formes d'enchainements, plusieurs hierarchies d'importances, plusieurs reseaux de determinations, plusieurs teleologies, pour une seule et meme science a mesure que son present se modifie : de sorte que les descriptions historiques s'ordonnent necessairement it. l'actualite du savoir, se multiplient avec ses transformations et ne cessent it. leur tour de rompre avec eUes-memes (de ce phenomene, M. Serres vient de donner la theorie, dans Ie domaine des mathematiques). Unites architectoniques des systemes, telJes qu'eUes ont ete analysees par M. Gueroult specifiques, chacun comporte un decoupage qui n'appartient qu'a lui; et a mesure qu'on descend vers les socles les plus profonds, les scansions se font de plus en plus larges. Derriere I'histoire bousculee des gouvernements, des guerres et des famines, se dessinent des histoires, presque immobiles sous Ie regard, -des histoires a pente faible : histoire des voies maritimes, histoire du ble ou des mines d'or, histoire de la secheresse et de I'irrigation, histoire de I'assolement, histoire de I'equilibre, obtenu par I' espece humaine, entre la faim et la proliferation. Les vieilles questions de I'analyse traditionnelle (quel lien etablir entre des evenements disparates? Comment etablir entre eux une suite necessaire? Quelle est la continuite qui les traverse ou la signification d'ensemble qu'ils finissent par former? Peut-on definir une totalite, ou faut-il se borner a reconstituer des enchainements?) sont remplacees desormais par des interrogations d'un autre type : quelles strates faut-il isoler les unes des autres? Quels types de series instaurer? Quels criteres de periodisation adopter pour chacune d'elles? Quel systeme de relations (hierarchie, dominance, etagement, determination univoque, causalite circula:ire) peut-on decrire de I'une a I'autre? Quelles series de series peut-on etablir? Et dans quel tableau, a chronologie large, peut-on determiner des suites distinctes d'evenements? Or a peu pres ala meme epoque, dans ces disciplines qu'on appelle histoire des idees, des sciences, de la philosophie, de la pensee, de la litterature aussi (leur specificite peut etre negligee pour un instant), dans ces disciplines qui, malgre leur titre, echappent en grande partie au travail de I'historien et a ses methodes, l'attention s'est deplacee au contraire des vastes unites qu'on decrivait comme des « epoques » ou des « siecles » vers des phenomenes de rupture. Sous les grandes continuites de la pensee, sous les manifestations massives et homogenes d'un esprit ou d'une mentalite collective, sous Ie devenir tetu d'une science s'acharnant aexister et a s'achever des son commencement, sous la persistance d'un genre, d'une forme, d'une discipline, d'une activite theorique, on cherche maintenant a detecter Introduction I'incidence des interruptions. Interruptions dont Ie statut et la nature sont fort divers. A-ctes et seuii& epistemologiques decrits par G. Bachelard : ils suspendent Ie cumul indefini des connaissances, brisent leur lente maturation et les font entrer dans un temps nouveau, les coupent de leur origine empirique et de leurs motivations initiales, les purifient de leurs complicites imaginaires; ils prescrivent ainsi a l'analyse historique non plus la recherche des commencements silencieux, non plus la remontee sans terme vers les premiers precurseurs, mais Ie reperage d'un type nouveau de rationalite et de ses eifets multiples. Deplacements et transformations des concepts : les analyses de G. Canguilhem peuvent servir de modeles; elles montren!, que I'histoire d'un concept n'est pas, en tout et pour tout, celle de son affinement progressif, de sa rationalite contimiment croissante, de son gradient d'abstraction, mais celIe de ses divers champs de constitution et de validite, celIe de ses regles successives d'usage, des milieux theoriques multiples OU s'est poursuivie et achevee SOD elaboration. Distinction, faite egalement par G. Canguilhem, entre les echelles micro et macroscopiques de I'histoire des sciences OU les evenements et leurs consequences ne se distribuent pas de la meme fa~on : si bien qu'une decouverte, la mise au point d'une methode, I'reuvre d'un savant, ses echecs aussi, n'ont pas la meme incidence, et ne peuvent etre decrits de la meme fa~on a I'un et a l'autre niveau; ce n'est pas la meme histoire qui, ici et la, se trouvera racontee. Redistributions recurrentes qui font apparaitre plusieurs passes, plusieurs formes d'enchainements, plusieurs hierarchies d'importances, plusieurs reseaux de determinations, plusieurs teleologies, pour une seule et meme science a mesure que son present se modifie : de sorte que les descriptions historiques s'ordonnent necessairement a I'actualite du uploads/Litterature/ foucault-michel-l-x27-arche-ologie-du-savoir.pdf

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