Études Normandes D'un fantastique vraiment littéraire Yvan Leclerc Citer ce doc
Études Normandes D'un fantastique vraiment littéraire Yvan Leclerc Citer ce document / Cite this document : Leclerc Yvan. D'un fantastique vraiment littéraire. In: Études Normandes, 43e année, n°2, 1994. Maupassant du réel au Fantastique. pp. 66-74; doi : https://doi.org/10.3406/etnor.1994.2137 https://www.persee.fr/doc/etnor_0014-2158_1994_num_43_2_2137 Fichier pdf généré le 01/10/2019 D'un fantastique vraiment littéraire Yvan LECLER Professeur à l'Université de Rou En Maupassant, le conteur fantastique se double d'un critique réfléchit au genre qu'il pratique, tente de le cerner en l'opposant merveilleux, comme le feront après lui les théoriciens. Mieux que certa d'entre eux, il se montre attentif à l'histoire du genre et il ne néglige pas réception, en se plaçant du côté du lecteur ou de l'auditeur, par exemple qua il présente en acte l'effet produit sur le cercle de ses intimes par Tourguene "Un jour, chez Gustave Flaubert, à la nuit tombante, il nous raconta ai l'histoire d'un garçon qui ne connaissait pas son père", etc. Il existe au mo deux chroniques à lire en parallèle avec les contes de ce registre : "Ad mystères", publié dans Le Gaulois du 8 novembre 1881, et "Le Fantastique", paraît au moment de la mort de Tourgueneff, dans Le Gaulois du 7 octob 1883. La première chronique devance de quelques mois la nouve "Magnétisme" (publiée le 5 avril 1882), qui marque un retour à cette so d'écriture, après six années d'interruption ("En canot ", retitré "Sur l'eau", d de 1876) ; la seconde est contemporaine de "Apparition", "Lui ?" et "La mai A deux ans de distance, Maupassant pose le même diagnostic, mais av une inflexion de voix un peu différente. Dans la première chronique, l'ad aux mystères sonne d'abord comme un cri de délivrance, poussé au nom savoir positif : "Oui ! vive la science, vive le génie humain ! gloire au travail cette petite bête pensante qui lève un à un les voiles de la création! " L savants remplacent les poètes et les rêveurs, à mesure qu'ils explique l'inexpliqué que l'on donnait pour inexplicable. Dans toute la première par du texte, Maupassant semble partager l'optimisme de Zola ou de Renan. trouverait l'écho de cette position théorique dans l'introduction de la nouve contemporaine "Magnétisme" : un viveur incrédule jette le trouble dans u Etudes Normandes 2-1994 inexplicables, il marche dans cet inconnu qu'on explore chaque jour, et pouvant toujours comprendre ce qu'il voit, il se souvient trop peut-être d explications, ecclésiastiques des mystères" ( Contes I, Pléiade, page 40 Pourtant, la première de nos chroniques se termine par un aveu à la premiè personne, marqué d'une nostalgie que le titre "Adieu mystères" connotait dé "Eh bien, malgré moi, malgré mon vouloir et la joie de cette émancipatio tous ces voiles levés m'attristent. Il me semble qu'on a dépeuplé le monde. O a supprimé l'Invisible. Et tout me paraît muet, vide, abandonné !" Voici donc un esprit partagé entre la reconnaisance éprouvée pour science qui libère des croyances et des superstitions, et le regret non pas d objets qui les constituaient mais de l'impression qu'ils produisaient. Parta aussi entre la rationalité des lumières et la nuit peuplée, comme si la seu Présence, la seule Voix venait de la vieille croyance. "On a supprim l'Invisible" : forte formule vertigineuse, dans laquelle la négation du négatif se résoud pas en quoi que ce soit de positif. Autrefois, on rendait visib l'Invisible ; aujourd'hui, il semble qu'en niant la manifestation de l'invisible, n'ait pas rendu plus visible le réel, mais qu'on ait plutôt invisibilisé le visib ce qui sera bien sûr l'expérience décrite dans "Le Horla". Ce partage l'auteur de la chronique entre enthousiame et nostalgie est sans dou nécessaire pour faire mûrir la question, qui pourrait se résumer ainsi : à que condition un fantastique moderne est-il possible ? Comment penser surnaturel au temps du naturalisme ? L'article paru en 1883 sous le titre "Le Fantastique" montre que position du problème a considérablement évolué. Il s'ouvre identiquement s un constat de l'irrévocable : les formes littéraires d'autrefois sont périmées, science disqualifie une certaine littérature, la rend impossible à lire et à écrir "Lentement, depuis vingt ans, le surnaturel est sorti de nos âmes." C'est-à-di depuis 1863, l'année où le petit Guy écrit ses premiers vers, l'année Flaubert réfléchit à une féérie et à sa préface qui redéfinirait les principes fantastique au théâtre. Louis Bouilhet, collaborateur au Château des coeur écrit à Flaubert, le [14 juin? 1883] : "Il faut, je pense, partir d'un princi féérique ; bien établir, comme une religion, que nous sommes entourés d'êtr invisibles, plus forts que nous ; lesquels êtres se manifestent quand bon le semble, et dans les siècles qui leur conviennent le mieux." Comme Todorov