1/13 La Rhétorique du combat ou l’exercice de la polémique Violence et persuasi
1/13 La Rhétorique du combat ou l’exercice de la polémique Violence et persuasion dans le discours Journées d’étude – II 22-24 octobre 2008 Salle Delamarre - EPHE Luce ALBERT & Loïc NICOLAS RESUMES DES CONTRIBUTIONS Antiquité – XVIIIe s. 1. Cristina PEPE (Université Marc Bloch de Strasbourg / Université Federico II de Naples) Titre : « Pour une archéologie du discours polémique : le paradigme de la parole agonale dans la rhétorique de l’Antiquité. » L’essence de la polémique demeure dans son étymologie. Tirée du grec polemikos, ê, on (« qui concerne la guerre »), elle est un combat par les mots : la guerre est vidée par métaphore de son premier contenu sémantique lié à l’action physique, et le corps à corps originel a été absorbé dans le mot-à-mot. La longue histoire de la polémique commence au sein de la profonde et vive réflexion menée dans les cultures grecque et romaine concernant le rôle de la parole dans l’organisation de la société. Y sont notamment en jeu les rapports entre ergon et logos, qui oscillent entre altérité et contiguïté. À première vue, la dimension guerrière appartient uniquement à l’espace de l’ergon et s'oppose à la dimension discursive du logos. Pourtant, dès l’épopée homérique, on trouve trace d’une vision « offensive » de la parole : cette dernière devient une arme, un outil d’action, et non pas seulement un intermédiaire de la communication. L’agôn, la lutte par la force entre pairs qui devaient se distinguer entre eux, est replacé par un nouvel agôn logôn – dont on a une préfiguration par la joute verbale dans l’Iliade entre Agamemnon et Achille – où ce qui compte est de convaincre le jury ou l’assemblée. Lorsque la cité démocratique grecque œuvre pour réguler les interactions sociales, la polémique, qui avait été admise à l'origine dans sa nature violente, connait de même un processus de régulation et s’inscrit à l’intérieur d'une discipline solidement structurée et dotée d'une technique : la rhétorique. Le croisement entre polémique et rhétorique a une double conséquence : d’un côté, la parole guerrière devient le modèle descriptif privilégié de la pratique de l’art persuasif (les orateurs sont deux adversaires armés qui s’affrontent pour gagner l’adhésion de l’auditoire, et l’éloquence est une épée dont ils se servent pour attaquer et se défendre) ; d’un autre côté, l’attaque polémique trouve sa place dans le système rhétorique en tant que ressource possible, à laquelle on peut toujours avoir recours en respectant les règles et les limites fixées par ce même système. Cette contribution vise d’abord à reconstruire la naissance de la notion de polémique à partir de l’identification de son archétype dans le rapprochement entre l’idée du polemos et celle du logos. À l’aide de témoignages tirés des textes anciens, on peut suivre comment le paradigme de la parole agonale se développe dès que le duel par les mots est reconnu comme une alternative valide au duel par les corps. Puis, nous essayerons de montrer que la polémique, d’abord reconnue comme une dimension intrinsèque des échanges verbaux, acquiert un statut technique dans l’œuvre des anciens rhéteurs où sont délimitées par une norme ses prérogatives, le terrain sur lequel elle est admise, ainsi que sa véhémence. 2/13 2. Camille RAMBOURG (Université de Paris XII) Titre : « La théorie aristotélicienne de la diabolè. » Le Vesiècle grec voit l’apparition de stratégies de dénigrement de l’adversaire très élaborées (diabolē), dans l’éloquence judiciaire avec Antiphon et surtout Lysias, mais aussi dans l’éloquence délibérative, pour laquelle Thucydide est notre plus ancien témoin. La pratique oratoire du IVe siècle affûte encore cette arme rhétorique, avec une nette inflexion vers les attaques ad hominem, culminant dans le duel qui oppose Démosthène à Eschine. Universellement employée, la diabolē est aussi un procédé universellement décrié : chez les orateurs qui en sont victimes, mais aussi chez les historiens et les poètes comiques, elle est synonyme de manipulation des pathē, de discours en dehors de la cause, ou d’accusation mensongère et consciente de l’être. La diabolē, associée aux chicanes judiciaires et aux cabales politiques, représente la rhétorique dans son aspect le plus déloyal, le plus sulfureux, le moins justifiable moralement. