L’Étiquette à la cour de Versailles Daria Galateria L’Étiquette à la cour de Ve

L’Étiquette à la cour de Versailles Daria Galateria L’Étiquette à la cour de Versailles Le manuel du parfait courtisan Traduit de l’italien par Françoise Antoine Illustrations Nicolas Arnoult Flammarion Titre original L’etichetta alla corte di Versailles Sellerio editore Palermo, 2016 © Flammarion, 2017 ISBN : 978-2-0814-1342-9 « C’est un des plus visibles effets de notre puissance, que de donner, quand il nous plaît, un prix infini à ce qui de soi-même n’est rien » Louis XIV Il était une fois Versailles L’étiquette à la cour de Versailles peut de nos jours paraître ­ extravagante ; tout comme semblent bien vaines les discussions des mémo- rialistes de l’époque sur les questions de rangs et de préséances, lesquelles peuvent s’étendre sur des centaines de pages aussi savoureuses que déli- rantes. Mais les mémorialistes, qui sont à la source même de cet ouvrage, sont avant tout des narrateurs : ils ne racontent l’étiquette que lorsqu’elle est bafouée, et en particulier quand elle donne lieu à des aventures funestes, comiques ou rocambolesques. Et si le Roi-Soleil, ce grand restaurateur du cérémonial de cour, est souvent considéré comme novateur dans ce domaine, l’instaurateur du « règne de vile bourgeoisie », il semble que ce soit dû à une série de circonstances très particulières, auxquelles ne sont pas étrangères les créances astronomiques revendiquées par des marchands en 1755 pour des chandelles impayées. Mais remontons un peu le temps. Une maison de campagne… On les appelait « tabourets » ou « dames assises ». Quand il y avait « cercle », c’est-à-dire réunion, chez la reine, ces privilégiés avaient droit à un tabouret (ou à un pliant, qui avait presque la même valeur). Tous les autres – hommes et dames « non assises » – restaient debout. Se trouvant un soir de 1670 au jeu chez la reine, le comte de Guiche, héros et séducteur cumulant les réputations de sodomite et d’impuissant, sentit, alors qu’il était I l é ta i t u n e f o i s V e r s a i l l e s / 9 debout dans l’assemblée, que la main de l’une de ces dames assises était occupée à un endroit qu’il recouvrait de son chapeau. Voyant que son amie détournait la tête, Guiche souleva malicieusement le couvre-chef. L’anecdote nous est rapportée par Primi Visconti, cet aventurier italien entré à la cour de Versailles grâce à sa renommée de devin, qui n’en revenait pas que les cardinaux, sans siège, se fassent bousculer dans la cohue. « Oh ! quelle cocagne ! Oh ! quelle cocagne ! » s’écria le cardinal Maldacchini, voyant qu’hommes et femmes devisaient ensemble ; « un vrai bordel », confia pour sa part le duc de Pastrana à Visconti. Au temps de Mazarin, les cardinaux étaient seuls habilités au tabouret, le cardinal ministre ayant pris l’habitude de s’asseoir devant la reine durant sa toilette. Mais c’était un abus et lorsque le roi arrivait, les cardinaux devaient non seulement se lever, mais également faire disparaître leur petit siège pliant. Pour ne pas devoir raccompagner les cardinaux à la porte, les prin- cesses du sang – de sang royal, c’est-à-dire descendantes directes d’Hugues Capet – se faisaient trouver au lit. Le duc d’Orléans, fils du Régent, les reconduisait toujours, au contraire, jusqu’à la galerie de Versailles, tout en répétant continuellement : « Je le dois, je le dois », signifiant bien qu’il le faisait à contrecœur. Le « lit de repos » était certes utile, mais il était aussi pleinement proto- colaire. Quand Louis XIII se rendit à Tarascon au chevet de Richelieu malade, on installa, à côté de la chaise longue du cardinal ministre, un second lit de repos sur lequel le roi se coucha ; et c’est ainsi étendus qu’ils s’entretinrent longuement ensemble. C’était l’usage ; le même cérémonial fut respecté par Louis XIV lorsqu’il honora de sa visite le maréchal de Villars – le crapuleux général – qui se trouvait alité. De même, seul le roi pouvait s’étendre sur le lit de la reine, raconte le marquis d’Argenson, fils du lieutenant général de police. Or, un jour que la duchesse de Bourgogne, nièce adorée du roi, fit un malaise dans la chambre à coucher de la maîtresse du souverain, Madame de Maintenon, cette dernière fit placer à la hâte des coussins sur le sofa, pour ne pas qu’on la mît sur son lit. « Le roi l’avait certainement épousée », en déduisit alors d’Argenson. Paradoxalement, Versailles – la plus splendide des cours d’Europe – était considérée, du point de vue de l’étiquette, comme « une maison de campagne ». Le baron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs dès 1699, 10 / I l é ta i t u n e f o i s V e r s a i l l e s avait connu en 1703 quelques déboires liés au manteau des ambassadeurs de Venise. En effet, l’habit de noble vénitien se composait d’un ample manteau noir et d’une robe raide de broderies et de pierres précieuses sur laquelle il était impossible voire ridicule de mettre le baudrier militaire et l’épée offerte par le roi lors de l’audience de congé. Breteuil eut ainsi l’idée de fixer l’audience à Versailles, qui, en tant que maison de campagne, dispensait l’ambassadeur Alvise Pisani de se présenter en habit de cérémonie. Privilèges anciens et nouveaux Parmi les privilèges les plus convoités à Versailles figurait le « pour », c’est-à-dire la prérogative d’avoir son logement à la cour – chambre, mansarde ou soupente – dont l’accès était marqué à la craie par le maréchal des logis du nom de l’heureux élu précédé d’un « pour » : « pour la duchesse de Bracciano », par exemple. Ce « pour » n’impliquait pas que l’on reçût une habitation plus confortable, les attributions étant arbitraires et sans primauté entre ducs, cardinaux et princes étrangers. La redoutable princesse des Ursins, omnipotente en Espagne, se battit « passionnément » pour obtenir le « pour » et se vante dans ses lettres de cette appréciable conquête. Parmi les grandes et petites entrées – les rituels d’accès à la chambre du souverain au lever et au coucher avaient été réglés dans leurs formes essentielles depuis l’époque d’Henri III –, l’une des plus coûteuses était le « brevet d’affaires ». Pour assister au « petit coucher » du souverain, il fallait avoir la charge de gentilhomme de la chambre, mais un brevet spécifique habilitait à retirer les selles royales de la chaise percée, sur laquelle le roi recevait. Le prix de cette prérogative pouvait monter jusqu’à soixante mille écus, car elle permettait de parler au roi en privé. Quand un pouvoir est sur le point de mourir, ses rites deviennent énigmatiques, voire souvent grotesques. Le cérémonial de Louis XIV était particulièrement respectueux des traditions auliques. Il créa parfois des privilèges infimes ou extravagants, auxquels le roi lui-même ne croyait pas : « Nulle (récompense) ne touche plus les cœurs bien faits que ces distinctions de rang, qui sont presque le premier motif de toutes les actions I l é ta i t u n e f o i s V e r s a i l l e s / 11 humaines, mais surtout des plus nobles et des plus grandes ; c’est d’ailleurs un des plus visibles effets de notre puissance, que de donner quand il nous plaît un prix infini à ce qui de soi-même n’est rien », écrit Louis XIV à son fils, précisant qu’il n’était « pas de joie plus pure » pour le prince, ces honneurs – gratuits – pouvant se dispenser « sans charger un de ses moindres sujets ». De leur côté, les courtisans n’étaient pas dupes. Le 3 décembre 1662, l’irrévérent comte de Bussy-Rabutin, qui passa la moitié de sa vie en exil, vit le roi si « gracieux » à la sortie de la messe qu’il prit courage et lui demanda la casaque bleue. Ce gilet bleu et argent garantissait à quarante courtisans d’être invités aux chasses de Marly ; on l’appelait « justaucorps à brevet », car il était sanctionné par un acte remis par un secrétaire d’État de la Maison du roi. Le roi le lui accorda. « C’était peu de chose, écrit Bussy-Rabutin, mais je voulais essayer par de petites grâces d’accoutumer insensiblement le roi à m’en faire de plus grandes. » Le plus souvent, le rang et l’étiquette – codifiés et étudiés dans des textes protocolaires : le mémorialiste Saint-Simon avait sur son bureau les deux éditions du Cérémonial français de Théodore et Denis Godefroy, publiées en 1619 et 1649 – valaient pour caution : celles du respect des traditions, de la continuité du pouvoir monarchique, du temps comme valeur. Les préséances étaient respectées, quand bien même elles portaient préjudice à la guerre, ou aux sentiments. En 1672, pendant la guerre opposant la France aux Provinces Unies, Louis XIV tenta de modifier la hiérarchie des charges afin d’amener ses maréchaux à obéir au général Turenne. Mais les maréchaux préférèrent tomber en disgrâce plutôt uploads/Litterature/9782081410374.pdf

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