Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 2001
Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 2001 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 16 juin 2021 04:46 Études littéraires Émergence d’une littérature maghrébine d’expression française : La génération de 1954 Albert Memmi Algérie à plus d’une langue Volume 33, numéro 3, automne 2001 URI : https://id.erudit.org/iderudit/501303ar DOI : https://doi.org/10.7202/501303ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département des littératures de l'Université Laval ISSN 0014-214X (imprimé) 1708-9069 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Memmi, A. (2001). Émergence d’une littérature maghrébine d’expression française : La génération de 1954. Études littéraires, 33(3), 13–20. https://doi.org/10.7202/501303ar Résumé de l'article Émergence d’une littérature maghrébine d’expression française : La génération de 1954. ÉMERGENCE D'UNE LITTÉRATURE MAGHRÉBINE D'EXPRESSION FRANÇAISE : LA GÉNÉRATION DE 1954 Albert Memmi Propos recueillis par Mireille Calle-Gruber Mireille Calle-Gruber —Votre place dans l'histoire de ce qu'on appelle la littérature maghrébine d'expression française est exemplaire, et votre itinéraire permet de saisir l'ampleur du mouvement dans sa dimension historique, replaçant la question qui est la nôtre de « l'Algérie à plus d'une langue » dans la dynamique du processus colonial et post-colonial. C'est en écrivain, toujours, que vous intervenez. D'abord, il y a eu La statue de sel (1953) qui est un roman autobiographique, roman des apprentissages où la littérature est matrice et révélateur. Puis Agar ( 1955), puis Le scorpion ( 1969) où la forme, chaque fois singulière, repose les questions de l'être dans l'entre-langues et dans l'entre- cultures. C'est en écrivain, non moins, que vous avez publié, parallèlement aux romans, des essais qui constituent une réflexion critique : vous y faites œuvre de visionnaire, prophétisant, dès Portrait du colonisé (1957), la fin des colonialismes et l'indépendance des colonisés. Tout se tient donc chez vous : récit de fiction, essai, autobiographie, conte ; aucune faculté humaine n'est dédaignée, raison, émotion, imaginaire du discours ont une puissance heuristique. Pouvez-vous retracer pour nous les circonstances du travail d'écriture et de langue qui ont fait que vous avez été, à certains moments, à la source d'une production littéraire collective nouvelle ? une sorte de catalyseur de l'émergence des littératures maghrébines liées aux indépendances — des littératures qui, aujourd'hui, constituent un des apports majeurs de la production francophone ? Albert Memmi — Un écrivain est quelqu'un qui ne pose pas les problèmes d'abord, à la différence du philosophe. Il se trouve que j'ai aussi une formation philosophique et je comprends que l'on puisse poser d'emblée les questions de façon conceptuelle. Toutefois, ce qui fait la spécificité de l'écriture, c'est que les problèmes pour l'écrivain sont d'abord vécus. Et c'est parce qu'il a vécu un certain nombre d'expériences qu'il Etudes Littéraires Volume 33 N° 3 Automne 2001 ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 33 NO 3 AUTOMNE 2001 a ensuite théorisé, formalisé.Très tôt, j'ai été fasciné par la littérature, pour des raisons qui relèvent d'une suite d'influences. J'ai connu Jean Amrouche, qui était un excellent poète et qui fut mon professeur de littérature en première puis en classe de philo. Lui ne croyait qu'à la poésie : elle était la clef du savoir, l'intuition du monde, il y avait quelque chose de mystique dans cette approche. À mon avis, il allait trop loin ; mais j'ai subi cette influence, j'ai donc éprouvé le besoin de rendre compte d'une manière littéraire de la vie, du vécu. De ce que je sentais. Par ailleurs, j'avais une formation philosophique, j'ai voulu théoriser cette expérience. Il est donc vrai que dans mon œuvre —j'emploie le terme bien sûr avec modestie —, il y a ces deux aspects. La relation d'une série d'expériences — peut-être faudrait-il dire plus exactement d'une expérience fondamentale diversifiée sur plusieurs modes ? — a donné lieu à la production proprement littéraire. À commencer par La statue de sel, en effet, dont vous avez raison de dire qu'elle est probablement la matrice des livres ultérieurs. Ensuite, Agar, récit d'un mariage mixte parce que j'avais fait un mariage mixte, certes, et parce C[ue le mixte est une sorte de tentative de solution, pour moi, aux problèmes posés dans La statue de sel, et même d'une manière plus générale par le métissage. Puis il y a eu Le scorpion qui donne forme littéraire à un eparpillement de l'expérience. Avec Le désert (1977) s'opère un retour sur