Martin Gray Vivre debout t » dans un monde en crise VIVRE DEBOUT DU MÊME AUTEUR

Martin Gray Vivre debout t » dans un monde en crise VIVRE DEBOUT DU MÊME AUTEUR CHEZ POCKET NOM DE TOUS LES MIENS VIE RENAÎTRA DE LA NUIT MARTIN GRAY VIVRE DEBOUT Comment faire face dans un monde en crise ROBERT LAFFONT AVANT-PROPOS Une arche d'espérance Cette semaine-là, vous avez dû, comme moi, regar- der le journal télévisé et lire les journaux avec un sentiment d'effroi et d'incrédulité. Sur l'écran, vous avez dû voir les trois petites sil- houettes filmées dans un supermarché anglais par des caméras de surveillance. Deux gamins, d'une dizaine d'années, en entraî- naient un autre, tout petit, qui devait avoir deux ou trois ans, en le tenant chacun par une main. On distinguait bien les mouvements de ces enfants, le petit qui traînait les pieds, qui résistait, et les deux autres, comme deux grands frères, qui le tiraient, un peu brutalement... En sortant du supermarché, ils ont parcouru les rues de leur ville industrielle et pauvre, aux petites maisons soignées mais tristes, avec des terrains vagues tout alentour. Les trois enfants ont avancé dans les rues, et des passants se sont retournés, certains même se sont arrêtés car le petit se débattait entre les deux plus 9 grands. Mais ce n'était, imaginaient les passants, qu'une querelle entre enfants, comme il en arrive à chaque instant. Si vous aviez croisé, dans les rues de votre ville, trois jeunes enfants qui se disputaient, seriez-vous intervenus ? Peut-être votre regard ne se serait-il même pas immobilisé sur une scène si banale, si ano- dine. Vous le savez, les journalistes l'ont répété, les deux enfants avaient kidnappé le plus petit, que sa mère avait quitté des yeux pour quelques secondes. Ils l'ont entraîné, hors de ia ville, sur une voie fer- rée. Et là, après l'avoir torturé, ils l'ont tué. Ils avaient à peine plus de dix ans, et la victime, moins de trois ans. jm^c. , ;•• ^ Quand les deux assassins - ce mot, il faut l'employer, mais rappelez-vous : à peine plus de dix ans, des enfants-assassins donc - ont été conduits après leur arrestation devant le juge, la voiture de police dans laquelle on les avait installés a été prise à partie par la foule qui tentait de s'approcher, de frapper sur la carrosserie, et réclamait la mort pour les deux enfants-assassins, et l'on sentait, à regarder les images, que la foule voulait une mort immédiate pour exercer son droit de vengeance, appliquer la loi de Lynch. Et se débarrasser ainsi, en tuant les enfants-assassins, de toutes les questions que leur acte pose. 10 Vous le pensez comme moi, à la mesure même de l'émotion que vous avez éprouvée en prenant connaissance de ce fait divers, les interrogations que pose l'acte des enfants-assassins vont au cœur de notre civilisation. Nous sommes à moins d'une décennie de l'an 2000. L a Grande-Bretagne est l'un des plus vieux pays civilisés du monde, et l'Europe l'une des zones les moins pauvres, les moins barbares de notre planète. Et voilà ce qui peut s'y dérouler en cette fin de xx*" siècle. Pourquoi ? Qu'y a-t-il dans l'âme de ces enfants- assassins ? Que leur a-t-il manqué, pour qu'ils accomplissent ce crime sur plus faible qu'eux, sur un enfant comme eux ? Que signifie cette « destruction » de l'autre, du frère, de soi-même. Est-ce le MAL, le malin comme on disait au Moyen Âge, la part diabolique de l'homme, qui est au travail dans ces enfants ? Mais alors pourquoi, s'il en est ainsi, le M A L a-t-il gagné la partie contre le B I E N ? Quelles défenses ont cédé ? Quelles valeurs ont fait défaut qui auraient pu interdire que ces enfants ne basculent ainsi ? Est-ce la peur du châtiment qui a disparu, laissant la liberté devenir perverse, criminelle, ou est-ce l'amour qui a manqué à ces deux enfants-assassins, dont les familles étaient désunies ? Ou bien n'est-ce pas notre civilisation elle-même - avec ses tolérances, ses impuissances, son chômage, sa perte des valeurs stables - qui est en cause, même si 11 la responsabilité individuelle ne doit jamais être effa- cée? Ce crime est-il l'acte extrême qui exprime un comportement répandu : plus rien n'est respecté, tout devient possible? J'écris : « tout devient possible », et je me souviens de l'avoir tant de fois déjà pensé. Oh, non pas main- tenant, mais il y a plus de cinquante ans, quand j'assistais, au cœur du ghetto de Varsovie, à des scènes dont l'horreur