Raréfaction de l'eau dans les oasis: Crise de la ressource ou crise de gouverna
Raréfaction de l'eau dans les oasis: Crise de la ressource ou crise de gouvernance? Cas des oasis du sud-est tunisien ABDEDAYEM Slahedine, Ingénieur-chercheur, CRDA de Gabés Tel.B: 75227197; Tel .P: 97723227; Fax: 75227034 E.Mail: abdedayems@yahoo.fr Résumé Depuis les années 80, les oasis du sud-est tunisien qui font vivre plus de 100 000 paysans et paysannes connaissent une crise hydrique sans précèdent. L'eau d’irrigation se fait de plus en plus rare pour les oasiens. Ce problème a affecté considérablement l'économie des exploitations agricoles et a conduit à une baisse significative des revenus des agriculteurs. La souffrance de ces usagers s’affirme de jour en jour. Leur appauvrissement économique et social et parfois même leur délocalisation sont devenus inévitables. Les facteurs physiques de rareté de la ressource en eau sont les plus montrés du doigt (aridité climatique, offre en eau faible, nappes salées, fuites dans le réseau, etc). Notre investigation révèle que cette explication est non uniquement superficielle et simplificatrice, mais qu'elle dévie le raisonnement et masque les vrais arguments. Il s'avère manifestement que la raréfaction de l’eau dans ces oasis est une production sociale et économique avant tout. Aujourd'hui, les oasiens, surtout les plus démunis d’entre eux, sont empêchés implicitement d’accéder à l'eau alors que celle-ci ne fait pas défaut. Un bon nombre de facteurs en rapport avec la gestion de cette ressource et à son allocation éclaire cette controverse. La répartition de l’eau dans l’espace oasien (entre quartiers, et individus) n’est pas uniforme. La diversité agronomique et écologique et les besoins inégaux en eau des différents utilisateurs au sein de l'oasis sont ignorés dans l’allocation de cette ressource. De plus, le nouveau système d’irrigation, d’apparence très sophistiqué, a complètement négligé les savoirs traditionnels des paysans en matière d’irrigation et leur capacité financière et technique à gérer un système hydraulique complexe. Ainsi, la faible adhérence et participation à la gestion et aux processus de prise de décision des usagers d'une part et le coût devenu excessif de production de l’eau d'autre part, ont mis les associations de gestion de l'eau dans des conditions budgétaires et sociales difficiles et a conduit à la raréfaction de l’eau dans ces périmètres. En outre, cette crise hydrique est également accentuée par les nouveaux modes de productions adoptés par les paysans eux-mêmes et impulsés par les nouvelles règles de marché et de modernité. Aussi, cette contribution va-t-elle tenter de montrer, à travers l’analyse de cas des oasis du sud-est tunisien, que contrairement à l’intention prépondérante, les causes de la pauvreté hydraulique sont plutôt socio-économiques et que le mode de gouvernance de l’eau est à l'origine de la pénurie. Mots clés: Oasis de Gabès, gestion de l'eau, pauvreté hydraulique, Gouvernance. 1. Introduction On a l'habitude d'expliquer que la rareté de l’eau en Tunisie comme ailleurs résulte d’une part d’une offre en ressource en quantité/qualité limitée et insuffisante et d’un accroissement accru de la demande en eau d’autre part. Bien que ce constat soit tout à fait incontestable compte tenu surtout de la flambée qu’a connue la demande sociale en eau, il n'éclaire pas toute la question et l'explication de la situation reste inachevée. On s’aperçoit à l’évidence qu'en Tunisie l’approvisionnement en cette ressource s’est amplifié à la même vitesse que la demande, de sorte qu’on n’a pas eu de preuve que l’eau a véritablement manqué aux différents usagers aussi exigeants soient –ils (SGHAEIR, 1993). Aujourd’hui, dans le sud tunisien, quoique climatiquement de plus en plus sec, il existe une gigantesque réserve d’eau souterraine constituée depuis le quaternaire (BEN MARZOUG, 1996). En dépit de la nature fossile de ce réservoir d'eau, 1 l’accroissement de la demande en eau et sa diversification a contraint le pouvoir public à extraire les ressources qu’il faut. Cependant avec tous les efforts déployés par l’Etat pour la mobilisation de la ressource en eau et la rationalisation de son utilisation au profit de tous les usagers, les oasis du sud-est tunisien qui font vivre plus de 100 000 paysans et paysannes connaissant depuis les années 80, une crise hydrique sans précédent. L’eau d’irrigation se fait de plus en plus rare pour les oasiens. Les facteurs physiques de rareté sont les plus montrés du doigt (aridité climatique, offre en eau faible, nappes salées, fuites dans le réseau, etc). La question de la rareté de l’eau en rapport avec le mode de gouvernance de cette ressource en terme d’accès, de partage et de gestion est très peu abordée. Il s'agit dans ce travail de tenter de répondre à la question: insuffisance réelle de l’eau ou