Calixthe Beyala ou le discours blasphématoire au propre (Calixthe Beyala or the

Calixthe Beyala ou le discours blasphématoire au propre (Calixthe Beyala or the Blasphematory Discourse) Author(s): Augustine H. Asaah Source: Cahiers d'Études Africaines , 2006, Vol. 46, Cahier 181 (2006), pp. 157-168 Published by: EHESS Stable URL: https://www.jstor.org/stable/4393552 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers d'Études Africaines This content downloaded from 150.214.205.172 on Sun, 16 Jan 2022 18:23:25 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Augustine H. Asaah Calixthe Beyala ou le discours blasphematoire au propre Maints chercheurs comme Placide Tempels (1949), Jean-Calvin Bahoken (1967), J. Olumide Lucas (1970), Kofi Asare Opoku (1978) et John S. Mbiti (1990) se sont penches sur la religiositd fonciere et le fideisme des Africains. Pourtant, contrairement a cette th6se bien repandue, le discours blasphema- toire fait bon menage avec la quotidiennete et le legs culturel des Africains. En effet, de nombreux intellectuels, notamment camerounais, ont eu le m6rite de demontrer, preuves 'a I'appui, que l'atheisme, la pensee materialiste et le blaspheme ne sont pas etrangers aux traditions du continent noir. A cote des fideles traditionnels existe un contre-courant fortement agnostique, incroyant et rationaliste. De l'avis de Towa (1986: 152), < Les Africains conqoivent I'Absolu moins comme un individu que comme un sys- t6me de representations et de normes leguees par les ancetres. On le voit k leur attitude desinvolte 'a 1'egard de Dieu [...]. [I]ls affirment qu'il ne s'occupe pas du monde, ce qui est une faqon de 1'exclure de nos affaires, en somme de le nier. >> Partant des contes africains auxquels, comme le soutient Louise-Marie Ongoum (1989: 42), n'echappe nul aspect de la culture du peuple, Jean- Godefroy Bidima et Joseph Dong Aroga arrivent 'a la meme conclusion. D'apres le premier, << L'idee d'une essence fid6ique du Negre doit etre [...] mise en question par les contes d'Afrique [...1. Le sujet reconnait que Dieu est finalement sa creature qui n'existe que parce que lui [le sujet] peut dire son nom et peut decider de ne plus le dire, abolissant ainsi l'existence de Dieu >> (Bidima 1995: 53-54). J. D. Aroga (1997), quant a lui, soutient qu'un grand nombre de contes africains contestent et donc nient l'existence de Dieu. Aussi Dieu est-il <<ramene de la transcendance 'a l'immanence, aux dimensions memes de I'humanite connaissant des limites au lieu d'etre omnipotent, omniscient, omnipresent >> (p. 260). Et, dans le meme ordre d'idees, le romancier et Cahiers d'Etudes africaines, XLVI (1), 181, 2006, pp. 157-168. This content downloaded from 150.214.205.172 on Sun, 16 Jan 2022 18:23:25 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 158 AUGUSTINE H. ASAAH cineaste senegalais Sembene Ousmane (Aas-Rouxparis 2002: 573) fait remar- quer que les Diola du Senegal et de la Gambie, loin d'etre fideistes, << peu- vent meme insulter leur Dieu pour se defouler, si bon leur semble >>. Voila pourquoi Kwasi Wiredu (1996: 49), philosophe ghaneen, s'eleve contre l'idee reque qui veut que les Africains soient tous fondamentalement religieux. Discours subversif et discours blasphematoire Or, tres rares sont les romanciers qui, dans leurs ecrits, remettent systemati- quement en question 1'existence de Dieu ou des dieux. La plume subversive d'un Yambo Ouologuem, d'un Ayi Kwei Armah, d'une Angele Rawiri ou d'une Tsitsi Dangarembga n'est pas allee jusqu'a frapper d'anatheme, de maniere recurrente, la figure divine. Pourtant, ce que ses devanciers et ses contemporains s'abstiennent d'executer, la romanciere camerounaise Calixthe Beyala en fait l'un des points forts de ses romans. A l'instar de bon nombre d'ecrivains africains postcoloniaux, elle recourt 'a l'ecriture demystifica- trice ; il est vrai que la peinture de l'anomie postindependance passe imman- quablement par la satire subversive. L'inscription de la contestation dans la fiction n'est donc pas l'apanage de cette seule auteure. Loin s'en faut. Grace 'a ses treize romans - et ses deux essais - ecrits en l'espace de dix-huit ans (1987-2005), Calixthe Beyala s'est taille une reputation d'crivaine redoutable, eclipsant, a plus d'un titre, la plupart des auteurs africains francophones, hommes et femmes confondus. Cette forte visibilite litteraire, elle la doit autant 'a son militantisme antiraciste qu'a son femi- nisme agressif, digne d'une amazone impavide. << J'ai un discours inattendu. Je suis nee a contre-courant >>, declare-t-elle a Sennen Andriamirado et a Emmanuel Pontie (1996: 76). Par ailleurs, son standing litteraire a beneficie de campagnes mediatiques importantes et de la polemique engagee sur sa pratique, a ce que l'on pretend, du demarcage. Signalons