Françoise Guéritte La nature pour inspirer le chimiste : substances naturelles,

Françoise Guéritte La nature pour inspirer le chimiste : substances naturelles, phytochimie et chimie médicinale La nature pour inspirer le chimiste : Substances naturelles, phyto chimie et chimie médicinale Françoise Guéritte est Directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et travaille à l’Ins- titut de chimie des substances naturelles (ICSN) du CNRS. Dans le cadre de ses travaux sur les molécules naturelles bio actives, elle a fait partie de l’équipe qui a synthétisé le taxotère, cet anticancéreux qui a sauvé des millions de vies, et dont l’histoire est racontée dans ce chapitre entre autres1. 1. L’auteur tient à remercier, pour leur travail effi cace et toujours pas- sionné, Vincent Dumontet, Marc Litaudon, Barbara Morleo, Cyril Poullain et Fanny Roussi, membres permanents de l’équipe « Pôle Substances Naturelles – Plantes » qu’elle dirige, ainsi que Thierry Sévenet, direc- teur de recherche Émérite, pour ses nombreux conseils toujours avisés. 1 Quand la nature inspire le chimiste La nature et sa biodiversité offre aux chercheurs une multitude de sujets de re- cherche, en particulier pour trouver des molécules aux propriétés biologiques inté- ressantes : thérapeutiques, phytosanitaires, etc. Par son impressionnante richesse et sa complexité, en plus de sa beauté bien souvent, la nature est source d’inspiration pour les chimistes (Figure 1). 1.1. Une biodiversité riche, source infi nie pour le chimiste Nous savons en effet que la Terre regorge de millions d’espèces, des micro-orga- nismes, des plantes ou encore des organismes marins, et très peu ont encore été étu- diées, que ce soit d’un point de vue chimique ou biologique (Figure 2). Il reste donc un immense tra- vail pour le chimiste qui étudie les substances naturelles, car Livre Chimie et nature.indd 101 03/09/12 11:21 102 La chimie et la nature cette biodiversité très riche va conduire à une diversité chimique et structurale d’au- tant plus importante. Parmi les molécules isolées de tous ces organismes, des subs- tances sont étudiées par les biologistes qui les utilisent dans leurs recherches pour déterminer par exemple les fonctions d’une protéine, et certaines de ces substances deviendront même des médi- caments, comme l’aspirine et le taxotère, représentés sur la Figure 3. Mentionnons que plus de 50 % des médicaments ont une relation avec la na- ture. Ainsi la nature est une source régulière de médica- ments, qu’ils soient directe- ment isolés du milieu naturel ou synthétisés à partir de mo- lécules extraites de la nature. Figure 1 Montage de l’Institut de chimie des substances naturelles (ICSN) dans une forêt tropicale. Cette image représente la nature comme source infi nie d’inspiration pour les chimistes pour synthétiser des molécules. Figure 2 Il reste encore beaucoup à explorer dans la biodiversité de la nature, qui offre une infi nie diversité chimique. A) Les micro-organismes représentent plusieurs millions d’espèces. Moins de 10 % des bactéries ont été étudiées, et moins de 5 % pour les champignons ; B) les plantes sont à ce jour estimées à environ 300 000 espèces, dont seulement 10 % ont été étudiées ; C) les organismes marins (éponges, algues, coraux…) sont estimés à 500 000 espèces, dont très peu ont été étudiées. A B C Livre Chimie et nature.indd 102 03/09/12 11:21 103 La nature pour inspirer le chimiste : 1.2. De la nature à la molécule bioactive : les chimistes à l’œuvre Dans leur recherche de mo- lécules bioactives parmi les substances naturelles, les chimistes ont plusieurs étapes à réaliser. Nous exa- minerons ici le cas des plantes (Figure 4) : La première tâche est d’isoler le produit, actif ou non, à par- tir des plantes : −en tout premier lieu doit être réalisée l’identification botanique. Il est important de caractériser de manière précise les plantes, objets de l’étude chimique ; elles possè- dent toutes un nom de genre et un nom d’espèce ; −on procède alors au broyage et à l’extraction, comme on le fait pour n’importe quelle plante comme le thé ou le café, afi n d’obtenir un extrait contenant plusieurs centaines de molécules différentes, que l’on peut visualiser sur un dia- gramme (chromatogramme) obtenu par chromatographie liquide haute performance2 (CLHP) : un amas de signaux apparaît correspondant aux différentes molécules. Il s’agit pour les chimistes de fraction- ner puis purifi er le mélange pour aboutir à une substance pure, qui sera détectée sous forme d’un pic unique sur le chromatogramme. La struc- ture de cette molécule est 2. La chromatographie en phase liquide à haute performance est une technique d’analyse basée sur la séparation sous pression des