La représentation de la violence sexuelle faite aux femmes dans l’œuvre de Guy
La représentation de la violence sexuelle faite aux femmes dans l’œuvre de Guy de Maupassant Jean-Lou David Thèse soumise à la Faculté des études supérieures et postdoctorales dans le cadre des exigences du programme de maîtrise en lettres françaises Département de français, Faculté des arts, Université d’Ottawa © Jean-Lou David, Ottawa, Canada, 2019 ii Résumé La thèse porte sur la représentation de la violence sexuelle faite aux femmes dans l’œuvre complète de l’écrivain Guy de Maupassant. En adoptant une approche empruntant aux méthodes de l’histoire culturelle et de la critique féministe, le travail vise à montrer qu’il y aurait dans la société de la fin du XIXe siècle français une transformation des sensibilités par rapport aux violences sexuelles ainsi qu’autour des notions de consentement, de besoin et de misère sexuelle masculine qui s’incarnerait particulièrement dans la littérature naturaliste et dont l’œuvre de Maupassant, par les contradictions qu’elle donne à voir sur ces questions, serait caractéristique. En s’intéressant notamment aux régimes discursifs qui tendent à condamner ou à problématiser la violence sexuelle, mais aussi à ceux qui visent plutôt à la banaliser, à l’érotiser, ou à l’occulter, la recherche se propose d’observer les modalités de la mise en récit du viol en régime naturaliste et les cohérences et contradictions qu’elles entretiennent avec le discours social. iii Remerciements Pour ma mère et pour Jess, infiniment. iv v Éditions citées tout au long Comme nous travaillons avec un corpus primaire composé de plus de 200 contes et nouvelles, nous les citerons indépendamment de leur recueil de publication, entre guillemets, et en se référant à l’ensemble publié par Louis Forestier chez Quarto Gallimard (Paris, 2014, 1817 p.) Les huit romans de Maupassant seront cités à partir de l’édition de la Pléiade, également présentée par Louis Forestier (Paris, Gallimard, 1987, 1705 p.) vi Table des matières Introduction p. 1 Chapitre 1 : La Violence sexuelle faite aux femmes. Trois sujets médiatiques p. 14 Chapitre 2 : Dénonciation de la violence sexuelle faite aux femmes p. 23 Chapitre 3 : Érotisation et banalisation de la violence sexuelle p. 54 Chapitre 4 : Virilité problématique et invention du besoin sexuel masculin p. 78 Conclusion p. 143 Bibliographie p. 152 vii La soi-disant « culture du viol » qui imprégnerait nos villes et nos campagnes est une construction idéologique. Lysiane Gagnon, La Presse, 29 octobre 2016 Parmi les sondés, 21 % croient que les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées – un sentiment qui se trouve renforcé chez les jeunes, puisque le taux d’approbation grimpe à 31 % chez les 18-24 ans. De même, 19 % des personnes interrogées jugent que « lorsque l’on essaye d’avoir des relations sexuelles avec elles, beaucoup de femmes disent “non”, mais ça veut dire “oui” ». Il y a également 42 % de gens qui considèrent que, dans le domaine sexuel, les femmes savent beaucoup moins ce qu’elles veulent que les hommes. Vincent Destouches, L’Actualité, 16 mars 2016 http://www.lactualite.com/societe/un-sondage-hallucinant-pour-mieux-comprendre-la- culture-du-viol/ 1 Introduction Existe-t-il une « culture du viol » ? Difficile de prétendre répondre simplement à cette question qui amorçait un débat douloureusement polarisant au Québec, brièvement sans doute dans l’opinion publique1, mais de façon beaucoup plus retentissante auprès de la jeunesse universitaire et militante2, il y a deux ans à peine alors que nous entamions notre modeste recherche. Quelques-uns ont soutenu publiquement, et il s’en trouvera certainement toujours pour le faire, que le terme lui-même, essentiellement militant, procède d’un raccourci idéologique féministe un peu malhonnête et alarmiste. Si l’expression, il faut peut-être le concéder d’entrée de jeu, semble un peu choquante – mais n’est-ce pas quelque part le but d’un lexique militant de susciter la réaction ? – elle suppose assurément, en amont, un consensus sur une certaine vision de l’histoire qu’il faudrait admettre à priori et partager avec un interlocuteur pour supposer l’existence d’une chose telle que la « culture du viol ». Si, par culture, il faut d’abord entendre un ensemble d’habitus et de référents communs se modifiant dans l’histoire, il faudrait donc censément, et ce n’est pas une tâche aisée, se pencher tout à la fois sur les modes d’être, les productions intellectuelles et artistiques et les mentalités d’une société donnée. En admettant que l’étude d’un état antérieur, donc historique, d’une société puisse servir partiellement à retracer la persistance, la transformation ou la disparition de certaines 1 Il faut relire, notamment, certains articles du Journal de Montréal datant d’octobre et novembre 2016 pour saisir le contexte que nous évoquons ; ceux de Lise Ravary : « Pas de culture du viol au Québec » dans le Journal de Montréal du 23 octobre 2016, de Denise Bombardier : « L’Euphorie anti-viol » dans le même journal le 28 octobre 2016. Ceux aussi de Michèle Ouimet : « La Culture du viol, prise deux » dans La Presse du 17 février 2017 et de Lysiane Gagnon « La Culture du viol, vraiment? » dans le même journal le 29 octobre 2016. 