MEMOIRE DE MASTER Michael Bouchez Le débat environnemental dans la littérature

MEMOIRE DE MASTER Michael Bouchez Le débat environnemental dans la littérature française contemporaine 2 3 LE DEBAT ENVIRONNEMENTAL DANS LA LITTERATURE FRANCAISE CONTEMPORAINE __________________________________________________ Proefschrift voorgelegd tot het behalen van de graad Master Frans MEMOIRE DE MASTER de MICHAEL BOUCHEZ 2012-2013 Directeur de recherche PROF. DR. PIERRE SCHOENTJES UNIVERSITE DE GAND Faculté Lettres et Philosophie 4 Avant-propos Je tiens ici à remercier tous ceux qui m’ont assisté lors de ce travail et tous ceux qui m’ont accompagné le long des années universitaires. Un remerciement particulier s’adresse au prof. dr. Schoentjes, directeur de recherche de ce mémoire, et Paule Chauvaux pour la relecture minutieuse du texte. Je remercie également mes proches et mes amis. En premier lieu, mes parents, dont j’ai mis à dure épreuve la patience, mais tout autant les amis avec qui, coude à coude, j’ai étudié, voyagé et vécu pendant treize ans déjà et qui m’ont, chacun à leur façon, encouragé : Arne, Benjamin, Peter-Jan, Simon, Philippe et Pauwel. Enfin, je réserve un petit mot au LSP/PSL (Parti Socialiste de Lutte) et aux ALS/EGA (Etudiants de Gauche Actifs). Grâce à ces organisations politiques, socialistes et révolutionnaires, mes années universitaires n’ont pas été uniquement académiques et théoriques, mais également militantes et engagées. Cette expérience compte beaucoup et j’espère ainsi pouvoir emmener avec moi et utiliser, dans les années tumultueuses qui s’annoncent, toutes les connaissances obtenues pendant ces années de formation, qu’elles soient académiques, professionnelles, politiques, environnementales ou sociales. 5 L'universalité de l'homme apparaît en pratique précisément dans l'universalité qui fait de la nature entière son corps non-organique, aussi bien dans la mesure où, premièrement, elle est un moyen de subsistance immédiat que dans celle où, [deuxièmement], elle est la matière, l'objet et l'outil de son activité vitale. La nature, c'est-à-dire la nature qui n'est pas elle-même le corps humain, est le corps non-organique de l'homme. Karl Marx Nous ne devons pas nous vanter trop de nos victoires humaines sur la nature. Pour chacune de ces victoires, la nature se venge sur nous. [...] Les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger comme quelqu’un qui est en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et à pouvoir nous en servir judicieusement Friedrich Engels 6 Introduction La littérature environnementale et l’écocritique ou, en français, « l’écopoétique », connaissent depuis deux décennies un essor important. Leurs racines sont situées aux États- Unis et dans la littérature américaine. Dans cette étude, il s’agira d’éclaircir dans quelle mesure la littérature environnementale américaine commence à produire des résonances dans la littérature française. Nous proposerons donc une analyse exploratoire de la littérature environnementaliste en France. Nous nous attendons à un panorama qui n’a pas encore trouvé de direction certaine, mais qui, d’un côté, manifeste l’importance croissante de la littérature environnementale française et, de l’autre, marque la présence d’un débat sur l’environnementalisme et les enjeux de la littérature. Dans un premier temps, l’on s’efforcera de saisir les enjeux de la littérature environnementale et les outils que l’écopoétique a mis en place. Afin de bien apprécier les spécificités de la littérature environnementale, nous développerons des approches importantes et élaborerons quelques piliers pertinents pour notre analyse. Nous nous baserons sur les écrits de Lawrence Buell, mais également sur des études réalisées par les chercheurs francophones Élise Salaün et Nathalie Blanc, ces dernières étant également axées principalement sur la littérature française. Tout d’abord, nous tenterons de dégager les fondations de l’écopoétique, puis, nous nous intéresserons au rôle des lieux dans la littérature environnementale. Dans le deuxième et le troisième chapitre, nous compléterons les analyses traditionnelles de la critique environnementaliste par deux perspectives supplémentaires. En premier lieu, nous nous pencherons sur le rôle de l’engagement littéraire, sur la base des écrits de Benoît Denis. Nous essayerons de commenter l’interaction entre des écrits écologiques et l’engagement de l’auteur. En second lieu, nous consacrerons un chapitre à l’« écolo- scepticisme » et à l’ouvrage Le Fanatisme de l’apocalypse de Pascal Bruckner. En effet, nous estimons que la littérature environnementale s’insère également dans le débat sur l’importance de la préservation de la Terre. Dans un second temps, nous nous tournerons vers quatre textes représentatifs, que nous lirons à la lumière des acquis de la critique. Nous avons pour cela retenu Mélusine des détritus de Marie de la Montluel, Sans l’orang-outan d’Éric Chevillard, Le Parfum d’Adam de Jean-Christophe Rufin, L’Écologie en bas de chez moi de Iegor Gran. Il s’agira de 7 comprendre la manière dont ils incorporent la thématique et comment la forme littéraire réussit à transmettre un message qui contribue au débat écologique. 