Les songes de Descartes (Guy Laflèche éd.) Adrien Baillet, la Vie de M. Descart

Les songes de Descartes (Guy Laflèche éd.) Adrien Baillet, la Vie de M. Descartes, biographie, 1691 Table des trois songes dans le chapitre de Baillet • [0] Mise en situation des trois songes des 10-11 novembre 1619 1. [1] Premier songe, premier récit de rêve 2. [2] Deuxième songe, hallucination auditive, suivie au réveil de perceptions ou d'hallucinations lumineuses 3. [3] Troisième songe, second récit de rêve • [4] Interprétation des trois songes Livre 2, chapitre 1 Après avoir rapporté de suite (a) les affaires qui se sont passées en Allemagne sous les yeux de M. Descartes, nous nous sommes fait un plus grand jour pour exposer aux yeux des autres ce qui se passa dans son esprit (b) et dont il fut le seul acteur peu de temps après s'être engagé dans les troupes du duc de Bavière (1). Nous avons remarqué qu'après avoir quitté sur la fin de septembre de l'an 1619 la ville de Francfort, où il avait assisté au couronnement de l'empereur, il s'arrêta sur les frontières de Bavière au mois d'octobre, et qu'il commença la campagne par se mettre en quartier d'hiver. Il se trouva en un lieu si écarté du commerce (c), et si peu fréquenté de gens dont la conversation fût capable de le divertir, qu'il s'y procura une solitude telle que son esprit [ne] la pouvait avoir dans son état de vie ambulante (d). S'étant ainsi assuré des dehors (e), et par bonheur n'ayant d'ailleurs aucun soin ni aucune passion au dedans qui pussent le troubler, il demeurait tout le jour enfermé seul dans un poêle (f), où il avait tout le loisir de s'entretenir de ses pensées. Ce n'étaient d'abord que des préludes d'imagination et il ne devint hardi que par degrés en passant d'une pensée à une autre, à mesure qu'il sentait augmenter le plaisir que son esprit trouvait dans leur enchaînement. Une de celles qui se présentèrent à lui des premières fut de considérer qu'il ne se trouve point tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces et faits de la main de divers maîtres que dans ceux auxquels un seul a travaillé (2). Il lui fut aisé de trouver de quoi soutenir cette pensée, non seulement dans ce qui se voit de l'architecture, de la peinture, et des autres arts, où l'on remarque la difficulté qu'il y a de faire quelque chose d'accompli en ne travaillant que sur l'ouvrage d'autrui, mais même dans la police (g), qui regarde le gouvernement des peuples, et dans l'établissement de la religion, qui est l'ouvrage de Dieu seul. Il appliqua ensuite cette pensée aux sciences, dont la connaissance ou les préceptes se trouvent en dépôt dans les livres. Il s'imagina que les sciences, au moins celles dont les raisons ne sont que probables et qui n'ont aucune démonstration, s'étant grossies peu à peu des opinions de divers particuliers, et ne se trouvant composées que des réflexions de plusieurs personnes d'un caractère d'esprit tout différent, approchent moins de la vérité, que les simples raisonnements que peut faire naturellement un homme de bon sens touchant les choses qui se présentent à lui. De là il entreprit de passer à la raison humaine avec la même pensée. Il considéra que pour avoir été enfants avant que d'être hommes, et pour nous être laissés gouverner longtemps par nos appétits et par nos maîtres, qui se sont souvent trouvés contraires les uns aux autres, il est presque impossible que nos jugements soient aussi purs, aussi solides qu'ils auraient été si nous avions eu l'usage entier de notre raison dès le point de notre naissance et si nous n'avions jamais été conduits que par elle. La liberté qu'il donnait à son génie, ne rencontrant point d'obstacles, le conduisait insensiblement au renouvellement de tous les anciens systèmes. Mais il se retint par la vue de l'indiscrétion (h) qu'il aurait blâmée dans un homme qui aurait entrepris de jeter par terre toutes les maisons d'une ville, dans le seul dessein de les rebâtir d'une autre manière. Cependant comme on ne trouve point à redire qu'un particulier fasse abattre la sienne, lorsqu'elle le menace d'une ruine inévitable, pour la rétablir sur des fondements plus solides, il se persuada qu'il y aurait en lui de la témérité à vouloir réformer le corps des sciences ou l'ordre établi dans les écoles pour les enseigner, mais qu'on ne pourrait le blâmer avec justice d'en faire l'épreuve sur lui- même sans rien entreprendre sur autrui. Ainsi il se résolut une bonne fois de se défaire de toutes