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le seul théoricien de la diabolē que nous connaissions pour le Ve siècle, Thrasymaque de Chalcédoine, soit présenté par Platon comme l’un des sophistes les plus radicaux (Rép. 336bsq). Dans ces conditions, on ne doit pas s’étonner que la Rhétorique d’Aristote témoigne d’une certaine ambiguïté à l’égard de la diabolē. Le début du traité la rejette comme extérieure à la technē rhétorique (1354a14-26) ; elle est ensuite mentionnée comme en passant à propos des pathē (1382a2), puis, sans autre explication, dans un lieu d’enthymème (1400a28) ; pourtant, le développement du livre III sur la taxis, “organisation du discours”, lui consacre un chapitre entier (ch. 15). L’intégration de la diabolē à la réflexion aristotélicienne sur la rhétorique ne semble donc pas aller de soi, et passe par une série de transformations. De fait, la diabolē d’Aristote est très loin à la fois de sa contrepartie empirico-sophistique de la Rhétorique à Alexandre et de la pratique oratoire de l’époque. Le Stagirite reconsidère le procédé en le soumettant à une double exigence : logique d’une part, avec une tentative de fournir un cadre enthymématique à la diabolē, soit de tirer le dénigrement depuis les passions vers le raisonnement ; exigence morale de l’autre, qui le conduit à présenter presque exclusivement des stratégies de défense contre la diabolē et à éviter autant que possible l’à-côté de la cause et l’ad hominem. Ce faisant, Aristote glisse sensiblement de la diabolē telle qu’on l’entend au IVe siècle à une réflexion sur les états de cause, déjà présente en germe chez Lysias, qui trouvera sa première formulation deux siècles plus tard dans la théorie des staseis d’Hermagoras de Temnos. 3. Marie-Agnès RUGGIU (Université de Paris XII) Titre : « “ars vivendi” dans les livres III et IV du De Finibus : un exemple de la reconstruc-tion par Cicéron de la pensée stoïcienne pour la disqualifier. » Dans le cadre de notre étude sur l’articulation de l’art et de la nature dans la philosophie éthique de Cicéron, nous avons décidé d’étudier tout particulièrement la façon dont Cicéron pensait la notion d’art de vivre. Cette notion joue un rôle extrêmement important dans la pensée stoïcienne. Le stoïcisme définit la sagesse comme un art de vivre, « ars vivendi » ou « ars vitae ». Or, nous avons remarqué que l’exposé stoïcien du De Finibus, (livre III), œuvre entièrement consacrée à la définition de la finalité de l’action humaine, est marqué par l’absence totale de l’expression ars vivendi. Dans la mesure où Cicéron opère dans son œuvre philosophique un travail de confrontation et de mise en débat des pensées philosophiques, stoïcisme, épicurisme et Académie, cette lacune lexicale ne peut qu’avoir un sens polémique. Cela devient évident lorsqu’on voit réapparaître le terme « ars vivendi » dans la réponse académicienne que donne Cicéron à Caton (livre IV). Notre intervention examinera le sens polémique de cette absence- présence d’une expression traditionnellement attribuée aux stoïciens, à travers la cohérence conceptuelle des discours construits par Cicéron. Par l’examen des définitions stoïciennes et académiciennes que Cicéron donne à la notion d’art, nous verrons comment, sous couvert de faire proposer un concept d’art cohérent par l’interlocuteur stoïcien, Cicéron ouvre une faille qui lui permettra de s’y opposer et de rendre à l’Académie le concept d’art de vivre. 3/13 4. Géraldine HERTZ (Université de Paris XII) Titre : « Apulée contre Emilianus dans l’Apologie : art de la polémique et cas problématique de la malédiction de l’adversaire. » Quand, dans les années 150, Apulée est accusé par un certain Emilianus d’avoir pratiqué toutes sortes d’actes magiques, il doit riposter par un discours efficace, capable de convaincre le gouverneur romain Claudius Maximus qui, tenant ses assises en la ville de Sabratha, doit juger seul de l’affaire. Machine de guerre contre Emilianus, le discours d’Apulée relève bien de la « guerre pour de rire » dans la mesure où l’affrontement verbal vient remplacer le corps à corps. Mais l’enjeu même du procès, lui, n’avait pas de quoi faire rire Apulée, même s’il garde sans cesse le ton désinvolte et triomphal de l’homme sûr de son succès : la Lex Cornelia de sicariis et ueneficis punissait en effet de mort le crime de magie. La ligne de défense de l’orateur est simple, et pourrait se résumer en cinq mots : « Sorcier, moi ? Non pas, philosophe ! » Le réquisitoire de l’adversaire est systématiquement disqualifié : il n’est, nous dit Apulée, qu’un ultime avatar du procès depuis toujours intenté à la philosophie par l’ignorance. Emilianus l’accuse d’acheter des poissons rares à prix d’or pour faire des breuvages magiques ? C’est qu’il est trop sot pour comprendre qu’Apulée ne fait que continuer l’œuvre zoologique d’Aristote. Il l’accuse d’adorer en secret une statuette de Mercure (dieu traditionnellement considéré comme le patron des magiciens) ? C’est qu’il est trop rustre pour comprendre que la statuette n’est qu’une image uploads/Litterature/ violence-et-persuasion-dans-le-discours.pdf
Documents similaires
-
23
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 06, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0988MB