© Actes du Forum de la régulation 2001 LES NTIC ET L’ENTREPRISE : UNE LENTE REV

© Actes du Forum de la régulation 2001 LES NTIC ET L’ENTREPRISE : UNE LENTE REVOLUTION DES FORMES DE CONCURRENCE1 Pascal PETIT Une diffusion rapide, visible des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC, pour une définition voir l’encadré 1) qui contraste avec une évolution lente, peu lisible des formes d’organisation du travail dans la firme comme entre les firmes, tels sont les traits majeurs apparents du changement technique contemporain. L’absence d’effets apparents sur les gains de productivité vient renforcer cette impression. Et pourtant il ne faut guère s’y tromper, le changement technique en cours va de pair avec une transformation majeure des modes d’organisation de nos économies. Cette mutation peut certes être d’autant plus lente que les acteurs en maîtrisent mal les tenants et aboutissants organisationnels. Une première erreur vient peut-être de ce que nous dissocions technologie, organisation et travail alors qu’ils ne peuvent s’apprécier séparément. Cette erreur contemporaine est facilement induite par certaines caractéristiques des technologies en question. Nous allons essayer de faire le point sur ces transformations, en ne distinguant technique et organisation que pour mieux comprendre leur combinaison, dans ce qu’elle a de nécessaire et de fortuit, un hasard qui dépend de la capacité des acteurs à définir des stratégies, donc à anticiper évolutions et interactions. Les entreprises sont centrales dans ce processus et elles le sont d’autant plus que la diffusion du nouveau système technique centré sur les technologies de l’information et de la communication ne requiert pas au préalable l’équivalent des grands projets d’infrastructures que provoqua l’aménagement des réseaux de canaux ou de chemins de fer, ou l’électrification. On assiste ainsi à un changement de système technique (au sens paradigmatique que donne Freeman (1995), par exemple, à ce terme) qui, toutes choses égales par ailleurs2, est mené par tout un ensemble d’entreprises à même d’opérer à l’échelle internationale, même si les opérateurs nationaux de télécommunications occupent une place primordiale dans ce processus3. Cette relative décentralisation n‘est pas sans influence sur les modalités du développement du nouveau système technique, où un certain bouleversement des capacités de production, ne semble pas avoir une incidence marquée et 1 Communication présentée au Forum de la Régulation, Octobre 2002. L’auteur remercie Christian du Tertre dont les remarques ont été fort utiles à la révision de ce texte, même si elles n’ont été que très imparfaitement suivies. 2 Cette relativisation est importante, les actions publiques, surtout militaires, ont eu un rôle majeur dans le développement de ces technologies, de l’ordinateur jusqu’à internet, et les grands opérateurs nationaux sont des entreprises, qui ont eu longtemps un statut public. Les politiques de développement de la société de l’information ne sont pas sans importance (voir Catinat, 1998). Mais le développement des NTIC n‘a jamais fait l’objet des grands projets politiques de développement, requérant la mobilisation de l’épargne et des volontés nationales que l’on a observée lors des changements de systèmes techniques précédents. Les projets plus ou moins avortés de l’administration Clinton de grandes autoroutes de l’information sont à cet égard plus une illustration qu’un contre-exemple. Et les budgets faramineux de la guerre des étoiles, si tant est qu’ils voient le jour, ne peuvent être perçus comme les substituts de tels projets de développement. 3 Le rapport Théry a fait le point en 1994 sur les besoins de financement requis par le développement des autoroutes de l’information. Le montant global est important : entre 25 et 30 milliards d’euros pour connecter tous les foyers en fibre optique, mais d’une part des solutions intermédiaires moins coûteuses sont envisageables, d’autre part l‘essentiel du financement dépend des opérateurs de télécommunications (dont la capacité de financement est très conditionnée par les conditions de concurrence dans lesquelles les déréglementations les placent (voir Quelin 1995). © Actes du Forum de la régulation 2001 – 2 générale sur la productivité des entreprises concernées. Un diagnostic assez largement admis explique ce « paradoxe » par la complexité des problèmes organisationnels. C‘est cette boîte noire que la présente contribution cherche à clarifier en proposant un fil de lecture aux diverses transformations techniques et organisationnelles en cours. La section 1 analyse la diffusion des nouvelles technologies et organisations comme un nouveau stade dans le processus dautomatisation que les entreprises, industrielles en particulier, ont pu connaître dans les années 1950 et 1960. Ce prolongement d’une analyse de l’organisation interne des firmes a des limites. Une deuxième section s’intéresse plus spécifiquement aux évolutions de la division du travail entre firmes qui présente un aspect réellement nouveau. La coordination par les NTIC des rapports entre firmes dépasse le cadre d’une substitution de capital au travail et implique des formes nouvelles d’organisation. Mais là ne s’arrête pas la modification du