2 Les termes de « culture du viol » ont notamment été utilisés lors des scandales entourant les initiations dans les universités de la région de la capitale fédérale, à l’Université d’Ottawa en octobre 2016 et à l’UQO également. Et beaucoup plus encore dans le mouvement suivant les vagues d’agressions sexuelles survenues sur le campus de l’Université Laval à Québec. 2 données culturelles, nous nous donnons, avec le peu de moyens que nous avons à notre disposition, il est vrai, un outil comparatif pour comprendre un peu mieux notre société actuelle et une méthode pour remonter à l’origine d’une « culture du viol ». En s’intéressant donc à un ensemble très réduit d’un patrimoine culturel donné, ici la littérature française de la fin du XIXe siècle et, plus précisément encore, l’œuvre de l’écrivain Guy de Maupassant, c’est un tout petit bout de fenêtre que nous aimerions ouvrir sur la question. Qu’est-ce que serait une culture du viol ? Ferait-elle la promotion du viol ? Aurait- elle plutôt tendance à le banaliser, à l’invalider, à l’occulter, l’érotiserait-elle, le tournerait-elle en dérision3 ? C’est sans oublier, bien entendu, que le discours social n’est en rien univoque : il est constitué d’une multitude de discours, bien qu’il soit aussi travaillé par une hiérarchie informelle4. C’est dire qu’une société aux prises avec une « culture du viol » a peut-être aussi tendance, en marge des discours hégémoniques, à problématiser le viol; peut-être s’y intéresse-t-elle de façon critique ou s’y oppose-t-elle même directement parfois, comme une autre culture qui serait enkystée dans la culture et qui tenterait d’en rejeter une partie jugée indésirable. Un même groupe ou une même personne peuvent-ils aussi produire des discours immédiatement contradictoires, jouant d’un flou conceptuel autour d’une notion constamment changeante, peut-être en pleine 3 De façon assez étonnante, nous avons retrouvé exactement ces grandes lignes d’analyse que nous prioriserons dans notre développement dans l’essai de Marlène SCHIAPPA, La Culture du viol, Paris, Éditions de l’Aube, 2018. 4 Au sujet de la dynamique du champ littéraire, il faut lire évidemment Bourdieu et cet article synthèse en particulier : Pierre BOURDIEU, « Le Champ littéraire », dans Actes de la recherche, no 89, 1991, p. 3-46, disponible sur Persée.fr. Au sujet de la théorie du discours social à laquelle nous emprunterons certaines réflexions, notamment le souci d’envisager les productions écrites comme relevant essentiellement de stratégies discursives, il faut se référer aux travaux de Marc Angenot, notamment Le Cru et le faisandé. Sexe, discours social et littérature à la Belle Époque, Bruxelles, Labor, 1986. 3 transformation5 ? Ces contradictions ont-elles un intérêt particulier, sont-elles symptomatiques d’une modification des sensibilités, d’une forme de coexistence conflictuelle de deux états de pensée, dont l’un est peut-être appelé à disparaître progressivement et l’autre à s’imposer ? Il nous faudra envisager ces différentes possibilités, au moyen, donc, d’une démarche qui empruntera aux méthodes de l’histoire culturelle. Cette perspective critique, qui forme une école historienne aux contours un peu flous6, et dont les représentants les plus connus seraient, en ce qui concerne l’étude de la fin du XIXe siècle français, Alain Corbin, Georges Vigarello et Anne-Marie Sohn, prétend retracer, au moyen de matériaux très variés et étonnants, l’histoire des mentalités – c’est là un autre de ses noms – et cherche à reconstituer et comprendre les « attitudes devant la vie » adoptées par les acteurs d’un état de société donné. Profondément hybride, la démarche culturaliste, selon Pascal Ory, qui en fut un praticien et un théoricien, ne traque pas précisément des faits, « tout juste, de temps à autre, des évènements, ce qui n’est pas synonyme, mais [s’intéresse plutôt aux] formes7 ». Elle est au carrefour, en quelque sorte, de l’histoire des idées et des sensations8. Elle aurait quatre grandes 5 Voici ce qui nous rapproche également de quelques-unes des grandes interrogations de la sociocritique. Sans en mobiliser nécessairement le lexique, notre démarche n’est pas complètement étrangère à la nature « sociogrammatique » des représentations. Il faut lire à ce sujet les travaux de Claude DUCHET et Patrick MAURUS, Un cheminement vagabond. Nouveaux entretiens uploads/Litterature/de-la-violence-sexuelle-faite-aux-femmes-dans-l-x27-oeuvre-de-maupassant.pdf
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- Publié le Apv 21, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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