Janvier 2007 Jean-Marc Delaunay L3 philosophie WALTER BENJAMIN – LA VIE DES ETU
Janvier 2007 Jean-Marc Delaunay L3 philosophie WALTER BENJAMIN – LA VIE DES ETUDIANTS (1915) Benjamin a 22 ans et il est étudiant en philosophie à Fribourg lorsqu'il est élu président des « Libres Etudiants », association ayant des préoccupations social(ist)es. Lors de son accession à la présidence, il prononce deux conférences, en mai et juin 1914, qui serviront de base à ce texte. Le texte définitif sera publié en 1915, alors que Benjamin étudie à Munich, très perturbé par le suicide de ses deux amis Fritz Heinle et Rika Seligson. Dans « La vie des étudiants », Benjamin analyse et interprète le comportement des étudiants dans l'université allemande du début du XXe siècle. Mais ses analyses critiques de la correspondance entre intérêts de l'Etat et intérêts de l'université, de la visée professionnalisante à laquelle est assujettie la science, de l'attitude générale calamiteuse des étudiants vis à vis de leur condition, sont d'une actualité foudroyante. Benjamin nous fait totalement reconsidérer notre vision de l'université, et en premier lieu la spécialisation qu'elle impose en disciplines, en vue d'une intégration dans la société par le moyen du métier. La philosophie tiendra, comme nous le verrons, une place stratégique dans cette « nouvelle université » que Benjamin appelle de ses voeux, mais à condition qu'elle soit repensée et débarrassée de ses aspects « disciplinaires ». « La vie des étudiants » se présente comme essai d'histoire, mais une histoire qui se veut également métaphysique. On se rendra vite compte que le texte polymorphe de Benjamin est autant de la philosophie et de la sociologie, et finalement un traité d'éthique. Mais cette histoire, cette métaphysique, cette philosophie, cette sociologie et cette éthique, n'ont rien, mais alors rien à voir avec ce que l'on entend traditionnellement par ces termes ! Nous voudrions montrer, par l'explication des principaux moments et arguments du texte, la refonte complète que Benjamin fait subir aux catégories habituellement admises de sociologie, d'histoire et de philosophie. Ce texte, bien loin du « discours » attendu d'un élu associatif cherchant à flatter ses étudiants ou à dérouler une pensée toute faite, est au contraire une très audacieuse et originale tentative de parler de l'« être étudiant », en connaissance de cause, puisque l'auteur en est un, mais avec une exigence excessivement élevée vis à vis de lui-même et de ses semblables. L'écriture de Benjamin est élevée aux considérations les plus spirituelles, mais elle est toujours rattachée à un sol concret et à une expérience, un vécu collectif qui est à la fois la base de sa réflexion et son aboutissement, car ce texte est avant tout destiné aux étudiants... que chacun se doit d'être. A ce titre, « La vie des étudiants » nous semble un exemple éloquent, tant par le propos que par la méthode, de ce qu'est une écriture de la ville, si l'on entend par là un dialogue qui cherche à toucher le sens de la vie communautaire, en tant que cette vie ne peut signifier que par rapport à une métaphysique. La vie en communauté des étudiants n'a de sens qu'au vu de son caractère spirituel. EXPLICATION DU TEXTE « LA VIE DES ÉTUDIANTS » Pour mieux l'expliquer, nous divisons l'article en sept moments : 1. histoire et utopie 2. contradiction science/métier 3. conférence aux « libres étudiants » : vers une justification spirituelle du travail social ? 4. les étudiants sont à la traîne des combats spirituels 5. esprit de métier contre esprit créateur 6. eros procréateur et eros créateur désunis et falsifiés 7. conscience du temps contre gaspillage de la jeunesse 1) Projet d'écriture et discussion sur la bonne façon de faire de l'histoire A l'histoire qui croit au progrès infini et qui par conséquent n'assigne pas au présent une urgence quelconque de réalisation d'une idée, à cette histoire incohérente, imprécise, sans rigueur, Benjamin oppose une histoire utopique, ancrée en tout présent et le comprenant au regard de sa distance d'une perfection immanente qu'il s'agit de penser. La seule façon de comprendre l'histoire est de dégager la structure métaphysique du présent. La signification historique actuelle du monde estudiantin et de l'université, la forme de son existence dans le présent, ne vaut d'être décrite que comme une parabole, comme reflet d'un état supérieur, métaphysique, de l'histoire ; sinon, elle n'est ni compréhensible ni possible. Au lieu de faire l'histoire en comprenant le présent par rapport au passé, Benjamin fait l'histoire par le futur. Il lit le présent au vu de ce qu'il signifie spirituellement, c'est à dire philosophiquement, et