8 Première partie: Le cadre de référence __________________________________ 9 1. L’écopoétique 1.1. Émergence À partir des années quatre-vingt-dix, la critique littéraire s’est plongée dans un nouveau champ d’étude que nous appelons aujourd’hui l’« ecocriticism », en français l’« écocritique » ou, plus couramment, « l’écopoétique ». Nous utiliserons, dans cette étude, le terme « écocritique » lorsqu’il s’agit des développements historiques du courant critique, alors que nous préférerons le terme « écopoétique » pour désigner les développements actuels et nos propres observations. Cette nouvelle critique littéraire a pour but d’analyser la composante écologique dans des œuvres littéraires. À partir d’une telle analyse, la critique écologique veut comprendre ce qui fait d’une œuvre littéraire une œuvre écologique : il s’agit alors de la littérature écologiste ou environnementaliste. Pour certains, les liens entre la littérature et l’écologie sont multiples et méritent une optique historique1. C’est le point de vue de Salaün qui explique que la littérature et l’écologie sont très intimement liées historiquement, dans la mesure où : [...] l’écologie est née dans le domaine de l’histoire naturelle et à un moment où le divorce entre les sciences et les humanités n’avait pas encore été prononcé. Alexander von Humbolt et Charles Darwin savaient écrire Alphonse De Candolle poursuivait une correspondance très vivante avec Balzac, et l’“introduction à l’étude de la médecine expérimentale” de Claude Bernard est aussi bien un chef-d’œuvre littéraire qu’un point de repère scientifique.2 Salaün reprend cette citation du professeur en écologie québécois, Dansereau, pour illustrer comment, à sa naissance, l’écologie scientifique était encore influencée par la littérature. Dansereau est considéré comme l’un des pionniers de l’écologie moderne, qui s’est développée au XXe siècle et se concentrait surtout sur l’interdisciplinarité en écologie3. 1 Élise Salaün, « Un dialogue incertain : littérature écologique ou écologie littéraire ? », Après tout, la littérature : parcours d’espaces interdisciplinaires, éds Blanca Navarro Pardiñas et Luc Vigneault, Québec, Presses université Laval, 2011. 2 Pierre Dansereau, La Terre des hommes et le paysage intérieur, Montréal, Éditions Leméac, 1973, p. 57. 3 Charles Côté, « Pierre Dansereau, pionnier de l’écologie, n’est plus », La Presse, 29 septembre 2011. Consulté sur : URL : http://www.lapresse.ca, 15 mai 2012, 30 septembre 2011, http://www.lapresse.ca/environnement/201109/29/01-4452580-pierre-dansereau-pionnier-de-lecologie-nest- plus.php. 4452580-pierre-dansereau-pionnier-de-lecologie-nest-plus.php. 10 L’écologie serait l’héritière scientifique de la littérature des « histoires naturelles »4. Ces dernières ont vu le jour pendant l’humanisme et le XVIIIe siècle. Dans les « histoires naturelles », la science de l’époque fait l’objet de la littérature. Il s’agit, à cette époque, d’une littérature descriptive des phénomènes naturels et des animaux. Lorsque la science s’est formalisée, cette approche littéraire n’a plus convenu à l’objectivité requise par la science et les deux champs se sont séparés5. Toutefois, si la thématique de la nature dans la littérature n’est pas délimitée historiquement, puisque nous la retrouvons tout au long de l’histoire littéraire, l’écocritique, c’est-à-dire son pendant critique, l’est d’autant plus. C’est exactement ce qu’affirme Lauwrence Buell dans l’incipit de son ouvrage The Future of Environmental Criticism, écrit en 2005 : Until the end of the twentieth century, such a book as this could not have been written. The environmental turn in literary and cultural studies emerged as a self-conscious movement little more than a dozen years ago.6 Ce constat pose une démarche intéressante pour analyser les œuvres récentes que la littérature française nous a offertes. En effet, alors que la critique environnementale a connu son essor aux États-Unis et que les études se sont, par conséquent, concentrées sur la littérature américaine, la critique littéraire française n’a pas encore donné une image représentative des œuvres écologistes françaises. Buell explique également que la littérature environnementale n’a pas encore le même statut que les genderstudies ou la littérature postcoloniale. Elle est encore en plein développement7. La littérature environnementale cherche encore sa façon à réfléchir aux enjeux, à la thématique et à la poétique. Pour l’instant, il s’agit d’une « alliance » entre écrivains, critiques et activistes8. Il en ressort qu’il est important d’envisager la diversité de la littérature environnementale. Le genre étant tout nouveau, même aux États-Unis, il n’existe pas encore de paradigme clair et net9. Il est plutôt question d’un ensemble d’œuvres qui sont 4 Élise Salaün, op. cit., p. 97-100. 5 Ibid., p. uploads/Litterature/le-debat-environnemental-dans-la-litterature-francaise-contemporaine.pdf

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