SBORNÍK PRACÍ FILOZOFICKÉ FAKULTY BRNĚNSKÉ UNIVERZITY STUDIA MINORA FACULTATIS

SBORNÍK PRACÍ FILOZOFICKÉ FAKULTY BRNĚNSKÉ UNIVERZITY STUDIA MINORA FACULTATIS PHILOSOPHICAE UNIVERSITATIS BRUNENSIS L 28, 2007 ANDRZEJ DZIEDZIC LE « DOUBLE SCANDALE » DU DÉNOUEMENT DU ROUGE ET LE NOIR. Dans son article intitulé « The Novel and the Guillotine » et publié dans les pages de Reading for the Plot: Design and Intention in Narrative, Peter Brooks examine les questions politiques d’autorité et de légitimité ainsi que les problè­ mes de paternité dans Le rouge et le noir de Stendhal.1 Puisque la forme et l’in­ tention du roman sont indissolublement liées à ce réseau de questions, le critique mène l’analyse sur trois niveaux: structurel, textuel et thématique. Le rouge et le noir est structuré autour de la question fondamentale: à qui appartient la France et qui est le père de la France? Cette question, à son tour, implique le problème de la paternité de Julien: qui est son vrai père et quelle est la raison de la résis­ tance du héros vis-à-vis des figures paternelles? Bien que ces problèmes restent irrésolus (« the issue of authority remains unresolved […] Julien achieves no fi­ nal relationship to any of his figures of paternity »; « [t]he question of who shall inherit France is left unresolved »; 87), ils servent de toile de fond à une autre controverse, celle du dénouement. Par le biais des questions posées, Brooks se propose de résoudre l’énigme qui entoure la fin du Rouge et le noir et cherche à cerner la nature fondamentalement narratologique du « scandale » où plutôt des « scandales » liés aux derniers chapitres du roman. Il constate: « […] critics who try to explain Julien’s acts on psychological grounds, merely rationalize the threat of the irrational, which is not so importantly psychological as ‘narratological’: the scandal of the manner in which Stendhal has shattered his novel and then cut his head off. »(63)2 Ce dénouement inattendu vient subitement rompre un ordre patiemment élaboré: carrière assurée, mariage brillant, ambition pleinement sa­ tisfaite. D’ailleurs plus tard, Julien lui-même expliquera son geste en ces mots: 1 BROOKS, Peter, « The Novel and the Guillotine », Reading for the Plot, Design and Inten- tion in Narrative. Par la suite, toute citation à l’article de Brooks renverra à cette édition et sera simplement suivie du numéro de page. 2 Carol MOSSMAN suit la même pensée en constatant: « The pistol shot and the decapitation of Julien Sorel have been conceived as rupture of a narrative order, that is, as a kind of a nar­ ratological disorder », The Narrative Matrix: Stendhal’s Le Rouge et le noir, p. 96. 38 ANDRZEJ DZIEDZIC « Je me suis vengé ».3 D’un geste irréfléchi, le héros, esprit prudent et calculateur, fait s’écrouler l’édifice construit de façon si méticuleuse dès le début du roman. La mort de Julien témoigne d’une destinée trop rapide; non seulement elle mar­ que une sanction sociale, mais aussi un échec. Il semble que Stendhal ait eu des difficultés à trouver un moyen logique et cohérent de clore Le rouge et le noir. Ses autres romans font d’ailleurs preuve de cette même difficulté. Rappelons par exemple Lucien Leuwen ou Lamiel, deux oeuvres dans lesquelles la fin est complètement manquée, ou bien La Chartreuse de Parme, où l’auteur se débarrasse des personnages principaux en l’espace d’à peine quelques phrases. Les critiques soulignent souvent leur accord quant à la nature illogique et ambiguë du dénouement du Rouge et le noir, mais au lieu de poser la question de l’origine et de la cause de cette ambiguïté,4 ils se contentent d’une simple constatation: « Le dénouement est bien bizarre, un peu plus faux qu’il n’est permis […] fût-on pénétré pour le Rouge et le noir de l’admiration la plus ardente, il est impossible d’en accepter le dénouement ».5 Ainsi s’exprime Emile Faguet, en prétendant prouver que le coup de pistolet tiré sur Madame de Rênal n’était pas plus dans le caractère de Julien que dans la logique des événements. Pourtant il faut bien que cet acte ait été dans son caractère puisqu’il l’a commis. Jean Pré­ vost, un autre critique de l’oeuvre stendhalienne, affirme: »[L]’auteur [Stendhal] se montrait sage de conserver cette conclusion tragique: un vrai succès de Julien aurait avili le livre »6. Citons à ce propos les paroles qu’a prononcées, deux siècles plus tôt, Madame de Sévigné à propos de Bajazet: « [L]e dénouement n’est point bien préparé, on entre point dans les raisons de cette