CHAPITRE XII ANARCHÉOLOGIE DU MANAGEMENT LUCA PALTRINIERI A leader creates him

CHAPITRE XII ANARCHÉOLOGIE DU MANAGEMENT LUCA PALTRINIERI A leader creates him or herself, step by step, over time, through gestures and acts of self-construction in relation to others 1. L’ÉDUCATION DES CADRES DIRIGEANTS ET LES TRANSFORMATIONS DE L’ENTREPRISE Un rapport publié en juin 2010 décrit de façon assez précise les transformations à l’œuvre dans l’éducation des nouveaux dirigeants d’entreprise depuis le début des années 2000 2. Depuis un certain temps, la formation de ceux qu’autrefois on appelait des « chefs » et qu’aujourd’hui on appelle des « leaders » ne se cantonne pas, ou plus, à la simple transmis- sion de contenus ou de techniques pour mieux gérer le personnel, mais englobe la formation d’un « savoir vivre » et, plus encore, de ce que l’on appelle désormais un « savoir devenir » 3. Tout se passe comme si l’illusion 1. Plaquette de présentation de l’Executive MBA HEC, 2012. 2. Institut de l’entreprise, Cercle de l’entreprise et du management, FNEGE (Fondation nationale pour l’enseignement et la gestion des entreprises), Repenser la formation des managers, Les notes de l’Institut, juin 2010. Ce rapport est issu d’un groupe de travail réunis- sant des membres de trois institutions. Disponible à l’adresse : www.institut-entreprise.fr. 3. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on parle de plus en plus de « compétences transversales non techniques » ou de « soft skills » en éducation au management, entendant par là les compétences qui permettent d’organiser, d’entreprendre, de respecter l’altérité et la collectivité. Cf. sur cette question l’ouvrage désormais classique de H. Mintzberg, Managers GEMENT ALTRINIERI NIERI ates him or herself, step by step, over tim or herself, step by step, over tim ts of self-construction in relation to others uction in relation to others 1 L’ L’ÉDUCATION ON DES DE C ET T LES LES TRANSFOR Un rapport publié Un rapport publié transformations à transformations d’entreprise d’entrepris formati format on © Librairie Philosophique J. Vrin, 2013 218 USAGES DU DERNIER FOUCAULT de pouvoir maîtriser des outils « neutres » et « objectifs », destinés à conduire « scientifiquement » les individus et les groupes, avait laissé la place à une formation ayant pour but une sorte d’attitude existentielle. Ainsi, le rapport précise que la nouvelle fonction du manager tire désormais « sa complexité de la délicate alliance entre savoir-faire et savoir-être » 1, et implique à ce titre tout un effort sur soi, un travail inter- minable de construction et de transformation de soi et de sa propre vie qui doit donner aux dirigeants d’entreprise la possibilité de se construire comme des sujets autonomes de leurs actes 2. Or, si l’insistance sur la préparation éthique à la fonction de dirigeant et le travail sur soi est devenue un leitmotiv de la littérature contemporaine sur le management, c’est moins à cause des récents scandales financiers que de la complexification des relations hiérarchiques et de la fin de l’entreprise verticale 3. Puisque « la structuration matricielle des entreprises contempo- raines rend à la fois inopérant et destructeur de valeur l’autoritarisme qui pouvait se donner cours dans des organisations verticales tradition- nelles » 4, le manager doit désormais développer de nouvelles capacités d’écoute de ses subordonnées. L’enjeu sous-jacent est celui de la création d’un nouveau rapport entre le gouvernement de soi et celui des autres à l’intérieur de la forme entreprise, où « les sous-groupes s’auto-construi- sent, s’autofixent des objectifs, sont animés par un leader qui s’impose plus par lui-même que par une autorité hiérarchique investie d’en haut » 5. Fini, en somme, le temps du « management scientifique », dans ses formes tay- loristes ou toyotistes : « L’organisation matricielle et plastique de l’entre- prise exige désormais du manager un travail approfondi sur son attitude ou son comportement qui trouve sa place à la fois au cours de la formation not MBAs. A Hard Look at the Soft Practice of Managing and Management Development, San Francisco, Berrett-Koehler Publishers, 2004. 1. Repenser la formation des managers, op. cit., p. 23. 2. C’est d’autant plus évident dans les travaux critiques sur le management qui se situent explicitement dans une perspective émancipatoire, comme les travaux afférent au courant bariolé des Critical Management Studies. Cf. sur ce point J. Brewis et E. Wray- Bliss, « Re-searching Ethics : Towards a More Reflexive Critical Management Studies », Organization Studies, vol. 29, n° 12, 2008. Sur la critique émancipatoire du management, cf. M. Alvesson, « On the Idea of Emancipation in Management and Organization Studies », The Academy of Management Review, vol. 17, n° 3, 1992, p. 432-464. 