à fin de son Introduction à la littérature fantastique, Maupassant prophétise fin de la littérature fantastique", rendue impossible par la science. Cependant, il apparaît dans la suite de l'article que Maupassant donne au mot "fantastique" le sens que nous donnons aujourd'hui à la catégorie "merveilleux", à savoir un phénomène irréel qui se produit dans un univers ré par des lois elles-mêmes irréelles. Tous les termes utilisés par Maupassan vont dans la direction de cette notion : "croyances naïves", surnatur mystérieux, contes de fées, impossible et invraisemblable. Ce fantastique-là e effectivement terminé. Et c'est en ce point que la deuxième chronique dépas la première, laquelle s'arrêtait sur une nostalgie personnelle. Maupassan 68 Yvan LECLER même l'illustrer. Les poètes et les rêveurs des vieilles croyances cèdent place aux artistes (selon une succession toute flaubertienne) qui, ten compte de l'incrédulité moderne, vont pratiquer un art plus "subtil" : "L'écrivain a cherché les nuances, a rôdé autour du surnaturel plutôt q d'y pénétrer. Il a trouvé des effets terribles en demeurant sur la limite possible, en jetant les âmes dans l'hésitation, dans l'effarement. Le lecte indécis ne savait plus, perdait pied comme en une eau dont le fond manqu tout instant, se raccrochait brusquement au réel pour s'enfoncer encore t aussitôt, et se débattre de nouveau dans une confusion pénible et enfiévran comme un cauchemar. L'extraordinaire puissance terrifiante d'Hoffmann et d'Edgar Poe vi de cette habileté savante, de cette façon particulière de coudoyer le fantasti et de troubler, avec des faits naturels où reste pourtant quelque ch d'inexpliqué et de presque impossible." On trouverait dans ces lignes la quasi totalité des critères qui serve aujourd'hui à définir le fantastique : l'insistance sur la vraisemblance, transitions savantes du réel au fantastique, le lien entre le fantastique et peur, l'hésitation d'une lecture qui se tient sur cette "ligne de partage" d parle Todorov (Maupassant parle de "limite du possible"), l'inscription fantastique dans les faits réels, les plus banalement quotidiens produisa l'effet le plus probant, ainsi que Maupassant le montre dans la suite de chronique sur l'exemple de Tourgueneff. Arrêtons-nous un instant sur une image de ce passage cité, dont on s'étonnera pas qu'elle relève d'une thématique aquatique : "Le lecteur indé ne savait plus, perdait pied comme en une eau dont le fond manque à t instant". L'image prend sens quand on la rapproche d'une autre, qui se trou dans la chronique "Adieu mystères". Admiratif devant les prouesses d'u science qui met la foudre dans une bouteille, transporte sur un fil l'éner invisible ou provoque une action à distance sur la matière, le lecteur désorm revenu du merveilleux se dit : "Plus de mystères ; tout l'inexpliqué devi explicable un jour ; le surnaturel baisse comme un lac qu'un canal épuise science, à tout moment, recule les limites du merveilleux." L'eau sans fond donc liée au fantastique, l'assèchement à la rationalité. Cette dernière im en éveille une autre, sous la plume de Freud cette fois, lorsqu'il comp l'élaboration scientifique de la psychanalyse à l'assèchement des polders, al en cours aux Pays-Bas : gagner des terres sur la mer, c'est déplacer la lim entre connu et inconnu, conscient et inconscient, naturalisme et fantastiq Voici donc posées les conditions de possiblilité d'un fantastique vraim moderne, d'un fantastique pris au sérieux, crédible. Dans "Un fou ?" (1884) surtout dans "Le Horla" (1887), Charcot cautionne l'existence de l'inexplica de l'âge scienfitique. Après avoir regretté la disparition de l'invisible (ce fait craindre la fin de la littérature tout entière expliquée et absorbée par Etudes Normandes 2-1994 Jean Pierrot remarque, dans l'introduction à sa thèse Merveilleux fantastique, que "l'art fantastique apparaît comme un sous-produit d rationalisme moderne" et que la vision positiviste du monde est la conditio indispensable de son existence. Toutes les définitions qu'on en donne situent fantastique par rapport à l'instance du réel : "intrusion brutale du mystère dan le cadre de la vie réelle" pour P. -G. Castex, rupture dans "la solidité du mond réel" pour R. Caillois, "lieu de la convergence de la narration thétique (roma des relia) et de la narration non thétique (merveilleux, conte de fées)" pou Irène Bessière, etc. C'est dire que le fantastique de Maupassant ne comprend que dans sa relation à l'esthétique naturaliste. Loin de séparer dan l'oeuvre de Maupassant les contes réalistes et les contes fantastiques, faudrait voir comment les deux se supposent réciproquement. A priori , le uploads/Litterature/ etnor-0014-2158-1994-num-43-2-2137.pdf
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- Publié le Sep 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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