grande tuerie ».7 On pourrait discuter sur la nécessité du dénouement qui achève, plus harmonieusement qu’une réussite heureuse de son ambition, l’histoire de la vie de Julien Sorel. Peter Brooks est l’un des premiers critiques littéraires qui ont examiné la na­ ture des « scandales » du dénouement du roman. Juste au moment où Julien atteint le faîte de sa brillante carrière et de sa vie, la guillotine lui coupe la tête et de la sorte, contrecarre les efforts que fait le lecteur pour se construire une inter­ prétation cohérente du roman. En deux phrases Stendhal décrit le moment juste avant la décapitation du héros (« Jamais cette tête n’avait été aussi poétique qu’au moment où elle allait tomber » ; 189), et le moment juste après (« Tout se passa simplement, convenablement et de sa part [de la part de Julien] sans aucune affec­ tation » ; 191). L’instant sanglant de l’exécution est aussi passé sous silence. Cette ellipse est d’autant plus intéressante qu’il n’est pas du tout évident que Julien dût 3 Stendhal, Le rouge et le noir, p. 239. Toute citation du Rouge et le noir renverra à l’édition Gallimard, 2000. 4 « Critic after critic has confronted the enigmatic ending of Stendhal’s works, which seem to exercise their fascination by this very unaccountability…The pistol shot which rang out in that church in Verrières a century and a half ago, resounds to this day »,Mossman, Carol, The Narrative Matrix: Stendhal’s Le rouge et le noir, p. 112. 5 FAGUET, Émile. Politiques et moralistes, p. 110. 6 PRÉVOST, Jean, La création chez Stendhal, p. 73. 7 Cité dans: BLIN, Georges, Stendhal et les problèmes du roman, p. 39. 39 LE « DOUBLE SCANDALE » DU DÉNOUEMENT DU ROUGE ET LE NOIR être décapité, puisque l’attentat contre la vie de Madame de Rênal apparaît arbi­ traire et insuffisamment motivé; de plus, aucun meurtre n’a été commis. Décidé à épouser Mathilde de la Mole, adorée et idéalisée par son père, Julien n’arrive pourtant pas à trouver un autre moyen de refaire sa réputation, détruite par la lettre accusatoire. Afin de mieux cerner la nature de ces « scandales » et de pouvoir suivre ainsi un peu plus loin le chemin qu’a indiqué Peter Brooks, rappelons brièvement ce qui se passe dans les dernières pages du roman. Le Marquis de la Mole, réconcilié avec Julien, accorde à son futur gendre une somme de dix mille francs et consent au mariage de celui-ci avec sa fille Mathilde. Sous le nom de Monsieur de Ver­ naye, Julien obtient un brevet de lieutenant et réside à Strasbourg pendant que Mathilde de la Mole reçoit la lettre diffamatoire de la part de Madame de Rênal, lettre dénonçant Julien comme un vil séducteur, lettre qui va précipiter la fin du héros. Dès lors, les événements s’accélèrent à une allure étourdissante: Julien se procure le pistolet, tire sur Madame de Rênal, est mis en prison et subit le juge­ ment; les chapitres qui suivent retracent le parcours de la prison à l’échafaud, le parcours qui mène à la mort du héros. Il n’est pas difficile de remarquer que la fin du Rouge et le noir est parsemée d’invraisemblances. On peut, par exemple, se demander avec Léon Blum pour­ quoi la lettre de Madame de Rênal porte un coup si rude au sceptique et cynique Marquis de la Mole, pourquoi il se résout à rompre brutalement un projet de ma­ riage que tant de motifs majeurs rendent indispensable, ou bien pourquoi Julien se déplace au village franc-comtois où vit Madame de Rênal et lui tire deux coups de pistolet? Le Marquis de la Mole avait certainement dû faire taire bien d’autres griefs, plus sérieux que ceux que vient de lui révéler la lettre. Ce qui finalement ressort de la lettre fatale, ce n’est pas que Julien a été le séducteur d’une femme, mais qu’il est un séducteur de femmes, un professionnel de la manoeuvre, ayant le gain pour but. Il est donc peu probable que le père de Mathilde ait vraiment eu besoin de ce dernier témoignage pour se convaincre que Julien n’était qu’un suborneur de femmes. N’est-il pas alors surprenant que, malgré sa rancoeur, le marquis accorde à Julien le titre? Plus loin dans le roman, on voit le héros en prison, condamné d’avoir tiré sur Madame de Rênal qui prétend avoir été mor­ tellement blessée, mais qui en même temps est capable d’entreprendre un voyage à Besançon au bout de trois mois à peine après l’attentat manqué. Il n’y a donc pas de raison légale pour que Julien uploads/Litterature/le-double-scandale-du-denouement-du-rouge-et-le-noir.pdf

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