Revue Algérienne des Sciences Du Langage N°1 35 Le dialogue romanesque, un genr

Revue Algérienne des Sciences Du Langage N°1 35 Le dialogue romanesque, un genre à multiple fonctions discursives et narratives MBOW Fallou U- Cheikh Anta Diop de Dakar/Sénégal Résumé En s’appuyant sur l’analyse discursive d’une séquence dialogale tirée d’un roman de la littérature négro-africaine, Entre les eaux3 d’Yves-Valentin Mudimbé, nous montrons que le dialogue du roman moderne diffère de celui du roman classique par les caractéristiques liées à son insertion dans la trame narrative où il assume diverses fonctions, qui dans la tradition du roman était assignée à la narration pure. La rupture se trouve aussi dans le fait que pour beaucoup d’auteurs les dialogues relevaient quelque peu du superflu. Au XIXème siècle, Flaubert défendait ouvertement que les dialogues ne pouvaient être acceptés que lorsqu’ils sont « importants de fond », c’est-à-dire lorsqu’ils permettent de bien camper les personnages. Ainsi, dans la littérature traditionnelle, le dialogue romanesque est presque considéré comme une digression. Et en tant que tel, il ne doit pas être livré au lecteur en style direct, ce qui serait une façon de lui accorder une grande importance. Justement, Flaubert s’insurgeait contre le dialogue en style direct dans le roman. La pratique moderne du dialogue, en particulier dans le roman d’Yves-Valentin Mudimbé est totalement contraire aux recommandations de Flaubert : le dialogue en style direct semble être la règle et celui en style indirect ou en style indirect libre l’exception. De son côté, Proust a une pratique du dialogue très différente de Flaubert. Malgré ces divergences, à partir de la fin du XIXème siècle, l’insertion du dialogue dans les écrits littéraires devient une pratique courante. Les romanciers alternent dans le roman discours du narrateur et dialogues des personnages avec, cependant, une nette prééminence des scènes dialoguées. Il est désormais question dans le roman de faire figurer le dialogue comme unité discursive s’intégrant à 3 Mudimbé (Y.-V.), Entre les eaux, Paris, Présence Africaine, 1973, p.22. Mudimbé est un célèbre écrivain africain de la République Démocratique du Congo, Ex. Zaïre. Son texte, Entre les eaux, est pertinent pour le corpus choisi composé de romans négro-africains d’après les indépendances intervenues en 1960, qui ont la particularité de dénoncer les nouveaux régimes politiques et/ou religieux. Il est l’une des productions les plus représentatives de cette entreprise de dénonciation. Aussi met-t-il l’accent sur les dérives religieuses plus que tous les autres romans négro-africains de cette période. Revue Algérienne des Sciences Du Langage N°1 36 l’ensemble narratif. Les descriptions ainsi que les parties proprement narratives qui étaient beaucoup plus nombreuses se sont vues remplacées par les scènes dialoguées qui sont souvent des « scènes validées » de type conversationnel ou des « scénographies » au sens de Dominique Maingueneau et qui, en quantité, occupent parfois la quasi totalité des textes. Abstract Based on discourse analysis of a dialogical sequence based on a novel of the Black African literature, between the waters of Yves Valentin Mudimbe, we show that the dialogue of the modern novel differs from the classic novel by characteristics related to its insertion into the narrative where he held various functions in the tradition of the novel, was assigned to the pure narrative. The break is also found in the fact that for many authors dialogues fell somewhat superfluous. In the nineteenth century, Flaubert openly defended the dialogues could be accepted only when "significant background ", that is to say when it can well camp characters. Thus, in the traditional literature, the romantic dialogue is almost considered a digression. And as such, it should not be delivered to the reader in direct style, which would be a way to give it great importance. Precisely Flaubert rebelled against the chat style in the novel. The modern practice of dialogue, especially in the romance of Valentine Yves Mudimbe is totally contrary to the recommendations of Flaubert: the chat style seems to be the rule in the style indirect or free indirect style exception. For its part, Proust has a practice of very different dialogue Flaubert. Despite these differences, from the late nineteenth century , inserting dialogue in literary writing is becoming a common practice. Novelists alternate in the novel the narrator's discourse and dialogue of the characters but with a clear predominance of dialogue scenes. It is now discussed in the novel to include dialogue as discursive unit incorporating the narrative together. The descriptions and the actual narrative sections that were many more were replaced by views dialogued scenes that are often conversational or " scenography " under Dominique Maingueneau " validated scenes " and that , in quantity, sometimes occupy substantially all of the text. In this, the construction of the meaning of texts can rely mainly on the analysis of dialogues. L’étude du dialogue et de sa représentation dans le roman considéré comme une activité sociale, suivant une approche discursive, pose avant tout la question de la narrativité. Celle-ci peut être sommairement définie selon deux conceptions. Dans une première acception formaliste (et immanente), la notion de narrativité se définit par des critères essentiellement linguistiques caractérisés par des marques morphosyntaxiques et lexicaux, propriétés intrinsèques au texte, et qu’on peut appliquer à un discours littéraire Revue Algérienne des Sciences Du Langage N°1 37 présentant un certain régime énonciatif ou « attitude de locution » chez Weinrich (1973). Suivant une seconde acception d’ordre purement pragmatique, à l’inverse de la première acception, elle a pour objet le « tout de l’énoncé fini » (Bakhtine 1984) et les effets produits sur le lecteur pour en remonter à partir de là à sa production. Cependant, la première approche qui est linguistique n’ignore pas les retombées pragmatiques de tout texte, elle ne fait pas de ces aspects son principal objet d’étude ; seul le codage linguistique reste essentiel. Cette différence des approches inscrit la seconde dans une tradition beaucoup plus rhétorique que linguistique. Au demeurant, les deux sont complémentaires au sens de Ducrot parlant de pragmatique intégrée » coupant court à toute polémique sur une dichotomie quelconque entre linguistique et pragmatique. Aussi bien pour Benveniste que pour Aristote la narrativité est associée à des type d’activités verbales précises, mais si pour le premier récit historique et fiction romanesque sont assimilables, pour le second ils sont différents dans la mesure où le premier relève de la chronique et le deuxième de la « mimésis ». Toutefois, on le constate, chez l’un comme chez l’autre, la narrativité est liée à l’activité verbale : autant la « mimesis » au sens théâtral que le récit (historique, fictionnel ou chronique) représente un sujet parlant. On se retrouve dans le cas de la duplicité du sujet parlant (Ducrot, O. 1984 : 201). Un peu comme Genette qui distingue l'auteur, le narrateur et le personnage (dont le narrateur peut adopter le point de vue), Ducrot (1984) distingue le sujet parlant, producteur empirique de l'énoncé (équivalent de l'auteur) et le locuteur, instance qui prend la responsabilité de l'acte de langage (équivalent du narrateur). Cette instance centrale, le locuteur peut mettre en scène un énonciateur (instance purement abstraite, équivalent du personnage focalisateur) dont il cite le point de vue en s'en distanciant ou non. Sous ce rapport, on comprend comment le dialogue en tant que discours rapporté par la voix audible ou muette d’un narrateur arrive à être considéré comme représentation de la parole d’autrui et comme fragment narratif. De plus, pour Aristote et la tradition rhétorique, un texte théâtral telle qu’une tragédie de Sophocle ou une narration épique comme l’Odyssée relèvent à égalité de la « mimésis » conçue comme toute « représentation de personnages en action ». La notion de représentation littéraire par le dialogue renvoie à l’existence de relations entre celui-ci et la conversation réelle, relations qui instituent le dialogue littéraire comme scène socialement validée. La présence de cette relation a d’ailleurs une fonction de validation de la scène littéraire. Or, de notre point de vue, cette légitimité de la « scène validée »4 (Maingueneau : 2004 : 195) lui confère un pouvoir de persuasion. 4 Maigueneau donne de la notion de « scène validée » la définition suivante : « Les œuvres peuvent fonder leur scénographie sur des scènes d’énonciation déjà validées, qu’il s’agisse Revue Algérienne des Sciences Du Langage N°1 38 En ce sens, chaque scène (qui est dialogale) fonctionne comme une valeur partagée faisant partie de l’ « interdiscours »5 (Maingueneau, 2009 : 101) de la communauté linguistique. Or, une double déduction découle de ce constat : d’une part, le dialogue qui est la composition essentielle d’une pièce de théâtre, est une représentation de paroles de personnages en action, de l’autre, le dialogue en tant qu’il est inséré dans le roman y manifeste la narrativité, en étant, pour l’auteur, une stratégie de narration au même titre que le récit pur. Ainsi utilisé à des fins de narration, le dialogue remplit plusieurs fonctions que nous étudierons en nous appuyant, sur certains romans de la littéraire africaine, mais essentiellement sur une séquence6 textuelle tirée du roman d’Yves-Valentin Mudimbé (1973), Entre les eaux. Les dialogues que présuppose le roman sont nombreux : dialogues entre écrivain uploads/Litterature/ le-dialogue-romanesque-un-genre-a-multiple-fonctions-discursives-et-narratives.pdf

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