Les Cahiers du journalisme n o 20 – Automne 2009 218 Médias, pluralisme et orga

Les Cahiers du journalisme n o 20 – Automne 2009 218 Médias, pluralisme et organes de régulation en Afrique de l’Ouest Moustapha SAMB Professeur au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI) Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal tafasamb@yahoo.fr A vec l’instauration des régimes de démocratie pluraliste, les systèmes de monopole de l’État sur les moyens de communication entrent en crise. Le développement des autoroutes de l’information, notamment les progrès spectaculaires dans le domaine de la communication (explosion de certains vecteurs comme les câbles, les fibres optiques, les satellites et Internet) viennent, en plus, souligner le caractère archaïque du monopole étatique sur la presse et la communication audiovisuelle. Dès lors, s’impose la nécessité d’une mutation du paysage médiatique et, surtout de l’audiovisuel. L’explosion de la presse écrite est suivie dans certains pays de la création spontanée de radios privées. Dans d’autres États, plusieurs opérateurs privés affichent leur intention de s’investir dans l’audiovisuel. Il se pose ainsi la question de la distribution de cet espace audiovisuel limité entre les nombreux candidats à la création de stations émettrices de radiodiffusion et de télévision. Comment encadrer juridiquement ce secteur afin de protéger les auditeurs et les téléspectateurs contre les groupes de pression politiques, économiques et religieux ? Comment assurer l’accès équitable des partis politiques, des organisations non gouvernementales et des citoyens aux médias d’État ? Bref, comment organiser et gérer la libéralisation de l’espace audiovisuel ? Pour répondre à ces préoccupations devenues pressantes, plusieurs États africains ont créé des instances de régulation 219 Médias, pluralisme et organes de régulation en Afrique de l’Ouest des médias. Il s’agit en fait d’organes non juridictionnels chargés de réglementer le secteur, d’assurer un équilibre entre les intérêts des différentes forces en présence, d’arbitrer au besoin entre ces intérêts et de réprimer éventuellement les infractions. Ces instances ont pour vocation de garantir la liberté de la communication audiovisuelle et de contribuer au pluralisme médiatique. L’émergence des autorités régulatrices des médias est particulièrement remarquable en Afrique de l’Ouest où se trouve la plus forte concentration de ces institutions. Si le principe de création des organes de régulation des médias est communément admis en Afrique de l’Ouest, cela ne signifie nullement une unanimité quant à leur statut et la mission qui leur est assignée. Les modèles adoptés varient suivant les pays. Dans certains États comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, les instances de régulation demeurent en bonne partie proches de l’exécutif, même si leur rôle n’est pas purement consultatif. Dans d’autres États, la liberté de communication audiovisuelle est incarnée par une instance de régulation officiellement autonome du gouvernement (le Bénin fait partie de cette catégorie). Des pays comme le Libéria et la Guinée Bissau accusent encore du retard puisque c’est un département du ministère de l’Information qui gère la régulation à la place d’une véritable instance indépendante. Quant à la Gambie, son instance vient fraîchement d’être mise en place et devra asseoir son arsenal juridique et institutionnel. Au total, on peut dire qu’il y a une aspiration de l’ensemble des pays de la sous-région vers la création d’organes de régulation que justifiaient d’ailleurs un paysage médiatique très diversifié et un contexte international devenu subitement hostile au monolithisme de l’information et très sensible aux questions de pluralisme et de démocratie1. Dans ce travail, il ne s’agira pas de présenter la totalité des organes de tous les pays d’Afrique de l’Ouest. Tout juste sera-t-il question de revisiter quelques échantillons d’organes et de procéder à l’analyse de leurs aspects fonctionnels et dysfonctionnels. Méthodologie et problématique de la recherche La méthode de travail consiste à revisiter les organes de chaque pays et de montrer les points saillants, c’est-à-dire les forces et les faiblesses des organes en question. Dans cette optique, la réflexion va s’articuler sur les avantages, les atouts mais aussi les limites de chaque organe étudié. Cette approche repose donc sur un diagnostic documenté des organes et des pays étudiés. Par la suite, il sera question de procéder à une comparaison de certains pays de la sous-région. Les Cahiers du journalisme n o 20 – Automne 2009 220 À ce stade de l’analyse, on tentera d’une part de montrer les dys- fonctionnements de certains organes et, d’autre part, les modèles les plus achevés en matière de régulation au niveau de la sous-région. Il ne s’agit pas d’apprécier un organe en fonction de la beauté de son architecture institutionnelle, mais surtout et fondamentalement en fonction de son indépendance, son efficacité