Arthur de Bussières Les Bengalis BeQ Arthur de Bussières (1877-1913) Les Bengal

Arthur de Bussières Les Bengalis BeQ Arthur de Bussières (1877-1913) Les Bengalis poèmes La Bibliothèque électronique du Québec Collection Littérature québécoise Volume 105 : version 1.1 2 L’œuvre poétique d’Arthur de Bussières n’a pas paru en volume du vivant de l’auteur. Il a fallu attendre 1931, pour que, grâce aux soins de Casimir Hébert, soient réunis ses poèmes, en un recueil intitulé Les Bengalis. Depuis, on a retrouvé quinze autres poèmes d’Arthur de Bussières. Le texte des poèmes est reproduit ici à partir de l’ouvrage de Wilfrid Paquin, Arthur de Bussières, poète et l’École littéraire de Montréal, publié aux éditions Fidès, en 1986. _______ « Arthur de Bussières – ou, comme il signait pour imiter Balzac : de Bussières – naquit le 21 janvier 1877, à Montréal. Il ne fréquenta jamais d’autre école que l’école élémentaire. Peintre en bâtiments de son métier, il se lia de bonne heure avec Nelligan, Charles Gill et autres membres de la première École littéraire, dont il fit partie aux environs de 1898. Il figure parmi les collaborateurs des Soirées du Château de Ramezay, publiées en 1900. Son apparition dans les lettres fut brève, cependant ; à partir de 1900 il fut presque oublié. Il avait lu Leconte de Lisle, Hérédia, Rollinat, Baudelaire, mais à cette époque il n’y avait pas de bibliothèques publiques à Montréal, et quant à s’acheter des 3 livres, il n’en eut jamais les moyens. On affirme que ce marteleur de sonnets métalliques était incapable d’écrire trois lignes en prose. M. Olivar Asselin raconte à ce sujet qu’étant directeur du reportage au Journal, en 1900, il fit rechercher, pour lui offrir un emploi, Bussières dont il avait remarqué le nom dans les Soirées du Château de Ramezay. Après plusieurs jours de recherches on finit par trouver le poète : il avait repris le métier de peintre en bâtiments et vivait en bohème, dans une pauvreté voisine de la misère. Mais le séjour de Bussières au Journal fut éphémère : malgré son vif désir d’encourager le talent, Asselin ne put garder un collaborateur qui ne savait pas faire accorder l’adjectif avec le nom ni le verbe avec le sujet, et qui, chose plus grave, avait en outre la faiblesse de vouloir imiter Rollinat et Baudelaire... par leurs côtés faibles. Bussières avait collaboré au Passe-Temps, à la Revue populaire, aux Débats, à l’Avenir, dans la note parnassienne et généralement exotique. Sa mort, survenue en mai 1913, à Montréal, passa inaperçue. Par les soins de l’intelligent bibliophile Casimir Hébert, sa mémoire, heureusement, revivra. » Note dans Anthologie des poètes canadiens, composée par Jules Fournier, Montréal, 1920. 4 Les Bengalis 5 Vieux monastère Par delà les pans noirs des cimes dentelées, Grimaçant au ravin, bravant le désarroi, Sombre, silencieux, cadavre plein d’effroi, Il dresse dans la nuit ses tours démantelées. Sous la brise qui hurle aux créneaux du beffroi, Vibrent les flancs ombreux des salles écroulées, Et l’écho se réveille au profond des allées, En traînant vers les cieux comme un glas rauque et froid. Jadis, un voyageur en ces climats arides Contemplait éperdu le colosse et les rides De son grand front blanchi comme un pâle ossement. Et l’on dit qu’il a vu, sous les piliers antiques, Passer dans les horreurs de l’épouvantement La blanche vision des morts cénobitiques. 6 La lionne au crépuscule Elle vient de quitter les ombres des massifs Où rit près des nopals la source purpurine, Pour diriger son pas vers la grève marine Qu’elle contemple au loin de ses yeux expressifs. Elle arrive... Un flot jase aux pieds des blancs récifs, Et la fraîcheur des mers, qui gonfle sa poitrine Fait palpiter son cœur et frémir sa narine ; Cependant qu’au ciel bleu sont des aigles pensifs. Et l’astre, par-delà les sables roux des côtes Dore le fond vermeil des atmosphères hautes, Et ses reflets sanglants tordent l’éther rougi. Mais dressant tout à coup ses formes musculaires L’animal étonné, vers le soleil rugit... Sublime adieu du fauve aux feux crépusculaires. 