ESSACHESS. Journal for Communication Studies, vol. 6, no. 1(11) / 2013: 215-231
ESSACHESS. Journal for Communication Studies, vol. 6, no. 1(11) / 2013: 215-231 eISSN 1775-352X © ESSACHESS Communiquer sur le goût : du discours à la méthode Juliette DEFOSSEZ Doctorante, CIMEOS (EA 4177), Université de Bourgogne, FRANCE juliette.defossez@hotmail.fr Jean-Jacques BOUTAUD Professeur des universités, CIMEOS (EA4177), Université de Bourgogne, FRANCE jean-jacques.boutaud@u-bourgogne.fr Résumé : A partir d’un terrain original, la communication du goût, l’article expose la mise en place d’une méthode propre aux SIC de création d’un outil de communication. Après avoir défini notre champ d’étude, nous nous appuyons sur les outils disponibles en SIC pour compléter une base méthodologique pluridisciplinaire. Enfin, forts de cette base, nous construisons une méthode spécifique de communication du goût. Mots-clés : méthode, outil expérimental, goût, sémiotique, sciences des aliments *** Talking about taste: from discourse to method Abstract: Based on the original scientific field of taste communication, the article exposes the setting up of a methodology specific to the communication sciences. Explicating the specificity of the taste and using multidisciplinary tools, we build a communication methodology specific to the communication of sensory attribute. Keywords: experimental tool, taste, semiotic, food science 216 Juliette DEFOSSEZ, Jean-Jacques BOUTAUD Communiquer sur le goût… *** « De gustibus et coloribus non disputandum ». L’enseignement philosophique et théologique du Moyen-Age est devenu vérité proverbiale : des goûts et des couleurs, on ne discute pas. Pour autant, tout projet scientifique sur la communication du goût présuppose un minimum de dialogue entre sciences du goût et de la nutrition et sciences humaines. Un lien nécessaire, pour bien comprendre de quoi l’on parle dès que l’on attaque – le mot n’est pas trop fort tant l’univers est complexe - la question du goût. Un lien peu commode à établir, en vérité, entre des conceptions bien différentes, pour ne pas dire éloignées du goût : d’un côté ceux qui parlent petite madeleine, représentations et imaginaire du goût (Revel, 1979 ; Onfray, 1989) ; de l’autre ceux qui se réfèrent en priorité à la sensibilité chimique, aux saveurs et odeurs (Holley, 2006). Sur le versant SHS, l’oralité et le discours gastronomique ; sur l’autre versant, la bouche, la voie rétronasale. La chimie des sensations ou l’alchimie du verbe, des images. Une trajectoire du sens possible à résumer dans la tension épistémique entre deux champs théoriques de description et d’évaluation du goût : la saveur pour les uns, la valeur pour les autres. Le chiasme est trop tentant : la valeur de la saveur (primat de la sensation) ou la saveur de la valeur (primat du sens). Voici pour le décor interdisciplinaire où la communication a vocation et propension à se mouvoir. Mais sans boussole, sans méthode, point de salut. Nécessité première : sortir de la dichotomie stérile, sinon la querelle entre les tenants du quanti- ou du qualitatif. Elargir l’empan théorique et conceptuel pour saisir le goût dans ses dimensions fondamentales, avant de penser signes et communication. Quels sont, dès lors, les modèles ou modélisations du goût à notre disposition sur une trajectoire possible à orienter et prolonger en termes de communication (1) ? Avec quelle intention avouée et même quelle prétention dans le registre communicationnel, si le défi est d’avoir à créer outils et méthodes dans ce champ de compétence, tout particulièrement avec les ressources les plus récentes de la sémiotique (2) ? Et comment exploiter ces ressources théoriques et méthodologiques dans la confrontation plus directe avec le terrain, quand la problématique, dans notre cas, est de saisir l’image du goût et de l’enrichir auprès du consommateur (3) ? Le propos sera recentré sur une recherche en cours, un programme pluriannuel sur l’imaginaire des céréales, à partir d’une « figure » centrale : le pain. Une occasion pour lever le voile sur une approche méthodologique conçue comme innovante, sous la sollicitation d’un univers à construire bien au-delà de ce qui est proposé aujourd’hui au consommateur : la communication du goût et, d’abord, concevoir et transmettre le langage du goût, mais dans la conception multimodale qui ressortit précisément de la communication. ESSACHESS. Journal for Communication Studies, vol. 6, no. 1(11) / 2013 217 1. Modèles, modélisation et multimodalité du goût Pour les sciences du goût, le sens gustatif fait référence à un tableau sensori- chimique, la notion de flaveur étant la perception complexe de molécules olfactives et gustatives par des récepteurs sensoriels (Holley, 2006). Dans un cadre sémiotique et communicationnel, cependant, le goût est compris dans une acceptation plus large encore. Du sensoriel au sensible et du sensible au symbolique, le goût, en tant que sensation, le goût, en tant qu’esthétique et le goût, le bon goût, l’imaginaire du goût, font partie d’un