3. Repenser la formation des managers, op. cit., p. 55 sq. Sur le développement de l’« ingénierie de soi » en entreprise, cf. V. Brunel, Les managers de l’âme, Paris, La Découverte, 2004. 4. Repenser la formation des managers, op. cit., p. 25. 5. Ibid., p. 46. Bon à tirer ruire n de dirigeant et et re contemporaine sur raine sur candales financiers que de nanciers que de ques et de la fin de l’entreprise s et de la fin de l’entreprise matricielle des entreprises contempo- cielle des entreprises contempo- t destructeur de valeur l’autoritarisme eur de valeur l’autorit dans des organisations verticales t ganisations verticales doit désormais développer de nouve oit désormais développer de nouv subordonnées. L’enjeu sous-jacent est es. L’enjeu sous-jacent est eau rapport entre le gouvernement de re le gouve rieur de la forme entreprise, où « les reprise, où « ent, s’autofixent des objectifs, sont ani fixent des objectifs, sont an par lui-même que par une autorité même que par une autorité en somme, le temps du « ma en somme, le temps du « loristes ou toyotistes : « loristes ou toyotistes : prise exige désorm prise exige désor son comport son compo © Librairie Philosophique J. Vrin, 2013 ANARCHÉOLOGIE DU MANAGEMENT 219 initiale et tout au long du déroulement de sa carrière » 1. La redéfinition de la fonction et du travail managériaux dans l’entreprise contemporaine semble donc impliquer, d’un côté, une « refondation de l’éthique mana- gériale » et, de l’autre, le développement « de l’esprit critique, c’est-à-dire de la pratique autonome, rigoureuse et éclairée du jugement » 2. Lorsqu’on lit dans le dépliant de présentation d’un MBA d’une grande école de commerce française : « le leader est le créateur de soi, il se construit pas à pas, dans le temps, à travers des gestes et des actes de construction de soi en relation aux autres », il y a lieu de se demander si l’on ne pourrait pas désormais parler d’une esthétique de l’existence managériale. Les concepts fétiches de « compétitivité », d’« efficacité », de « performance » seraient pour ainsi dire en train d’abandonner le monde de l’entreprise pour laisser la place à un dessein véritable de pensée libre et de vie bonne. UN PARALLÉLISME AVEC L’ANTIQUITÉ. FOUCAULT INSTRUMENTALISÉ ? Ces transformations peuvent se résumer ainsi : la façon de penser l’éthique dans le contexte managérial s’éloigne progressivement de l’image d’un code de conduite institutionnalisé pour se rapprocher de celle d’une pratique critique et non-normative. Parallèlement, la technologie managériale semble moins destinée à produire des procédures reproduc- tibles et standardisées pour atteindre des objectifs, auxquelles les individus se soumettraient, qu’à stimuler des formes de subjectivation, par lesquelles les sujets se transformeraient eux-mêmes en assumant un rôle actif dans la construction de leur existence 3. Autour de ces problématiques de fond, une série de chercheurs en sciences de la gestion a récemment investi la pensée du dernier Foucault. Il ne s’agit certainement pas d’une première décou- verte, puisque le travail de Foucault a eu une forte influence dans ce domaine, et plus particulièrement sur le courant anglais des Critical Management Studies, depuis le milieu des années 1990 4. Pourtant, si les 1. Repenser la formation des managers, op. cit., p. 25. 2. Ibid., p. 8. 3. A. Ehrenberg, « Nervosité dans la civilisation. Du culte de la performance à l’effondrement psychique », dans Y. Michaud (dir.), Université de tous les savoirs, tome 8, L’individu dans la société d’aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 83-97. 4. Sur la réception de l’œuvre de Foucault en gestion, cf. É. Pezet, « Discipliner et gouverner : influence de deux thèmes foucaldiens en sciences de gestion », Finance, Contrôle et Stratégie, vol. 7, n° 3, 2004, p. 169-189 ; Y. Pesqueux, « La réception de l’œuvre de Michel Foucault en gestion », entretien avec M. Bonnafous-Boucher, Cités. Philosophie, politique, histoire, n° 2, 2000, p. 109-115 ; C. Carter, « A Curiously British Story : Foucault Goes to Business School », International Studies of Management and Organization, vol. 38, n° 1, Bon à tirer e soi e pourrait anagériale. Les es , de « performance » rmance » monde de l’entreprise pour entreprise pour sée libre et de vie bonne. libre et de vie bonne. ANTIQUITÉ. FOUCAULT INSTRUMENTAL OUCAULT INSTRUMENT tions peuvent se résumer ainsi : la f peuvent se résumer ainsi : la s le contexte managérial s’éloigne te managérial s’éloigne d’un code de conduite institutionnalisé uite institutio ne pratique critique et uploads/Management/ anarcheologie-du-management-cap-xii-usages-du-dernier-foucault-paltrinieri.pdf

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  • Publié le Mai 16, 2022
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