aussi que plusieurs prix litteraires lui ont ete attribues, entre autres, ceux de l'Academie fran- qaise, pour Les honneurs perdus, et de l'Unicef, pour La petite fille du reverbere oiu 1'ecrivaine defend vivement la cause de l'emprunt. Si des critiques comme Madeleine Borgomano (1996), Pierrette Herzberger-Fofana (2000), Mwatha Musanji Ngalasso (2002) et Claire L. Dehon (2005) s'appliquent a prouver la nature transgressive du discours beyalesque, le blaspheme proprement dit dans la fiction de Beyala ne jouit pas du meme interet. On sait egalement que la lutte anticoloniale africaine a produit une importante litterature anticlericale, notamment chez les Camerounais Mongo Beti et Ferdinand Oyono, compatriotes aines de Beyala. Toutefois, cet anti- clericalisme, ce discours insolent, n'etait pas dirige contre Dieu mais plutot contre les missionnaires, agents zeles du colonialisme. Tout au long de cette analyse, nous utilisons le terme << blaspheme >> dans son acception premiere de violation du sacre. Nous nous inspirons du This content downloaded from 150.214.205.172 on Sun, 16 Jan 2022 18:23:25 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms LE DISCOURS BLASPHIMATOIRE 159 sens propre que Mircea Eliade (1965: 16) et Luke Ebersole (1964: 613), a la suite d'Emile Durkheim (1985), attribuent au terme << sacre >> comme antonyme du profane et synonyme de ce qui est considere comme sacro- saint par la religion. Equivalent d'irreverencieux ou d'impie, le qualificatif << blasphematoire ? au sens propre est bien plus fort que les termes << trans- gressif >>, << insolent >>, << subversif >>, << demystificateur >> ou << impertinent >>. Certes, le blaspheme et le sacrilege renferment, dans leur signification premiere, l'idee d'atteinte au sacre, le premier constitue de propos insolents tenus contre Dieu, les divinites ou la religion, le second 6tant un acte icono- claste au sens propre. Si leurs buts sont congruents - outrager le sacre et remettre en question la divinite - et leur essence identique - la profanation du sacre -, en revanche, les deux phenomenes se distinguent l'un de l'autre par leur forme. Le blaspheme est vehicule par la parole et l'ecriture; le sacrilege, par l'acte. Comme l'affirme Jonathan F. Cordero (2000: 633), au mode verbal et ecrit du blaspheme s'oppose la forme physique et visuelle du sacrilege. Chez Calixthe Beyala, il s'agit de blaspheme et non de sacrilege dans la mesure oiu sa profanation du sacre prend la forme de discours. L'attitude qu'affiche l'auteure 'a travers son proces blasphematoire du divin et du sacro-saint oscille entre desinvolture et irreligiosite, libertinage et atheisme, enfin, scepticisme et amoralisme. On peut pousser l'argument plus loin en affirmant que le plagiat (Assouline 1997) dont on l'a parfois accusee participe de son desir, violent et amoral, de porter atteinte au royaume sacre des lettres. Sous ce rapport, les efforts de l'ecrivaine pour se justifier doivent etre mal perqus car constituant une tentative derisoire de deculpabilisation. De meme, sa volonte de dedramati- ser ses emprunts avec son avant-demier roman, Femme nue femme noire (2003), qui recrit en le destructurant le celebre poeme de Leopold Sedar Senghor du meme titre, releverait d'une vaine entreprise de desensibilisation du public concernant son infraction supposee de la chasse gardee d'autrui. Pour valable que cet argument puisse paraitre, le domaine auquel renvoie le sens figure de sacre, sans reference a la religion, sort, quoi qu'il en soit, du cadre de notre propos. Son discours blasphematoire au sens propre permet a Calixthe Beyala de renouer avec une certaine tradition africaine irreverencieuse, en remettant a l'honneur une vieille pratique qui, du pays zoulou au monde akan en passant par les societes beti et bamileke, conteste l'existence des dieux ou de Dieu. A ce propos, trois elements soulignent la veine blasphematoire de ses romans: l'onomastique irreverencieuse, le phenomene des naissances miraculeuses iconoclastes et les propos impies. Ces trois champs profana- teurs se mettent, en regle generale, au service de l'attaque antipatriarcale, c'est-'a-dire au service du feminisme. This content downloaded from 150.214.205.172 on Sun, 16 Jan 2022 18:23:25 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 160 AUGUSTINE H. ASAAH Onomastique irreverencieuse Ainsi, dans cette oeuvre, toponymes et anthroponymes trahissent la volonte blasphematoire de la romanciere. Par exemple, elle voit dans Belleville, un quartier parisien, une trouvaille pour presenter 1'envers du paradis oiu echouent les immigres africains: la famille Traore dans Le petit prince de Belleville et Maman a un amant; Saida uploads/Litterature/asaah-beyala-discours-blasphematoire.pdf

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