tout qui peut être étudié par le sémioticien (Boutaud, 2005). Si la définition stricte des sciences des aliments est trop restrictive pour définir notre champ d’action, la définition des SIC est, elle, en revanche, trop extensive pour faire l’objet d’une méthode spécifique d’étude. Il convient donc d’en restreindre le champ. Fixons-nous, déjà, en première approximation, sur la notion de goût chez le consommateur, à partir d’entretiens semi-directifs. Il apparait que le goût est en réalité appréhendé comme un tout, incorporant la symbolique et la mémoire (Scapp, Seitz, 1998, Giachetti, 1996). Il n’est donc pas possible, pour le sémioticien, de communiquer sur ce que nous appellerons une communication objective du goût, communication centrée sur le seul profil sensoriel. Cela signifierait qu’en postulat initial il existe un goût unique possible à identifier lors de la mise en bouche. Or le goût est dépendant de chaque individu, selon sa génétique, mais également selon son expérience avec l’aliment (Holley, 2006 ; Fischler, 2010). De plus, les consommateurs définissent plus le goût des aliments par attributs hédoniques que par une expression des caractéristiques sensorielles du produit (Chollet, 2000 ; Chrea, 2005 ; Lelièvre, 2010). Dès lors, quelle information communiquer ? Même sous l’obédience des SIC, ou tout particulièrement dans cette posture communicationnelle, une approche pluridisciplinaire est nécessaire à la construction de la méthodologie d’étude. En premier lieu, les sciences de l’aliment seront essentielles à l’appréhension des caractéristiques sensorielles des produits proposés, et permettent de fournir des tests de vérification (comme les tests d’appariement) servant de point de repère quant à l’efficacité de la communication choisie. La linguistique est également incontournable. En effet, si le verbe ne doit pas être l’unique vecteur de communication, il en est cependant un élément incontournable. De plus, plusieurs expériences issues des sciences de l’alimentation et nécessaires à notre projet ne peuvent être analysées qu’à l’aide de la linguistique. 218 Juliette DEFOSSEZ, Jean-Jacques BOUTAUD Communiquer sur le goût… De nombreuses études ont été menées, conjuguant sciences des aliments et linguistique afin de tenter de communiquer le goût des aliments à l’aide de profils sensoriels. Un profil sensoriel est une liste de mots utilisés pour décrire le goût d’un aliment. Les termes utilisés sont choisis parmi une liste de descripteurs mis au point par un groupe d’experts l’ayant construite après dégustation, avec pour chaque mot un consensus quant au goût auquel il renvoie. En pratique, des personnes non expertes se réunissent plusieurs fois afin de déguster des produits de la même catégorie, afin de se forger un goût commun. A chaque dégustation, de nombreux descripteurs des goûts ressentis sont générés. Les mots sont ensuite soumis à l’approbation ou l’invalidation du groupe. Si le groupe approuve le mot, il rejoint alors la liste, et les membres du groupe, devenus experts savent à quel référentiel gustatif celui-ci renvoie. Le plus souvent, le profil sensoriel est complété par une échelle d’intensité et mis en forme en graphique (cf figures 1 et 2). Figure 1. Profil sensoriel : lexique et graphique radar (www.inra.fr) ESSACHESS. Journal for Communication Studies, vol. 6, no. 1(11) / 2013 219 Figure 2. Comparaison entre deux profils sensoriels de pain en graphique radar (www.lesaffre.com) Cette forme de présentation présente en réalité un caractère très lourd et ne peut être utilisée dans une communication à destination du consommateur. Ce type de graphique, appelé graphique radar, apparaît dans de nombreux profils sensoriels suite aux préconisations des normes Afnor. Dans d’autres études, différents supports visuels interviennent, mais ils apparaissent trop techniques ou abstraits, là encore, pour le consommateur. 220 Juliette DEFOSSEZ, Jean-Jacques BOUTAUD Communiquer sur le goût… Figure 3. Deux modèles de présentation de profils sensoriels (www.lesaffre.com) Le problème central est que ce ne sont pas les mots en eux-mêmes qui importent dans le cas de la description sensorielle, mais les référents se trouvant derrière ces mots, c'est-à-dire le consensus qu’ils peuvent sous-tendre. Que faire alors dans le cas d’un public non entraîné, qui n’entre pas a priori dans un quelconque consensus sur ces termes ? Comment pouvoir estimer la pertinence de descripteurs qui varient selon le groupe d’experts ? Un point crucial de l’étude est la différence entre experts versus novices. En effet, les experts sont plus aptes à définir leurs sensations et à pouvoir clairement les exprimer. Ils sont les plus à même de définir un ensemble de descripteurs spécifiques contrairement aux novices, qui utilisent un langage plus vague (Lelievre, 2010). Comment alors trouver l’équilibre entre des descripteurs uploads/Management/ 204-573-1-pb.pdf
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- Publié le Jul 19, 2021
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