molécules d’un mélange par différence d’hydrophobicité (hydro- phobe = peu soluble dans l’eau). Figure 3 Exemples de substances naturelles bioactives, des plus simples aux plus complexes. La nature est une source régulière de nouveaux médicaments et de molécules originales. A) L ’acide acétylsalicylique (ou aspirine®) est dérivé de l’acide salicylique que l’on trouve dans l’écorce de saule ; B) la méiogynine A est isolée des écorces de Meiogyne cylindrocarpa ; C) le taxotère® (docetaxel) est synthétisé à partir d’un composé qui se trouve dans les feuilles d’if (Taxus baccata) ; D) la trigocherrine A est issue de l’arbuste Trigonostemon cherrieri. A B C D Livre Chimie et nature.indd 103 03/09/12 11:21 104 La chimie et la nature ensuite déterminée par spec- troscopie de RMN du proton 1H et du carbone 13C (voir le Cha- pitre de M. Rohmer, Encart : « La résonance magnétique nucléaire (RMN), outil quoti- dien du chimiste pour étudier les molécules organiques »). Toutes ces étapes allant de la plante à la structure de la mo- lécule font partie de l’étude phytochimique. 1.3. Comprendre les propriétés des molécules naturelles pour la recherche thérapeutique L’objet de la chimie médici- nale est ensuite d’étudier les propriétés structurales et bio- logiques de la substance qui a été isolée : elle sera consi- dérée comme bioactive si, en interagissant par exemple avec une protéine (ou une en- zyme), elle conduit à un effet biologique (Figure 5). Dans le modèle d’interaction qui est étudié, la substance naturelle (ligand) est comme une clé et la protéine (récepteur) est sa serrure : mieux la clé s’inté- grera dans la serrure, plus l’activité biologique sera im- portante. À partir de ce modèle, le chimiste étudie les relations qui existent entre la structure de la substance et l’activité biologique mesurée dans l’in- teraction avec la protéine. En menant ses recherches avec le biologiste, il étudiera éga- lement le mécanisme d’action de la molécule, ainsi que sa biodisponibilité, c’est-à-dire son devenir in vivo, en vue de la développer en tant que mé- dicament. Racontons maintenant l’his- toire de quelques médica- ments connus, sur la base de ce principe. Figure 4 Les étapes de la plante à la molécule. Livre Chimie et nature.indd 104 03/09/12 11:21 105 La nature pour inspirer le chimiste : 2 Histoire du développement de médicaments connus et découverte de nouvelles molécules actives 2.1. L’aspirine 2.1.1. La découverte Faisons un petit retour dans l’histoire sur l’aspirine, ce mé- dicament que nous connais- sons tous (Encart : « L’histoire de l’aspirine, en quelques dates », et voir la Figure 3A). Sa découverte provient d’une observation de la nature : comme on constatait que le saule blanc poussait dans l’eau sans problème, il devait sûrement contenir des mo- lécules intéressantes. Dans les temps anciens, Hippocrate conseillait bien déjà la tisane de feuilles de saule pour sou- lager douleurs et fi èvre. Cela se poursuivit avec Edward Stone, qui conseillait quant à lui l’écorce de saule ; et il a fallu attendre les années 1825 pour que soit isolé, à partir des écorces de saule, le composé responsable de ces vertus thérapeutiques : la salicine (Figure 6). À la même époque, l’acide spirique est isolé de la Reine des prés, dont la structure est identique à celle de l’acide salicylique, présent aussi dans l’écorce de saule, et obtenu chimique- ment à partir de la salicine. Figure 5 L’interaction d’un ligand avec son récepteur. L’HISTOIRE DE L’ASPIRINE, EN QUELQUES DATES L’aspirine, sa découverte – 400 : Hippocrate conseille la tisane de feuilles de saule blanc pour soulager douleurs et fi èvres 1763 : Utilisation de l’écorce de saule recommandée par Edward Stone pour soigner les fi èvres 1825 et 1829 : Isolement de la salicine de l’écorce de saule par Francesco Fontana et Henri Leroux 1835 : Préparation de l’acide salicylique à partir de la spirée par Karl Jakob Lowig L’aspirine, médicament anti-infl ammatoire 1853 : Synthèse de l’acide acétylsalicylique par Charles Frederic Gehrard 1897 : Production industrielle de l’acide acétylsalicylique par la fi rme Bayer (Felix Hoffmann) 1899 : Mise sur le marché de l’aspirine par Bayer (Brevet) Livre Chimie et nature.indd 105 03/09/12 11:21 106 La chimie et la nature 2.1.2. Le développement du médicament Là-dessus les chimistes ont pris le relais en trouvant une molécule encore plus active que l’acide salicylique : par une simple réaction d’acétylation sur le groupement hydroxyle, ils forment l’acide acétylsalicy- lique (Figure 7), commercialisé sous le nom d’aspirine. Les études de son activité ont montré qu’elle uploads/Litterature/chimie-et-nature-101.pdf

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