Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines 45 (2014) Épopée
Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines 45 (2014) Épopée et millénarisme : transformations et innovations ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Dmitry Arzyutov « Épîtres » altaïennes : histoire et vie des textes du mouvement religieux Ak- jaŋ ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Dmitry Arzyutov, « « Épîtres » altaïennes : histoire et vie des textes du mouvement religieux Ak-jaŋ », Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines [En ligne], 45 | 2014, mis en ligne le 30 juin 2014, consulté le 30 juin 2014. URL : http://emscat.revues.org/2464 Éditeur : CEMS / EPHE http://emscat.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://emscat.revues.org/2464 Document généré automatiquement le 30 juin 2014. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © T ous droits réservés « Épîtres » altaïennes : histoire et vie des textes du mouvement religieux Ak-jaŋ 2 Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 45 | 2014 Dmitry Arzyutov « Épîtres » altaïennes : histoire et vie des textes du mouvement religieux Ak-jaŋ Traduction de Charlotte Marchina et Charles Stépanoff Introduction 1 Lors d’une enquête menée sur le terrain en 2009 pour étudier le mouvement contemporain Ak- jaŋ, l’ethnologue altaïenne N. A. Tadina et moi étions en visite chez l’une de nos informatrices, Al’bina Vasil’evna, qui, nous le savions, en était un membre actif, et réputée dans le village comme « personne d’un grand savoir ». Celle-ci répondit à nos questions par des formules comme : « c’est ainsi que c’est donné d’en haut », « c’est ce que l’on entend », puis alla chercher un cahier dans lequel étaient notées, d’une écriture soignée, des « épîtres 1 » (cf. annexes 2). Elle en commenta certains passages, indiquant si l’« épître » s’était réalisée ou non. Les textes étaient en russe et en altaïen. D’autres informateurs nous parlèrent aussi de leurs « épîtres ». Plus tard, nous eûmes l’occasion de voir plusieurs livres et un nombre conséquent de brochures contenant des textes de ce genre. Nos rencontres avec cette informatrice se poursuivirent en 2009, en 2010, 2011 et 2012, sans exclure des rencontres avec des personnes d’autres villages. Le mouvement religieux altaïen contemporain Ak-Jaŋ 2 Ce mouvement peut être en partie regardé comme le prolongement d’un mouvement altaïen du début du XX e siècle, appelé « bourkhanisme » par les missionnaires et les ethnologues (Danilin 1993). L’influence du bouddhisme tibétain propagé en Altaï 3 depuis la Mongolie remonte à la période où l’Altaï appartenait au khanat djoungar. La chute de ce dernier entraîna l’incorporation de l’Altaï dans l’empire russe en 1756. 3 En 1904-1905, des persécutions frappèrent les membres du mouvement bourkhaniste, en particulier les meneurs (jarlyk), lorsque la presse affirma que ses fidèles attendaient l’arrivée de Japon-Han 4, ce qui était vu comme une menace dans le contexte de la guerre russo-japonaise. Dans les années 1930 fut engagée une nouvelle vague de répression contre le mouvement qualifié tantôt de « national-libérateur », tantôt de « contre-révolutionnaire », en fonction de la conjoncture politique. 4 Dans la littérature anthropologique, le bourkhanisme est décrit comme un mouvement « nativiste » (Krader 1956) ou « revitaliste » (Wallace 1956). Il est connu aussi sous le nom de « foi blanche », l’une des traductions possibles de ak jaŋ (par exemple Vinogradov 2010), ak pouvant être compris comme « blanc » ou « saint » et jaŋ comme « loi », « ordre » ou « foi ». 5 Le mouvement ne s’est pas arrêté aux années 1930 comme on le croit souvent, mais se poursuit encore, sous une forme discrète. Nous ne disposons malheureusement pas d’une chronologie continue du mouvement, et la période 1930-1980 demeure une page mal étudiée de l’histoire culturelle des Altaïens. 