les opinions qu'il avait reçues jusqu'alors, de les ôter entièrement de sa créance, afin d'y en substituer d'autres ensuite qui fussent meilleures ou d'y remettre les mêmes après qu'il les aurait vérifiées et qu'il les aurait ajustées au niveau de la raison. Il crut trouver en ce point les moyens de réussir à conduire sa vie beaucoup mieux que s'il ne bâtissait que sur de vieux fondements, ne s'appuyant que sur les principes qu'il s'était laissé donner dans sa première jeunesse, sans avoir jamais examiné s'ils étaient vrais. Il prévoyait pourtant qu'un projet si hardi et si nouveau ne serait pas sans difficultés. Mais il se flattait que ces difficultés ne seraient pas aussi sans remède, outre qu'elles ne mériteraient pas d'entrer en comparaison avec celles qui se trouveraient dans la réformation des moindres choses qui touchent le public : il mettait une grande différence entre ce qu'il entreprenait de détruire en lui-même et les établissements publics de ce monde, qu'il comparait à de grands corps dont la chute ne peut être que très rude et qui sont encore plus difficiles à relever quand ils sont abattus qu'à retenir quand ils sont ébranlés; il estimait que l'usage avait adouci beaucoup de leurs imperfections et qu'il en avait insensiblement corrigé d'autres, beaucoup mieux que n'aurait pu faire la prudence du plus sage des politiques ou des philosophes. Il convenait même que ces imperfections sont encore plus supportables que ne serait leur changement : de même que les grands chemins qui tournoient entre des montagnes deviennent si unis et si commodes à force d'être battus et fréquentés qu'on se rendrait ridicule de vouloir grimper sur les rochers ou descendre dans les précipices sous prétexte d'aller plus droit. Son dessein n'était pas de cette nature. Ses vues ne s'étendaient pas alors jusqu'aux intérêts du public. Il ne prétendait point réformer autre chose que ses propres pensées et il ne songeait à bâtir que dans un fonds qui fût tout à lui. En cas de mauvais succès, il croyait ne pas risquer beaucoup puisque le pis qu'il en arriverait ne pourrait être que la perte de son temps et de ses peines qu'il ne jugeait pas fort nécessaires au bien du genre humain. Dans la nouvelle ardeur de ses résolutions, il entreprit d'exécuter la première partie de ses desseins qui ne consistait qu'à détruire. C'était assurément la plus facile des deux. Mais il s'aperçut bientôt qu'il n'est pas aussi aisé à un homme de se défaire de ses préjugés que de brûler sa maison. Il s'était déjà préparé à ce renoncement dès le sortir du collège : il en avait fait quelques essais premièrement durant sa retraite du faubourg Saint-Germain à Paris et ensuite durant son séjour de Breda (3). Avec toutes ces dispositions, il n'eut pas moins à souffrir que s'il eût été question de se dépouiller de soi-même. Il crut pourtant en être venu à bout. Et à dire vrai, c'était assez que son imagination lui présentât son esprit tout nu pour lui faire croire qu'il l'avait mis effectivement en cet état. Il ne lui restait que l'amour de la vérité, dont la poursuite devait faire dorénavant toute l'occupation de sa vie. Ce fut la matière unique des tourments qu'il fit souffrir à son esprit pour lors. Mais les moyens de parvenir à cette heureuse conquête ne lui causèrent pas moins d'embarras que la fin même. La recherche qu'il voulut faire de ces moyens jeta son esprit dans de violentes agitations, qui augmentèrent de plus en plus par une contention (i) continuelle où il le tenait, sans souffrir que la promenade ni les compagnies y fissent diversion. Il le fatigua de telle sorte que le feu lui prit au cerveau et qu'il tomba dans une espèce d'enthousiasme, qui disposa de telle manière son esprit déjà abattu qu'il le mit en état de recevoir les impressions des songes et des visions. /a/ [0] Il nous apprend que le dixième de novembre mil six cent dix-neuf, s'étant couché tout rempli de son enthousiasme et tout occupé de la pensée d'avoir trouvé ce jour-là les fondements de la science admirable (j), il eut trois songes consécutifs en une seule nuit, qu'il s'imagina ne pouvoir être venus que d'en haut. [1] Après s'être endormi, son imagination se sentit frappée de la représentation de quelques fantômes (4) qui se présentèrent à lui, et qui l'épouvantèrent de telle sorte que, croyant marcher par les rues /b/, il était obligé de se renverser sur le uploads/Litterature/descartes-songes.pdf

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