et ses capacités décisionnelles. Nous n’oublierons pas les questions liées à la bipolarité, à la gestion des fréquences et à la convergence des médias et des institutions qui gèrent et supervisent les médias et leur fonctionnement. Enfin ce travail d’analyse, de commentaire et de comparaison doit déboucher sur des recommandations utiles et opérationnelles pour les chercheurs, les experts et les décideurs qui interfèrent dans ce secteur très dynamique des médias. En effet, la question qui se pose aujourd’hui, c’est la capacité des instances africaines à relever le défi de la mondialisation de l’information provoquée par la révolution numérique. Internet par exemple doit être contrôlé de la même manière que les autres médias classiques. Mais il se pose la question de savoir comment réguler Internet ? Ce réseau où circulent aujourd’hui les informations dans un cadre mondial, avec les problèmes de censure et de contrôle de l’information qui sont un enjeu pour les démocraties contemporaines. L’objectif commun à toutes ces instances était de garantir la pluralité des médias et de conduire à un certain retrait du monopole de l’Etat sur le secteur. De garantir la diversité de l’information. Toutefois, ces organes de régulation ont revêtu des formes très diverses dans les différents états de la région. Les différences peuvent être sensibles, notamment quant à : – leur statut juridique (parfois régi par la Constitution) ; – leur indépendance et l’impartialité, par rapport au pouvoir politique ou gouvernemental, en particulier (cette indépendance elle-même cherche ses propres garanties, à travers la composition et la qualité des membres de l’organe de régulation, le mode de désignation de ces membres, les instances auxquelles ces organes de régulation rendent compte et l’origine des ressources qui en permettent le fonctionnement). Leurs domaines de compétences avec des attributions délimitées selon plusieurs variables : – le type de média qu’ils régulent : certains ne régulent que l’audiovisuel, d’autres l’audiovisuel et la presse écrite, les médias publics, privés etc. Du coup, le nombre de ces organes de régulation peut varier y compris au sein d’un même pays ; – leur rôle : certains organes de régulation ont un rôle de conseil et émettent des avis et des rapports sur la politique nationale et sur la situation des médias, d’autres, en revanche ont un rôle décisionnel. 221 Médias, pluralisme et organes de régulation en Afrique de l’Ouest Concernant leurs prérogatives, certains organes de régulation nomment des directeurs des médias d’État, d’autres gèrent l’aide à la presse. Le niveau et le champ d’intervention aussi n’est pas le même pour tous. Certains attribuent les fréquences et veillent sur les contenus, d’autres se limitent à contrôler les contenus uniquement. D’autres enfin se sont dotés de compétences en matière de déontologie. Aujourd’hui, la question majeure qu’on se pose est de savoir, au regard de la pratique et des lois, quels sont les modèles les plus achevés. Ceux qui répondent le mieux aux critères d’indépendance et d’efficacité ? Le développement des nouvelles technologies (Internet, explosion du mobile, expansion de la diffusion satellitaire, etc.) fait que l’on parle de plus en plus de convergence des médias (journaux en ligne, récepteurs mobiles de programmes radios ou TV) qui configure un nouveau champ et, par conséquent, appellent de nouveaux moyens de régulation de l’information, aussi bien à l’échelle mondiale qu’à l’échelle des différents pays. Les pays africains, malgré leur retard dans ce domaine de la convergence, doivent forcément intégrer ces mutations en cours aussi bien au niveau des télécommunications que des médias. La pratique de la régulation en Afrique de l’Ouest Là où existent ils, les organes de régulation sont dotés de larges compétences. Mais ces institutions, pour la plupart constitutionnelles, laissent les observateurs assez perplexes dans la conduite de leur mission, en manifestant généralement un large écart entre l’esprit des textes et la pratique au quotidien de la mission de régulation : – en Côte d’Ivoire, le CNCA et la CNP sont dotés de larges pouvoirs mais n’ont pas pu empêcher les dérives graves observées dans le secteur des médias depuis le déclenchement de la crise en septembre 2002. L’inféodation de la CNCA au pouvoir est notoire ; – au Niger, le CSC, organe constitutionnel doté de larges compétences, notamment dans les matières de nomination des responsables des médias d’État et d’accès aux même média n’a pu exercer la première prérogative depuis son installation, et n’intervient que très faiblement pour tout le reste de ses attributions. C’est un organe qui brille par son inertie et sa politisation, toutes choses contraires au serment de ses membres ; – au Nigeria, les nouvelles lois issues de la réglementation de uploads/Management/ 11-samb.pdf

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  • Publié le Dec 07, 2022
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