La vocation pédagogique de l'histoire chez Kant et son horizon cosmopolitique M
La vocation pédagogique de l'histoire chez Kant et son horizon cosmopolitique Marceline Morais Dans Archives de Philosophie 2003/4 (Tome 66), pages 603 à 633 Éditions Centre Sèvres ISSN 0003-9632 DOI 10.3917/aphi.663.0603 Distribution électronique Cairn.info pour Centre Sèvres. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2003-4-page-603.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. © Centre Sèvres | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5) © Centre Sèvres | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5) La vocation pédagogique de l’histoire chez Kant et son horizon cosmopolitique MARCELINE MORAIS Collège de Saint-Laurent On a longtemps considéré la philosophie de l’histoire chez Kant comme un élément plutôt négligeable du système de la philosophie critique. Depuis les vingt dernières années, dans la foulée d’un renouveau de la philosophie pratique d’inspiration kantienne, on redécouvre néanmoins son impor- tance. Ce regain d’intérêt se justifie en regard du rôle médiateur de l’histoire. Située à mi-chemin entre deux domaines hétérogènes, celui de la nature et celui de la liberté, l’histoire permet d’effectuer la transition ou le passage de l’un à l’autre et d’en concevoir ultimement l’unité 1. La revalorisation de la philosophie kantienne de l’histoire s’accompagne la plupart du temps de la reconnaissance du rôle-clé qu’y joue le concept du souverain bien, que Y. Yovel n’hésite pas à qualifier d’« idée régulatrice de l’histoire » 2. Nul ne songerait à contester aujourd’hui qu’une lecture réfléchissante de l’histoire chez Kant s’effectue à partir des réquisits de la raison pratique, qui exige la réalisation du souverain bien dans le monde. Cependant, comme le souve- rain bien possède à la fois un sens politique et un sens moral 3, tous ne 1. Citons, parmi ceux qui ont permis la réhabilitation de la philosophie kantienne de l’histoire, Yermeyahu Yovel (Kant et la philosophie de l’histoire, Méridiens Klincksieck, Paris, 1989), Monique Castillo (Kant et l’avenir de la culture, PUF, Paris, 1990) ou encore Alexis Philonenko (La théorie kantienne de l’histoire, Vrin, Paris, 1986, 253 p.). 2. Y. Y, Kant et la philosophie de l’histoire, Méridiens Klincksieck, Paris, 1989, p. 34. L’interprétation de Yovel semble désormais partagée par plusieurs comme en témoignent entre autres l’article récent de David L, « Kant : Progress in Universal History as a Postulate of Practical reason », Kantstudien, 90, 1999, p. 129-147, ceux de Andrew R, « Two Concep- tions of the Highest Good in Kant », Journal of the History of Philosophy, 26, 1988, p. 593-619, de Sharon A-G, « Kant’s Ethical Commenwealth as a Social Goal », International Philosophical Quarterly, 26, 1986, p. 23-32, et de Pauline K, « Kant, History, and the Idea of Moral Development », History of Philosophy Quarterly, 16/1, 1999, p. 59-80. 3. On doit à John Silber d’avoir été le premier à distinguer entre le souverain bien immanent, qui est politique, et le souverain bien transcendant, qui est moral. Le souverain bien Archives de Philosophie 66, 2003 © Centre Sèvres | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5) © Centre Sèvres | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5) s’entendent pas sur le but qu’il convient d’assigner à la progression histori- que. Ceux que nous appellerons les « moralistes » 4 soutiennent que le but du développement historique consiste en la moralisation de l’homme et de la nature. Les autres, que nous qualifierons de « politiques », font de l’État de droit et de la paix perpétuelle le but final du développement historique 5. Il est cependant indéniable que la tâche de l’histoire est d’effectuer un passage de la légalité des actions vers la moralité des intentions 6. Or, un tel passage s’avère impossible sans la culture ou l’éducation morale du genre humain. Dans ce contexte, une valorisation excessive de la finalité politique de l’histoire a pour effet d’occulter ses dimensions anthropologiques et péda- gogiques qui sont pourtant fondamentales. Notre intention dans cet article sera de souligner le projet éducatif qui anime la philosophie kantienne de l’histoire, afin de démontrer qu’elle a pour but la formation progressive d’une conscience cosmopolitique. Nous verrons également qu’elle suppose une vision pragmatique de l’homme, suivant laquelle celui-ci n’est jamais envisagé tel qu’il est, physiologique- ment ou naturellement, mais tel qu’il peut et doit devenir par la liberté. L’histoire apparaîtra également comme le lieu d’une réconciliation