Revue d'histoire et de philosophie religieuses L'opinion païenne et la conversi
Revue d'histoire et de philosophie religieuses L'opinion païenne et la conversion de Constantin William Seston Citer ce document / Cite this document : Seston William. L'opinion païenne et la conversion de Constantin. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 16e année n°3-5, Mai-octobre 1936. Cahier dédié à la mémoire de G. Baldensperger. pp. 250-264; doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1936.2970 https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1936_num_16_3_2970 Fichier pdf généré le 02/09/2020 L'opinion païenne et la conversion de Constantin C'est une tradition fort ancienne, et toujours défendue, qui explique la conversion de Constantin au christianisme par la vision que l'empereur aurait eue, au mois d'octobre 312, à la veille de la bataille du Pont Milvius, aux portes de Rome,. d'une croix brillant au ciel. Victorieux du « tyran » Maxence, pour témoigner sa reconnaissance au Christ et aussi s'attacher la faveur du Dieu tout-puissant des chrétiens, Constantin se serait alors décidé à pratiquer une politique favorable aux intérêts de l'Église. Certes, depuis la démonstration qu'Otto Seeck en a faite en 1891, on s'accorde aujourd'hui assez géné¬ ralement à nier l'existence d'un « édit de Milan » qui aurait consacré la « paix de l'Église » et fondé un régime nouveau pour les rapports de l'Église et de l'État ; le rescrit sur les biens ecclésiastiques, tel qu'Eusèbe de Césarée et Lactance nous l'ont rapporté, n'est devenu 1'«édit de Milan » qu'au xvne siècle par une conjecture de Lenain de Tillemont (1) mais tout récemment encore des savants aussi informés que MM. Norman H. Baynes, Alföldi, et Palanque (2), en suivant (1) Cf. H. Grégoire, La Conversion de Constantin. Rev. de l'Univ - de Bruxelles, 1930-31, p. 262. (2) Norman H. Baynes, Constantin the Great and the christian church, dans les Proceedings of the British Academy, XV, 1929 (parus en 1931). Cette conférence, complétée par une bibliographie critique (mise à jour par l'auteur dans le Journal of Roman Studies, 1933, p. 64 suiv., et 1935, p. 85 suiv.), constitue la meilleure introduction aux questions constantiniennes. A. Alföldi, The helmet of Constantine with the christian monogramm, dans le Journal of Roman Studies, XXII, 1932, p. 13. J. R. Palanque, A propos du prétendu Édit de Milan, dans- Byzantion, X, 1935, p. 607 suiv. Revu· d Hetäre et de Philosophie Religieuses , 1936, n°" 3-4-5. LA CONVERSION DE CONSTANTIN 251 des voies différentes, ont été conduits à cette conclusion qu'il y eut véritablement un changement radical dans l'attitude de Constantin à l'égard des chrétiens aussitôt après 312 : « tout se passe, écrit M. Palanque, comme si Constantin s'était rallié sinon converti au christianisme dès le lendemain de son entrée victorieuse à Rome ». Sur la vision du Pont Milvius, il a été beaucoup écrit (1). Une voie nouvelle a été ouverte à la discussion par l'exégèse novatrice de M. Henri Grégoire, professeur à l'Université de Bruxelles. Quelques faits indiscutables ont été rappelés : Eusèbe de Césarée n'a pas fait la moindre allusion à la vision de 312, tout au long des éditions différentes de son Histoire Ecclésiastique. Cyrille de Jérusalem, vers 451, ignore encore le miracle qui marquerait une date décisive de l'histoire de la chrétienté, quand il glorifie Constance II d'avoir vu apparaître la croix dans le ciel, présage de sa victoire sur Magnence, alors que son père Constantin ne l'avait découverte que dans le sol. Aucun des Pères du ive siècle n'en a fait mention. Pour la première fois nous en lisons le récit dans la Vita Constantin i, que la tradition des manuscrits attribue à Eusèbe de Césarée, bien que S. Jérôme ne mentionne pas ce travail d'hagio¬ graphie dans son catalogue des œuvres d'Eusèbe. Il n'est pas impossible, me semble-t-il, que l'histoire des dogmes ne nous aide un jour à comprendre l'atmosphère de piété où la vision de 312 a pris les traits que la tradition lui a conservés ; peut- être la Vita Constantini n'a-t-elle accueilli la pieuse légende que sous Théodose, quand l'orthodoxie nicéenne, telle que les théologiens de Cappadoce l'ont imposée au monde catholique en la renouvelant, mit l'accent sur Jésus, le Verbe incarné, expirant sur la croix et triomphant de la Mort par sa résur¬ rection. M. Grégoire a signalé le premier que la vision chré¬ tienne de 312 a un prototype dans une vision païenne « offi¬ ciellement attestée, recommandée à la croyance des fidèles par une pièce authentique », le panégyrique prononcé à Trêves 252 revue d'histoire et de philosophie religieuses en 310 en présence de l'empereur ; par cette