7 Khirma la Turque Des arômes subtils nagent en pleins vergers, Tout autour des bosquets fleuris des promenades Où le kokila dit ses folles sérénades Au dahlia qui croît entre les orangers. Et sur les gazons doux comme des satinades, Ceinte d’un voile pourpre aux plis fins et légers, Khirma s’endort au sein des rêves mensongers, Près du yali désert flanqué de colonnades. Sa lourde tresse blonde ondule sur le sol À la vague des mers en sa forme pareille ; Et la fière indolente au vent du soir sommeille Sous le palétuvier qui s’ouvre en parasol, Et la clarté qui fuit, éperdument vermeille, Mêle des reflets d’or aux blancheurs de son col. 8 Soirée allemande Le silence endormeur pèse dans l’air serein, Sur la tranquillité des pics aux sommets roses ; Et l’absence de chants ou joyeux ou moroses Attriste les flots bleus du Danube et du Rhin. Bientôt le crépuscule issu d’un noir écrin S’en vient mettre de l’ombre au front pâle des roses. Et là-bas le couchant qui pleure sur les choses Change en voile de deuil son voile purpurin. Par delà les grands monts aux crêtes inconnues La lune mollement verse du fond des mers Les images du songe et les tristes sommeils, Et contemple sous elle, en scènes fantastiques, Parmi vos reflets d’or, ô nocturnes soleils ! La sauvage beauté des plaines germaniques. 9 Kita-no-tendji À Joseph Melançon. C’est un temple de pierre aux structures énormes, Dont les contours pesants estompent l’horizon ; Granits, marbres en blocs, pylônes à foison, Flanqués d’ombres. Autour, des cèdres ou des ormes. Au sein de l’éclatante et vaste floraison Des chrysanthèmes d’or aux sépales difformes, Triste, ainsi que des dieux aux immobiles formes, Un vieux bonze accroupi murmure une oraison. Kita-no-tendji dort. Ni les voix de l’enceinte, Ni les bruits éternels de Kioto la sainte Ne vont troubler la paix de son divin sommeil. Mais les temps l’ont penché vers l’abrupte colline ; Il chancelle, pareil au vieillard qui décline Sous les grands rayons roux de l’hivernal soleil... 10 Le retour du voyageur À Jean Charbonneau. Il était revenu las de ses longs voyages, Des climats du Zaïr, de l’Indus et du Rhin, N’apportant au foyer, modeste pèlerin, Que des cheveux blanchis par le souffle des âges. Or, au vallon natal, le ciel pourpre et serein Mûrissait sur les prés de nouveaux pâturages, Où le soir écoutait, tranquille, sur les plages Dans l’ombre et la fraîcheur, l’hymne du flot marin. Cependant le vieillard n’avait plus son sourire ; Son âme retournait, voyageuse en délire, Aux antiques pays, cause de son grand deuil ! Et ses fils avaient vu, ne sachant point comprendre, Un soir que ses remords venaient de le reprendre, Une larme d’ennui rouler dans son pâle œil. 11 Ruines Dressant ses murs noircis à la face des cieux, Plein d’ombres et de deuil, au flanc de la ravine, Vastes débris, frappés par la foudre divine, Un vieux temple abattu dormait, silencieux. Dans ses voûtes, jadis s’inclinaient vos aïeux... Mais à présent repaire où l’effroi prédomine, Vitraux brisés, portail désert, triste ruine : Les siècles ont passé d’un vol insoucieux. Ô spectacle effrayant !... Murailles fantastiques !... Quand la première fois sous vos sacrés portiques, Seul, j’errais, ricanant en mon impiété, Je vis, brillant encore au milieu des décombres, Une image du Christ aux yeux profonds et sombres, Et je demeurai là, muet, épouvanté. 12 Réminiscence À Henry Desjardins. La nuit qui rêve sur la terre Donne d’étranges voluptés, Pendant que ses blêmes clartés Grouillent dans l’éternel mystère. Or, lourd, errant et solitaire, Vers le sol morne et sans beautés, Un souffle aux froides duretés Gémit dans la vallée austère. Ce n’est plus la nuit d’autrefois ! L’automne effeuille les grands bois, L’ouragan pleure entre les branches ; Et sur la plaine aux tons défunts, Ivres de leurs derniers parfums, Agonisent des roses blanches. 13 Lunaire À Jean-Baptiste Bénard. L’œil grand ouvert de l’ombre, orné de cils d’argent, Jette ses feux d’opale au sein de la vallée Qui sommeille et flamboie à la nuit étoilée, Comme un phosphore blond de la houle émergeant. Et sa grâce rayonne en la voûte emperlée, Radieuse parmi les hauts cirrus nageant, Et les jets refroidis de son halo changeant Nimbent les nénuphars sur la vague troublée. Lune très blanche, espoir de mes songes lassés, Toi, le flambeau veillant des soleils trépassés, Astre, nocturne fleur au jardin symbolique, Quand vient sourire en moi la volupté des soirs, Ô veille dans mon cœur, douce, mélancolique, Comme un parfum qui dort au fond des encensoirs. 14 Journée d’automne Le vent qui grince, au fond des bois mornes et chauves, Comme des gonds rouillés sous d’énormes vantaux, Traîne lugubrement, le long des végétaux, Le pâle tourbillon des feuilles aux tons fauves. Dans le lointain, cachant la pente des coteaux, Dorment vieux troncs, rameaux, ponts croulants et guimauves ; Et le merle fuyant vers les horizons mauves, Jette ses cris plaintifs aux vents orientaux. Dans les sillons, plus rien, rien sur la plaine nue ; L’âme uploads/Litterature/ bussieres-bengalis.pdf

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