Africa Review of Books/Revue Africaine des Livres Volume 6 N°1‐ Mars 2010 Pense

Africa Review of Books/Revue Africaine des Livres Volume 6 N°1‐ Mars 2010 Penser le Maghreb avec Abdelkebir Khatibi (1938- 2009) Mohamed Hirreche Baghdad et Mohamed Kamel Abd-lillah (Pages 15-16) Il est difficile d’évoquer le parcours scientifique ou littéraire de certaines personnes connues par leurs œuvres riches inhérentes aux questions relatives à leurs sociétés et à leurs époques. Khatibi est parmi ceux qui ont tracé eux-mêmes leurs parcours et qui ont défini leurs inspirations et leurs voies. Un entretien accordé à A. Kohen Lamrhili cité dans l’ouvrage de Khatibi intitulé Penser le Maghreb, permet globalement d’illustrer les grandes orientations de pensée de cet auteur qui se caractérise en général par une écriture destinée à un usage universel, car comme Nietzsche « Il n’écrit pour personne mais il écrit pour tous »1 (Khatibi 1993). Sur ses débuts Khatibi après une scolarité au Maroc où il est né (à El-Jadida), a bien étudié à la Sorbonne, en s’ouvrant sur les méthodes et les théories « occidentales » non seulement en sociologie, mais aussi en psychologie, philosophie, linguistique, sémiologie… Ceci constitue une ouverture métissée avec le vécu d’une autre société, dotée de certaines caractéristiques et spécificités. En revanche, Khatibi décide de s’installer définitivement au Maroc affirmant : « depuis la fin de mes études à Paris (en 1964), j’habite et je travaille au Maroc…j’ai intégré l’université dès mon retour en tant qu’enseignant et chercheur. J’ai participé, comme je le fais maintenant, à l’activité culturelle du pays. Plus culturelle que directement politique : c’est ma manière de travailler à l’écart de l’agitation. Mais il ne faut pas oublier que je suis un des fondateurs du Syndicat national de l’enseignement supérieur. C’était une période où je me cherchais moi-même : toutes les instances de la société marocaine m’intéressaient »2. On remarque à travers un entretien accordé à Hamid Abtatou, que Khatibi voulait promouvoir la sociologie en tant que référence pour les projets qui ont une relation directe avec le vécu quotidien du citoyen. Khatibi justifie cela en disant : « nous avons besoin également de la raison sociologique dans le domaine des applications…il y a le problème des classes, le problème de la marginalisation des zones rurales et les influences des civilisations du monde sur la société magrébine…et tout cela a besoin d’une analyse sociologique et d‘une sociologie qui dialogue avec d’autres disciplines comme c’était le cas dans les années soixante où il y avait un dialogue avec l’histoire, la géographie et l’économie. Pour démontrer cela, nous nous référons à la revue Le Bulletin économique parce qu’elle donnait un aperçu sur les domaines qui nous intéressaient »3. Le retour au pays dans ces conditions n’a pas été arbitraire ou dépourvu de sens, mais c’était un acte orienté par une conception particulière de ce qu’est l’intellectuel par rapport à ses missions au sein non seulement de sa société mais aussi au sein du monde, car selon lui l’intellectuel est : Le récepteur et le transmetteur des signes de son époque, lorsqu’il n’est pas, lui-même, un créateur et un inventeur. Qu’il soit conservateur, réformateur ou inventeur, l’intellectuel joue une ou plusieurs fonctions, avec plus ou moins de force : • Une fonction pédagogique et technique : il initie aux choses de la pensée et de l’art, se donnant lui-même comme un modèle ; • Une fonction sociale : il éveille l’esprit à l’intelligence et à la sensibilité de son époque…il lui arrive de s’engager dans la vie politique, mais il est rare qu’il y fasse longtemps carrière ; • Une fonction éthique : il est obligé de s’adapter continuellement aux principes et aux valeurs qu’il défend. Tout intellectuel appartient donc à son époque. Or, notre époque, à la fin de ce siècle, est engagée dans un changement décisif : un nouveau partage du monde en zones d’influence. Le clivage entraîne une hiérarchie entre groupes de pays et aires de civilisation; le libéralisme démocratique y constitue le fer de lance, l’idéologie dominante, présenté comme la valeur suprême de l’humanisme universel et du « nouvel ordre international »4. Africa Review of Books/Revue Africaine des Livres Volume 6 N°1‐ Mars 2010 Projet en plusieurs perspectives En fonction du rôle attribué à l’intellectuel, et selon la caractéristique de « l’instant historique » qui met sans doute les sociétés nouvelles en danger, il est normal de voir se dresser les traits du sérieux et de l’engagement inconditionnel sur la personnalité du regretté, puisque lui-même nous révèle : « en fait, je suis un être très engagé dans ce que je fais…je suis très engagé