découverte, il enlevait à la vision chrétienne le prestige de sa singularité et beaucoup de son merveilleux. J'ai essayé pour ma part de montrer que ni la vision païenne ni la vision chrétienne n'ont eu sur les sentiments des contemporains la décisive influence que les modernes leur accordent (1). Ce ne sont sous la plume des panégyristes que des fictions littéraires, qui accompa¬ gnent, sans la déterminer, cette affirmation sans cesse renou¬ velée, que la divinité est avec Constantin. Le miracle du Pont Milvius n'est pas plus à l'origine du chrisme des chrétiens, que la vision païenne de 310 n'a donné naissance à un « signe ». La numismatique, confrontée avec le texte des panégyriques, nous en fournit la preuve : il existe un emblème propre à Constantin, une étoile ou un soleil, qui est gravé sur les mon¬ naies, quand l'empereur juge nécessaire d'affirmer ses pré¬ tentions à la monarchie universelle ; ce symbole, qui fut apollinien à l'origine, et dont les chrétiens ont fait le mono¬ gramme du Christ, est probablement antérieur à la vision de 310 ; il garde sa valeur et son sens jusqu'à la fin du règne. Il n'y eut pas de rapport entre la vision du Pont Milvius et le monogramme du Christ ou même toute espèce de « signe ». Lactance dit bien que Constantin fut averti dans son sommeil d'avoir à marquer du nom du Christ les boucliers de ses soldats (2). Mais c'est faire dire au texte du de Mortibus persecutorum ce qu'il ne contient pas, que de retrouver dans ce songe l'apparition d'une croix dans le ciel du côté de l'Orient. Il se garde de toute précision sur la nature de cette intervention céleste, soit qu'il ne veuille pas opposer son récit à celui d'une version officielle ou plus accréditée du miracle, soit qu'il ait craint qu'un récit trop circonstancié parût par trop invraisemblable. A vrai dire, Lactance use ici d'un banal procédé de rhéteur. On s'est parfois demandé pourquoi dans sa description du monogramme, il a montré tant d'embarras, pourquoi, ayant reconnu le chi , il n'a pas noté tout de suite le (1) Je résume ici un article sur la vision païenne de 310 et les ori¬ gines du chrisme constantinien, paru dans les Mélanges Franz Cumont, 1936, p. 373-395. (2) Cf. de Mort, persec., 44. Commonitus est in quiete Constantinus , ut cœleste signum Dei notaret in scutis atque ita prœlium. LA CONVERSION DE CONSTANTIN 253 rhô qui le traverse. La périphrase du iotœ au summum caput circumflexum s'explique, si ce dernier détail s'ajoute à une haste ; en d'autres termes, si ce monogramme n'est autre chose qu'un emblème retouché. Ainsi les chrétiens, après 312, christianisèrent la victoire d'un empereur, qui par ses anciens démêlés avec Galère le persécuteur leur était sympathique, et dont la politique reli¬ gieuse n'était pas moins favorable à leurs intérêts que celle du « tyran » Maxence. L'emblème du nouveau maître, qui devait son prestige à la force de ses armées, leur suggéra un mono¬ gramme du Christ qu'ils n'avaient jamais encore imaginé, et qui d'ailleurs ne devint populaire parmi eux que plusieurs années plus tard. En 312, il n'y eut donc pas à leurs yeux un fait d'importance capitale qui bouleversait les rapports de l'Église et de l'État. En Occident, après comme avant la bataille du Pont Milvius, on continua à appliquer l'édit de 311, inspiré à Galère mourant à Sardique par Licinius, en l'absence de Constantin ; au concile d'Arles, en 314, les évêques ne cessèrent pas de s'y référer dans des documents officiels. Le fait nouveau fut la domination de tout l'Occident par un empereur unique ; celui-ci par ses traditions familiales se séparait avec éclat des tétrarques persécuteurs, et, depuis 310 au moins, rêvait d'établir sur le monde entier une monarchie qui ne serait plus fondée sur le partage et l'adoption, mais qui par une mission reçue par héritage réaliserait les desseins de la divinité. Ce que les panégyristes chrétiens ou païens, jusqu'au milieu du ive siècle, ont dit de la bataille du Pont Milvius nous donne l'exacte mesure de ce qu'on pensait dans les milieux officiels de son importance dans l'histoire du règne. Nulle part leur ennuyeuse rhétorique ne veut faire croire à une rupture dans l'évolution des faits. Bien au contraire, on nous montre que par cette victoire achève de s'accomplir un ordre divin que Constantin a trouvé dans l'héritage de son père. Elle arrive comme une preuve de la mission divine de l'empereur gaulois ; 254 revue d'histoire et de philosophie religieuses tantius assiste à la uploads/Litterature/constantin.pdf
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- Publié le Sep 19, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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