atteignait - et dépassait - celle que je viens d'évoquer. « Tout est possible », avais-je l'habitude de penser. Tout est possible dans l'hor- reur. Mais tout est possible également dans la lutte contre la barbarie. Voilà des années que je m'emploie â le montrer. Mes actions, mes livres - les lettres qui chaque jour me parviennent par dizaines en témoignent - sont autant de dalles, posées les unes près des autres, pour tracer une voie. Mais, ce chemin, c'est à chacun de nous de l'emprunter par lui-même. Personne ne peut pen- ser, parler, agir pour l'autre. Mais on doit penser, parler, agir avec Vautre. Et ces trois verbes d'action - penser, parler, agir ™ , j'ai toujours voulu les conjuguer ensemble. Parce que s'ils sont séparés les uns des autres, chacun devient- infirme. Qu'est-ce qu'une pensée repliée sur elle-même, qui ne se parie pas, qui n'agit pas? U n monologue stérile ou égoïste. ^ Qu'est-ce qu'une parole qui n'est pas pensée et qui n'est pas action? . • • 12 Du bavardage sonore, une gesticulation bien vite ridicule. Qu'est-ce qu'une action qui n'est pas d'abord méditée, qui n'est pas expliquée aux autres ? Une violence, une agitation chaotique et dange- reuse souvent. J'ai donc écrit, parlé, agi, et ce depuis plus de vingt ans, depuis que, en 1970, dans l'incendie du Tanne- ron, ma famille ayant disparu, j'ai voulu, Au nom de tous les miens m'engager aux côtés des hommes, avec mon expérience, mes cicatrices, mes souffrances et mon espérance, pour empêcher que ia barbarie ne l'emporte à nouveau, comme elle l'avait fait dans les années trente de ce siècle. Or, plus que jamais, il faut penser, parler, agir, si nous ne voulons voir notre grande aventure de civili- sation s'enfoncer encore une fois dans un océan de douleurs et de crimes. Vous avez vu, comme je l'ai vu, ce couple de jeunes gens - à peine vingt ans - , abattu par des tireurs iso- lés, alors qu'ils tentaient de fuir Sarajevo. Vous avez vu, comme je l'ai vu, ces enfants tués, blessés par les éclats d'obus, dans cette guerre folle qui ensanglante l'Europe. Vous avez vu ces files de réfugiés, avec dans leurs yeux le désespoir et l'incompréhension. Qu'avaient-ils fait pour mériter cela ? Rien. Ils étaient innocents et pourtant la foudre est 1. Le titre de mon premier livre, aux Éditions Robert Laffont et aux Éditions Pocket. 13 tombée sur eux, et ils ont tout perdu, et leurs proches souvent sont morts. Voulons-nous d'un tel futur ? C'est de chacun de nous que cela dépend, il faut que chacun sache qui il est, ce qu'il veut, comment il doit agir, comment il peut apprendre à penser, com- ment il peut trouver le moyen de parler aux autres. Et d'abord, bien sûr, ceux qui, dans le xxf siècle, seront les actifs, ceux qui sont jeunes aujourd'hui, ces générations nouvelles auxquelles il faut transmettre le témoin, et qui choisiront leur route, leur rythme, leurs valeurs, leurs espoirs. Peut-être parce que j'ai des enfants jeunes - ils auront vingt ans à peine en l'an 2000, et le dernier n'aura pas dix ans - , je me sens le devoir de leur tendre ce témoin, afin qu'ils prennent le relais. Non pour faire ce que j'ai fait. Mais dans l'espoir surtout qu'ils n'auront pas à connaître ce que j'ai subi, ce que j'ai enduré et souf- fert. C'est pour cela que j'ai fondé l'Arche du Futur afin que ces jeunes des nouvelles générations puissent se rencontrer, apprendre les uns des autres, commu- niquer, faire connaître leurs besoins. Nous sommes à un carrefour périlleux de l'histoire de notre civilisation. Nous ne le franchirons que si chacun de nous, 1. Voir en annexe. 14 comme un sportif avant le saut, trouve ses marques, réfléchit au nombre de foulées qu'il doit accomplir avant de s'élancer, à l'endroit où il doit planter sa perche pour s'élever et passer la barre sans la désé- quilibrer, sans retomber en arrière. Pour cela, il faut que chacun de nous ait des repères précis. C'est le sens de ce livre. Un livre de réflexion né de l'expérience per- sonnelle, de ce que j'ai affronté, et aussi du contact avec ces milliers de personnes qui, tout au long de ma vie, m'ont fait part de leur propre aventure humaine, et m'ont aidé. Ce livre est une sorte de guide, qui n'impose rien, mais veut inciter chacun à s'aider lui-même. Je veux répondre à cette question que chacun de nous se uploads/Litterature/ vivre-debout-martin-gray-livre-pdf.pdf

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