6 En revanche, pour les informateurs, la continuité est bien réelle. Ainsi voient-ils le ak-jaŋdu d’aujourd’hui, « celui qui connaît/observe l’Ak-jaŋ », comme l’héritier du mouvement né au début du XX e siècle, gardien de la mémoire et connaisseur des règles morales établies, dont N. A. Tadina et moi avons pu décrire la figure d’après leurs récits (Arzjutov & Tadina 2010). Ils construisent des liens « généalogiques » entre le bourkhanisme et l’Ak-jaŋ d’aujourd’hui. 7 Entre le milieu des années 1980 et le début des années 2000, dans un contexte de « renaissance ethnique » et de prise de conscience écologique, le mouvement a été revitalisé sous le nom de Ak-jaŋ ou Altaj-jaŋ, et plusieurs courants religieux sont apparus dans la mouvance de la « tradition bourkhaniste ». Je n’évoquerai ici que le mouvement des vallées du Karakol et de l’Ursul en république d’Altaï. Afin de respecter la chronologie des événements j’emploierai le terme étique « bourkhanisme » pour désigner le mouvement du début du XX e siècle et je réserverai le terme émique Ak-jaŋ au mouvement religieux contemporain. Alors que les messages du meneur du bourkhanisme, Čet Čelpanov, contenaient des éléments anti-russes, « Épîtres » altaïennes : histoire et vie des textes du mouvement religieux Ak-jaŋ 3 Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 45 | 2014 les épîtres contemporaines s’orientent vers un discours anti-touristique et anti-bouddhique, alors qu’elles restent, comme le bourkhanisme, empreintes d’influences bouddhiques. 8 Cette note est principalement consacrée aux textes contemporains consignés d’abord dans des cahiers lus dans un cercle restreint, puis diffusés dans le mouvement sous forme de tracts, de journaux et de livres. Les spécialistes de l’Altaï se sont principalement attachés à analyser l’héritage épique (cf. Funk 2005) 5. En revanche, bien que des « épîtres » aient été publiées (Halemba 2008), elles n’ont pas été analysées dans leur contexte social, leur genèse et leur réception. Nous examinerons successivement l’apparition de ces épîtres (l’histoire des « entendants »), leur usage et leur réception, mais non leurs aspects linguistiques. L’oral et l’écrit 9 La première question est celle de l’apparition d’une tradition écrite : comment les Altaïens se sont-ils mis à rendre un savoir « sacré » sous une forme écrite ? Les épîtres ne sont pas seulement l’œuvre d’un leader, mais aussi de membres actifs du mouvement. 10 Selon nos informateurs, l’écriture mongole, uzuk bičik, était en usage parmi les Altaïens jusque dans les années 1960, et jusque dans la zone d’habitat des Téléoutes Bačat sur le cours moyen de la Tom (Funk 1993, p. 263). Mangée par une vache selon un mythe altaïen (Potapov 1983, pp. 108-109), cette écriture fut perdue. Aujourd’hui personne parmi les Altaïens ne l’utilise plus. Voici un récit concernant uzuk-bičik : Autrefois, les Altaïens savaient tous écrire. Un jour, les hommes sont partis à la guerre, tandis que les femmes et les enfants-descendants étaient restés dans les ail [campements]. En ces temps difficiles, la vache mangea le livre en secret… Maintenant quand on abat une vache et qu’on nettoie ses intestins-estomac, on y voit les plis de notre livre. On y voit même des signes semblables à des tamgas, qui ne sont pas encore effacés. Chez nous les Altaïens, on dit qu’il y eut d’abord le livre appelé budak-bičik puis le « livre oïrot » (noté par I. B. Šinžin dans le village Inegen du district Ongudaj auprès de T. Tebeeva, du groupe lignager (söök) Čapty, 2011, p. 176-177). 11 Il n’est pas rare que les textes incompréhensibles ou peu compréhensibles soient sacralisés. Ce thème a été admirablement étudié dans le cas des matériaux slaves de l’est 6. Voici un aperçu du rôle tenu par l’écrit dans le bourkhanisme : « Parfois on rencontre chez les bourkhanistes des livres saints mongols et tibétains, mais seulement chez les Altaïens riches entretenant des liens commerciaux avec la Mongolie » (Danilin 1932, p. 73), et « les livres en tibétain sont sacrés. C’est pourquoi ils sont conservés avec les autres objets de culte dans le tagyl 7 antérieur » (ibid. 74). Ils ne sont en effet pas utilisés comme textes, mais comme objets magiques, dont le contact avec le sinciput, le front et la poitrine du « lecteur » le fait accéder au sens contenu dans l’écrit (Danilin 1993, p. 140-141). 12 C’est un nouvel usage de l’écrit qui apparaît à la fin des années 1920 quand, dans les journaux locaux tel Kьzьl Ojrot apparaissent des lettres de repentance d’anciens jarlyk s’accusant d’avoir participé au bourkhanisme (Danilin 1932, pp. 89-90). Dans les années 1920-1930, les lettres publiques étaient un phénomène général (cf. Fitzpatrick 1996). 13 Les Altaïens contemporains vivant uploads/Litterature/ arzyutov-2014-epitres-altaiennes-histoire-et-vie-des-textes-du-mouvement-religieux-ak-jan-pdf 1 .pdf
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- Publié le Mai 06, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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