éven- tuelle entre la légalité et la moralité et comme poursuivant, à ce titre, une double finalité : l’une politique, l’autre morale. Dans un premier temps, il nous faudra préciser la tâche que doit remplir pour Kant une philosophie de immanent constitue l’approximation progressive et historique du souverain bien transcendant, c’est-à-dire sa forme institutionnelle et juridique qui s’incarne notamment dans l’état de droit républicain et dans l’idée d’un Foedus Pacificum. On ne peut dans cette optique éliminer la définition transcendante du souverain bien sans priver du même coup sa conception immanente de son fondement et de son but (voir John R. S, « Kant’s Conception of the Highest Good as Immanent and Transcendant », Philosophical Review, 68, 1959, p. 469-492). 4. On peut ranger dans cette catégorie des auteurs tels que Y. Yovel, P . Kleingeld, D. Lindset, Monique Castillo et Alexis Philonenko. 5. C’est l’opinion de Ottfried Höffe (Introduction à la philosophie pratique de Kant, éditions Castella, Suisse, 1985), d’Andrew Reath (« Two conceptions of the Highest Good in Kant ») et, dans une moindre mesure, celle de Jürgen Habermas (L’intégration républicaine, trad. Rainer Rochlitz, Fayard, Paris, 1998, p. 161-204). Des auteurs comme Patrick Riley (Kant’s political Philosophy, Rowman & Littlefield, New Jersey, 1983) et Howard Williams (Kant’s political philosophy, St. Martin Press, New York, 1983) sont plus nuancés : tout en mettant l’accent sur la dimension politique de l’histoire chez Kant, ils en soulignent néanmoins l’horizon moral. 6. Un des premiers à avoir précisé la situation intermédiaire de l’histoire, qui se trouve à mi-chemin entre la légalité et la moralité, est sans aucun doute Jean Nabert dans son « Avertis- sement » qui fait figure d’introduction à La philosophie de l’histoire de Kant, trad. Piobetta, Aubier, Paris, 1947. Il convient de citer également parmi les ouvrages qui insistent sur l’orientation morale de la culture et de l’histoire chez Kant l’excellent livre de Monique C, Kant et l’avenir de la culture, de même que l’article récent de Pauline K, « Kant, History, and the Idea of Moral Development », in History of Philosophy Quarterly, 16/1, 1999, p. 59-80 . M. MORAIS 604 © Centre Sèvres | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5) © Centre Sèvres | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5) l’histoire. Nous insisterons ensuite sur la vocation pédagogique de l’histoire entendue comme le lieu où s’effectue le progrès des dispositions originelles de l’homme. Nous verrons ensuite que ce progrès repose sur deux facteurs, la ruse de la nature et l’éducation, dont il faudra démontrer la compatibilité. Nous évoquerons enfin les difficultés qui résultent de la présence, au sein de l’histoire, de deux buts distincts : l’établissement, par la voie juridique et politique, d’une fédération pacifique entre les états et l’avènement d’une communauté éthique, fondée sur la moralité. À cet égard, nous soutiendrons que la résolution de ces difficultés n’implique nullement le sacrifice de la finalité morale de l’histoire au profit de sa finalité politique, mais suppose au contraire l’affirmation de leur interdépendance. Dans cette perspective, si la paix politique et juridique représente la condition préalable à l’avènement d’une communauté éthique, celle-ci constitue néanmoins l’horizon et la raison d’être de toute politique. 1. Q’’? 1) Le rôle médiateur de l’histoire Le rôle médiateur de l’histoire est attesté par Kant dès les premières lignes de l’Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique. Afin d’introduire à la problématique d’une philosophie de l’histoire, Kant y juge bon de rappeler que la morale et son principe, la liberté du vouloir, sont à la source d’actions qui doivent avoir lieu dans l’expérience empirique. Cette nécessité pratique est néanmoins problématique puisque l’on voit difficile- ment comment des actions qui ont leur source dans la liberté seraient néanmoins soumises, dans l’expérience, aux lois universelles de la nature. Un besoin élémentaire de cohérence morale exige pourtant que nous puis- sions considérer ces actions comme étant, en quelque façon, des manifesta- tions phénoménales de la liberté. Or, l’histoire est justement cette discipline qui a pour but de « raconter ces manifestations phénoménales 7 » de telle sorte que, considérées globalement, elles semblent répondre uploads/Litterature/aphi-663-0603-pdf.pdf
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- Publié le Sep 07, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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