problème de gouvernance? L’objectif ultime est de mettre l’accent à travers l'étude du cas des oasis littorales, sur des aspects plutôt sociaux et économiques considérés dans la plupart du temps comme complexes et absurdes. Les oasis littorales en nombre de 49 couvrent une superficie d’environ 7000 ha1.Elles sont situées dans le sud-est Tunisien. Malgré leur similitude générale avec les autres oasis, on peut reconnaître aux oasis littorales un certain nombre de spécificités techniques, spatiales, historiques et sociales. Carte n°1 : localisation des oasis littorales 2. Pénurie ou suffisance : quels indicateurs ? L’eau douce est certes la ressource la plus indiquée comme étant un bien rare et elle l'est de plus en plus, néanmoins, à chaque fois que ce concept est évoqué, tout le monde semble ne pas parler de la même chose. Ainsi, la rareté de la ressource en eau est dans la littérature bien un objet de controverse. Une multitude de facteurs de nature très variée (physique, sociale, économique, politique, etc.) peuvent être à l'origine de la situation. Parfois la rareté peut même être artificielle et psychique dans le cas surtout où elle est liée à une demande de même nature. De ce fait, Oser poser la question si l'eau se fait effectivement rare dans les oasis du sud tunisien devient une question très légitime, voire pertinente et appropriée. Cependant, la réponse ne peut être exhaustive: chaque situation de rareté est unique. Le cas que nous analyserons, celui des oasis littorales ne peut être hélas généralisé même si quelques ressemblances avec d'autres oasis se trouvent confirmées. Appréhender cette situation revient alors à chercher des indicateurs palpables et plausibles qui permettent de savoir si l'eau manque pour ce groupe d’oasis ou bien si elle est suffisante. 2.1. Une offre en eau satisfaisante Il s'agit en premier lieu d'analyser l'offre en ressource. L'objectif est de savoir si l'approvisionnement fait aujourd'hui défaut et par conséquent s'il est à l'origine de la raréfaction de l'eau pour les oasis. Rappelons que ces oasis étaient desservies depuis leur création jusqu’aux années quatre vingts par des sources naturelles. A partir de cette date et afin de remédier à la chute du débit des sources et l'insuffisance des ressources en eau, l’Etat a créé des forages. (MAMOU, 1980) L’eau d’irrigation provient actuellement de 75 forages qui captent l’eau dans la nappe de djeffara à une profondeur variant de 50 à 200 m. 2 Bien que l’évolution du mode d’exhaure de l’eau dans les oasis littorales soit marquée par un passage très accéléré d’une forme millénaire qui était à l’origine de la création des oasis (source), à une forme nouvelle basée sur des techniques récentes (forage), le suivi de l'évolution du débit total disponible a ces oasis ne révèle pas une variation significative. En effet, le débit 1.La superficie irriguée dans le gouvernorat de Gabès est 12400 ha dont 7000 ha sont des oasis rapporté à chaque fois à la superficie irriguée nous décèle un taux dit d'irrigation, considéré comme étant l'indicateur technique de base pour tout périmètre irrigué qui renseigne sur le degré de l'approvisionnement en eau. Pour ces oasis, le débit total disponible est d’environ 4 m3/seconde, le volume annuel exploité est estimé à 118 millions de m3 /an, l’équivalent de 46m3 /jour/hectare. (CRDA de Gabès, 2004). En comparant cet apport d'eau journalier aux besoins théoriques des cultures en période de forte demande estimés à environ 40 m3 /jour, on constate qu'il satisfait largement cette demande. En outre, cet apport d'eau est comparable à celui utilisé au début des années soixante. Il va sans dire que les besoins en eau théoriques des oasis sont relativement élevés compte tenu de l'environnement climatique de ces oasis et la prépondérance de la culture du palmier dattier et des cultures fourragères d'été qui sont des cultures relativement exigeantes en eau. De cette sorte les oasis littorales, quoique alimentées par une eau d’origine souterraine et de caractère non renouvelable, semblent être convenablement bien approvisionnées en eau. 2.2. Un réseau d’irrigation à haut rendement Le deuxième indicateur est l’état du réseau d’irrigation actuel qui permet la distribution de l’eau dans ces oasis Ce réseau a été créé par le ministère de l’agriculture en 1985 dans le cadre du Plan Directeur des Eaux du Sud ( PDES2 ). Il a remplacé complètement le réseau d’irrigation traditionnel. L’objectif assigné est la modernisation du réseau d’irrigation afin de réduire les pertes d’eau par infiltration et permettre une meilleure répartition de l’eau sur l’ensemble des oasis. L’eau d’irrigation, une fois sortie du forage, est transportée jusqu’à l’ouvrage uploads/Management/ abdedayem.pdf
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- Publié le Jan 27, 2021
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