dans ce que je donne à lire…un sérieux qui joue tout de même avec la gravité de la vie. Pour moi, l’engagement (gardons à ce mot sa résonance sartrienne) et la transformation de ce que je sens et pense en une forme littéraire et d’écriture »5. Sa position est basée sur deux données fondamentales : la première est liée à « l’ère du temps » (l’universel) dont la mondialisation est le vecteur majeur, et l’autre est relative à « l’esprit du peuple » (le local) représenté par « l’hétérogénéité de la société. Pour lui, l’hétérogénéité marocaine tant linguistique que culturelle (berbérité, arabité, occidentalité, culture populaire) est à prendre en charge d’une façon rigoureuse au lieu de valoriser l’un au détriment de l’autre »6. Ceci revêt son projet d’un caractère de «double critique», car « le regretté s’est tant réclamé pour l’adoption d’une pensée autre couronnée d’une double critique qui ne soit ni rationnelle ni irrationnelle comme c’est le cas en Occident. Cette pensée nouvelle doit procéder à une double secousse lui permettant l’édification d’une pensée plurielle »7. Khatibi exprime ainsi son opinion critique du patrimoine et de la mondialisation en affirmant : « nous savons très bien que d’un côté théorique il faut conserver le patrimoine et l’étudier continuellement parce qu’il ne suffit pas de le considérer comme un folklore…On remarque que la globalisation existe depuis longtemps, elle n’est pas quelque chose de nouveau car les films américains existent dans le monde il y a un certain temps de cela. L’image constitue la deuxième et la plus importante production après l’industrie d’armements »8. Appréhender le patrimoine et la civilisation n’est pas une affaire simple, considérant que « Plus elle est ancienne, plus une civilisation cache les secrets de sa lente maturation. »9 En effet, le fait direct n’est pas un fait réel, car il est seulement un symbole compréhensible par le biais de l’analyse, l’interprétation et la fouille, illustrées par exemple dans La mémoire tatouée. Et en ce qui concerne les noms propres, Khatibi met l’accent sur son prénom Abdelkebir, en essayant de définir sa signification à travers l’histoire et la mémoire, car dans « la Mémoire tatouée »… connaître le nom, c’est connaître sa surcharge symbolique…la mémoire cachée dans le nom s’oublie parce que celui-ci est assagi par des siècles d’usage quotidien qui l’ont démotivé, par son équivalence au moi qui le siège »10. Les phénomènes de l’ordre de l’impensable aujourd’hui n’étaient pas pareils comme au passé. Il est possible de tirer profit des études précédentes relatives aux pratiques du quotidien. On remarque dans La blessure du nom propre que : « parmi les questions les plus jaillissantes dans ce livre, celle de la sexualité ; qui est de l’ordre de l’impensable, devient primordiale dans la préoccupation d’une large élite parmi les écrivains, les littéraires et les artistes arabes. Ce qui a rendu ce sujet (sexualité/rapports sexuels) marquant dans la culture arabe c’est le livre du Cheikh El Nafzaoui intitulé : le jardin parfumé sur lequel Khatibi s’est basé ; ce qui lui a permis d’apporter un élément nouveau dans les études arabes ; il s’agit d’un retour vers les travaux considérés par la culture arabe comme appartenant à l’ère du déclin »11. Sur la méthode Khatibi se distingue par l’utilisation de différentes sciences humaines contemporaines dans ses lectures du quotidien et du patrimoine sans voir d’adversités entre elles. Il sait que concevoir l’Homme marocain dans son environnement et son histoire nécessite une attention particulière à l’art de l’écriture et à la signification des prénoms et leurs origines historiques, comme cela nécessite par ailleurs une reconnaissance de la diversité linguistique. Khatibi s’est appuyé sur l’observation composée et dialectique du réel et de l’être, afin d’obtenir l’homogénéité et la construction ; nous relevons dans ses propos : « ma manière de procéder – habituelle chez tout analyste – est d’observer en s’observant. J’avance vers les choses, vers les questions d’abord par intuition (je ne barre pas), puis, par tâtonnement, j’arpente le site de ma propre parole…On veut m’encadrer dans une case, Or, je suis un arpenteur »12. Ainsi dans mon ouvrage, ‘La blessure du nom propre’, je me suis concentré sur la notion du corps ; c’est que le corps est matériel et il a des dimensions historique et symbolique…Ce que j’ai voulu étudier c’est Africa Review of Books/Revue Africaine des Livres Volume 6 N°1‐ Mars 2010 la manière dont le corps est représenté dans la culture, je me suis intéressé au dessin de ce corps par le tatouage uploads/Litterature/entete-penser-abdelkader-khatibi-1938-2009.pdf

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