vis à vis de ce qu'il devrait, ou plutôt devra être. Cette histoire utopique a pour but de « mettre en lumière la crise qui appelle une décision de courage ». L'interprétation utopique du présent fait apparaître un système métaphysique, que le présent va devoir rejoindre. Et « tant que manquent les conditions pour réaliser ce système, il faut, au moyen de la connaissance, libérer l'avenir de ce qui aujourd'hui le défigure. C'est le seul but de la critique ». Le ton est donné : la philosophie de Benjamin s'incarne profondément dans le vécu réel, et sa sociologie et son histoire, elles, s'interprêtent nécessairement au vu de la métaphysique qu'elles traduisent. Mais ces distinctions disciplinaires n'ont pas de valeur ici : c'est une seule et même démarche qui lie, sous la plume de Benjamin, société, temporalité, et idées abstraites. 2) Problème de la contradiction qui traverse la vie des étudiants. « Les étudiants se posent les problèmes de la science, de l'Etat, de la vertu, mais refusent de se soumettre à un quelconque principe, de se pénétrer de l'idée. Le nom de science sert surtout à cacher leur indifférence vis à vis de ce qu'ils étudient ». Benjamin dénonce la déconnection entre le pensé et le vécu. Les idées que les étudiants manipulent n'ont pas de raisonnance réelle dans leur vie, parce qu'ils érigent en loi capitale d'« être indépendants ». De fait leur vie est incapable d'atteindre une unité, ce qui pour Benjamin est la preuve d'un manque de courage et de rigueur. On argue que c'est parce que les étudiants doivent se préparer à leur profession d'hommes de science, qu'ils se doivent de s'investir dans la science et non dans la vie. « Mais la science est incompatible avec une profession : elle force les étudiants à devenir enseignants et non médecins, juristes, professeurs ». Benjamin oppose l'enseignant et le professeur : le professeur doit former à une profession, tandis que l'enseignant se contente de transmettre une science. L'enseignant n'a de compte à rendre qu'à la science, tandis que le professeur a toujours en vue un métier auquel il doit préparer ses étudiants. Un lieu de science n'a rien à voir avec une école pour former de futurs "fonctionnaires" (c'est à dire un serviteur de la société, même s'il n'est pas payé par l'Etat lui-même). Certes, l'Etat a besoin de fonctionnaires, mais ça ne change rien au problème de la science. La science a perdu son unité originelle, dans une université tournée vers la fonction. Cette unité n'a d'ailleurs même plus de sens pour les étudiants selon Benjamin. Il est manifeste que rien n'a changé depuis l'époque où il écrit : la tendance gouvernementale actuelle pour « professionnaliser » l'enseignement, notamment à la fac, ne fait rien d'autre que confirmer la dépendance complète de la science à l'économie, et la soumission de l'université à la rentabilité et à la production de richesses. Pour l'auteur, ce qui est le plus pervers n'est pas que l'Etat forme les serviteurs dont il a besoin, mais qu'il le fasse par le moyen de la science "libre", comme si science et service étaient une seule et même chose. Par le cours magistral, étudiants et enseignants croient partager un savoir, mais il a un sens tout différent pour chacun des deux corps : les étudiants croient être dans la science libre, alors que les professeurs et l'université sont intimement mêlés à l'Etat et au pouvoir. A l'époque de Benjamin, c'était le ministre des cultes qui décidait des enseignements. Mais aujourd'hui on pourrait faire exactement la même observation sur le gouvernement, qui choisit les programmes, les formations et les budgets de l'université, en référence à une pensée dominante libérale et matérialiste. Enfin, explique Benjamin, les étudiants sont sans critique vis à vis de cet état de choses. Même les associations de "libres étudiants", dont il a été président, sont incapables de saisir l'irréductibilité de la vie scientifique à la vie professionnelle, et n'aboutissent qu'à un "embourgeoisement" de l'université. Il se propose de justifier son jugement en citant une partie de sa propre conférence, en 1914. 3) Extrait de la conférence de Benjamin, président des « libres étudiants », lors de son élection. Selon Benjamin en 1914, pour évaluer la valeur spirituelle d'une communauté, il faut se demander si la totalité de l'essence de l'acteur peut s'exprimer, et si l'homme tout entier est indispensable à la communauté, et réciproquement. Or, la société est pour l'instant un lieu d'opposition entre les penchants sociaux et les penchants plus uploads/Litterature/ vieetudiants.pdf
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- Publié le Jan 03, 2023
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