le passé, et la tentative d'y puiser des solutions au présent. C'est aussi une recherche d'identité. Autant de motifs qui sont déjà en jeu dans Le scorpion, mais selon une constellation différente. Je ne parle pas des nouvelles ; elles sont nombreuses, dispersées dans des revues, au gré des demandes, je ne sais plus où. C'est important, les nouvelles. Probablement qu'en les réunissant, on trouverait une lecture et une signification de l'itinéraire, un mouvement d'ensemble que je ne connais pas clairement. Quant au dernier roman en date, Le Pharaon (1988), publié voici dix ans environ, et qui vient d'être réédité, il inscrit l'intrusion de la politique : c'est l'indépendance, les questions surgies de la décolonisation. C'est une tentative d'explication du social et de l'historique, paral-lèlement à une passion amoureuse., C'est parce que, du reste dans tous mes livres, La statue de sel, Le scorpion, etc., la colonisation pèse comme un drame que j'ai écrit Portrait du colonisé. Mais même si ce sont déjà des essais à portée sociologique, et politique, comme L'homme dominé (1968) ouLe racisme (1982), j'ai voulu faire un travail d'écrivain, c'est-à-dire de la forme. Mireille Calle-Gruber — C'est une écriture : celle de l'écrivain soucieux d'observer, dans les constructions des discours et des langues dans la langue française, les enchaînements du colonialisme. Albert Memmi — Oui, pas seulement dans les discours sur le réel vécu mais c'était une forme de théorisation de l'expérience. De même pour L'homme dominé, scîcond essai important qui s'efforce de considérer une multiplicité d'expériences ; noir, juif, femme, colonisé, domestique. Cela correspond bien à une espèce d'éclatement de la situation primitive et à la volonté de rechercher des semblables, des gens qui vivent les mêmes expériences que vous. Mireille Calle-Gruber —Vous rappelez ainsi que, aussi solitaire et séparé soit-on, on n'en est pas moins solidaire d'autres, qui sont semblablement dominés. C'est là l'écriture de l'écrivain-témoin ? Albert Memmi — Oui, en réalité c'est un itinéraire qui est dicté à la fois par l'expérience intérieure et par des sollicitations extérieures. Par exemple, il y a qiiinze jours, j'ai donné une préface au livre de Jean-Guy Talamoni [ , le leader corse, qui me 1 Albert Memmi, « Pour la Corse », préface à Jean-Guy Talamonie, Ce que nous sommes, 2001. 14 ÉMERGENCE D'UNE LITTÉRATURE MAGHRÉBINE D'EXPRESSION FRANÇAISE : LA GÉNÉRATION DE 1954 l'avait demandée. C'est la vie qui, une fois de plus, m'a rattrapé, et en même temps, pour moi, c'est dans la suite même de ma trajectoire d'écrivain. J'ai fait un voyage en Afrique noire, j'en ai rapporté un «Journal d'Afrique noire ». Vous voyez, c'est un constant balancement entre expérience vécue, l'expérience d'écrivain, et l'expérience des autres. Ainsi, bien que n'étant pas femme, j'attache également beaucoup d'importance à l'élément féminin. Question très grave : c'est une autre partie de l'humanité, que les hommes comprennent mal, que je comprends mal ; mais je sais qu'il y a là des différences profondes et incontournables. Mireille Calle-Gruber—Vous disiez auparavant, par rapport à l'expérience de la colonisation, que vous cherchiez des semblables, ayant les mêmes expériences que celles du colonisé. Mais avec « les femmes » vient aussi la question de « l'élément féminin » en tant que l'autre du « masculin », et c'est alors, vous le dites à présent, des questions de différences qui vous importent, notamment la différence sexuelle qui est en jeu. Par rapport à votre appréhension des différences, comment intervient la situation d'être-séparé des femmes dans la société maghrébine ? Albert Memmi — Il est possible que la séparation des femmes, leur exclusion, ait agi sur moi comme un élément étrange et en même temps extrêmement attirant. C'est là un motif fréquent dans mes livres : c'est le thème du hammam, en somme. C'est un monde extraordinaire, différent, que j'ai côtoyé, vécu très tôt, depuis l'âge de deux ou trois ans. Un jour, au hammam où j'allais avec ma mère régulièrement, les femmes ont commencé à dire : « Ce n'est plus un petit garçon, c'est un adolescent, il nous regarde. » J'ai donc été exclu de cet univers-là. Cela reste pour moi un monde de mystère. Je pense que le hammam est une expérience généralisable, même là où il n'y a pas de hammam. C'est une métaphore, en ce sens que le monde féminin est un monde dans lequel nous pénétrons peu (plaisanteries et grivoiseries, uploads/Litterature/litterature-maghrebine-et-du-maghreb.pdf
Documents similaires










-
32
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 17, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.9434MB