régime productif. L’évolution des rapports marchands au cœur de la nouvelle division du travail s’accompagne d’une transformation des rapports avec les consommateurs finaux. Ces mutations sont au cœur de la modernisation des grands services réseaux. Toutes ces évolutions ne combinent pas pour autant leurs effets de façon cumulative. Au-delà des problèmes de normes et standards qu’exigent certaines coordinations, c’est tout le problème de la stabilité des choix organisationnels déterminant la division inter-firmes du travail qui se trouve posé. Politiques structurelles et changements institutionnels doivent contribuer à dégager ces trajectoires de croissance stable, ces choix dépendent largement du passé et des structures des pays concernés, comme nous le soulignons dans la section 3. (insérer encadré 1) 1 – La poursuite d’un mouvement long d’automatisation Considérons en premier lieu les transformations internes à la firme. La diffusion des nouvelles technologies s’y présente comme un phase nouvelle dans un processus ancien de mécanisation du travail. Mais les problèmes d’organisation posés paraissent rapidement assez radicalement nouveaux. 1.1 Une nouvelle phase de substitution capital/travail Le mouvement de substitution du capital au travail a une histoire. La mécanisation des processus industriels comporte trois phases : la mécanisation de la transformation de la matière puis celle des transferts d’objets et enfin celle du contrôle des différentes phases opératoires4 (comme le proposent Blackburn, Coombs et Green, 1985). La mécanisation des activités touche, à des degrés divers, selon l’époque et les industries, les trois types d’opération précités. La perspective historique donnée au tableau 1 montre qu‘au milieu de la révolution industrielle la mécanisation portait essentiellement sur les opérations de transformation, la mécanisation des opérations de transferts s’est développée parallèlement et progressivement au cours du XXe siècle, la mécanisation des opérations de contrôle n‘apparaissant que très progressivement après la seconde guerre mondiale. Cette automatisation du contrôle 4 Il s’agit là bien sûr du contrôle des opérations, toutes les phases de la mécanisation impliquant un contrôle du travail qui lui est associé. © Actes du Forum de la régulation 2001 – 3 est présente mais peu flexible5 dans le régime de croissance fordiste surtout marquée par une organisation taylorienne de lignes de production fortement mécanisées pour les opérations de transformation et de transfert. (insérer tableau 1) La diffusion contemporaine des équipements NTIC à l’intérieur des firmes se présente comme une nouvelle phase de cette mécanisation concernant de façon tout à fait nouvelle les opérations de contrôle et de coordination. La rupture par rapport à l’époque fordiste est nette sur deux plans. D’un côté, cette « automatisation » du contrôle des opérations permet de revenir sur les mécanisations des autres opérations (transformation et transfert) en donnant plus de flexibilité à leur organisation, les économies d’échelle devenant moins impératives, la mécanisation peut s’appliquer à de petites séries aux caractéristiques évolutives. De l’autre, elle pousse à une codification des opérations tertiaires en amont et en aval de la production (conception, gestion, distribution,) et à une réorganisation des rapports de la firme avec son environnement (son marché, ses concurrents, ses partenaires, ses autorités). Les deux plans précités renvoient finalement à deux latitudes en matière d’organisation des processus productifs sur lesquelles nous reviendrons. Dans cette gestion de l’information, les nouvelles technologies permettent des gains de temps appréciables mais très différents selon le type d’opération : qu’il s’agisse du codage, du traitement, du stockage ou de la transmission6. Ces différences de productivité impliquent que l’automatisation des fonctions de contrôle et de coordination internes à l’entreprise (où les opérations précédentes sont plutôt complémentaires) a des rendements décroissants. Progressivement, la part des NTIC dans les dépenses d’équipement des entreprises françaises s’est élevée de 10,3% en 1980 à 17,8% en 1999 des dépenses d’équipement (voir Mairesse, Cette et Kocoglu, 2000). Cette estimation dépend bien sûr de la définition des NTIC que l’on retient (voir encadré 1), avec la question délicate que pose la prise en compte des investissements immatériels7. Même si la phase de mécanisation contemporaine réduit l’importance des économies d’échelle en matière de transformation et de transfert, des effets de seuils et d’absence de savoir-faire en matière de gestion de l’information constituent un handicap pour une réorganisation interne des petites entreprises. La flexibilité qu’introduisent les NTIC dans cette mécanisation des processus de production ne facilite pas non plus l’émergence de modèles d’organisation dominants susceptibles d’être largement imités. Cette « relative flexibilité » organisationnelle est aussi une caractéristique importante des mutations contemporaines des processus productifs. Autre uploads/Management/ 13-petit.pdf

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  • Publié le Dec 10, 2021
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