L’approche par compétences : au-delà du débat d’idées, un besoin et une nécessi

L’approche par compétences : au-delà du débat d’idées, un besoin et une nécessité d’agir. Jean-Marie De Ketele Professeur UCL – Louvain-la-Neuve Titulaire de la Chaire UNESCO en Sciences de l’Education de Dakar Dans ce texte, nous voudrions défendre une thèse qui se formule en deux affirmations reliées et complémentaires : « Une théorie des compétences reste à construire parce que une théorie des apprentissages complexes reste à construire » (Jonnaert et al. , 2006) MAIS Les mondes de l’action ont besoin de former l’Homme aux défis du complexe et donc d’une approche centrée sur de « vraies » compétences (De Ketele, 2007). Pour fonder cette thèse, nous tiendrons un raisonnement en quatre temps. Dans un premier temps, nous nous appuierons sur une analyse socio-historique et épistémologique du statut de la connaissance pour montrer que l’approche par compétences est le fruit d’une évolution. Dans un second temps, nous verrons qu’à travers les nombreux écrits actuels et malgré une certaine cacophonie conceptuelle tend à se dégager une conception qui met au centre de l’approche par compétences la notion de « situation ». Dans un troisième temps, nous tenterons de montrer que les objections contre l’approche par compétences, même si elles méritent d’être prises en considération, n’invalident pas la thèse de la nécessité de l’approche par compétences pour les mondes de l’action. Enfin, nous insisterons sur la nécessité de construire une théorie des apprentissages complexes et nous passerons en revue quelques ébauches de théories qui pourraient être des amorces d’une telle construction. 1. L’évolution du statut de la connaissance Dans un travail antérieur (De Ketele et Hanssens, 1999), nous montrions que le statut de la connaissance avait évolué à travers le temps et que l’on pouvait distinguer quatre grandes périodes ou strates d’évolution. Le terme de strate est préférable à celui de période, car ce dernier induit l’idée de linéarité alors que le premier induit l’idée de superposition. Le statut de la connaissance a connu l’apparition de plusieurs strates, comme ce fut le cas de l’évolution des civilisations : la civilisation industrielle est apparue après la civilisation agraire et s’est superposée à elle sans la supprimer complètement, car elle coexiste encore même dans les pays très développés ; la civilisation dite postindustrielle est née de la civilisation industrielle prend de plus en plus de place et se superpose aux deux premières sans les faire disparaître complètement. Il en sera de même avec les strates de l’évolution du statut de la connaissance. La tradition des fondements est le nom que nous donnons à la première strate qui caractérise le statut de la connaissance de l’Antiquité, mais a traversé les siècles et coexiste encore. Dans ce cas, connaître, c’est rentrer en contact avec les textes fondateurs des grands auteurs. Durant toute l’Antiquité et pendant de nombreux siècles, les grands auteurs sont les philosophes, puisque la philosophie (qui s’est progressivement dégagée de la théologie) englobe toutes les connaissances (depuis la mathématique jusqu’à la connaissance de la nature, de l’homme et de la société). Il est d’ailleurs intéressant de noter que pour les Grecs, la « sophia » se traduit indistinctement par la « sagesse » (traduction la plus courante) et par la « connaissance » : on ne peut pour les philosophes grecs être sage sans connaître et connaître sans être sage. C’est la raison pour laquelle la fonction de la philosophie était de pouvoir gérer la Cité. Dans la tradition des fondements, apprendre c’est de pouvoir traduire les textes fondateurs et l’enseignant est celui qui, non seulement est capable de les traduire, mais aussi de les commenter. Élaborer un curriculum, c’est donc avant tout identifier les textes fondateurs et les situer dans un parcours de formation . Cette conception a traversé les siècles. Elle caractérise l’Antiquité et le Moyen-âge ; elle a été valorisée par les célèbres collèges jésuites et a été reprise par les lycées napoléoniens ; pendant la première moitié du XXe siècle, les filières axées sur le latin, le grec et le français (appelées en Belgique « Humanités anciennes ») étaient considérées comme les filières nobles par excellence. Si cette conception a connu un déclin rapide lors de la deuxième moitié du XXe siècle, elle subsiste encore à travers certaines options, voire certains établissements spécialisés, que certaines classes sociales privilégient. L’histoire des universités traduit un mouvement semblable : pendant des siècles, la faculté perçue comme noble par excellence état la Faculté de Philosophie et Lettres ; une partie du Monde arabe est encore nostalgique des célèbres universités, telles Le Caire, Kairouan, Fès, Chinguetti et bien d’autres. Le modernisme classique encyclopédique est le nom que nous avons donné à la seconde strate. Elle émerge progressivement. On aperçoit les premiers indices dans les grandes découvertes de la Renaissance puis dans des travaux comme ceux de Pascal et des premiers grands chimistes. Mais sans conteste, l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert a joué un rôle de déclencheur important en tentant de faire l’inventaire des sciences et techniques de l’époque. Progressivement, le statut de la connaissance va évoluer. Connaître deviendra « restituer fidèlement les savoirs reconnus et validés par la communauté scientifique de l’époque ». Enseigner consiste à les transmettre. Concevoir un curriculum (mais on préfère parler de programme) consiste à choisir les savoirs à transmettre en fonction du niveau de l’apprenant et en fonction des orientations. Les « Humanités modernes » (expression employée en Belgique) va progressivement prendre le pas sur les « Humanités anciennes ». Comme la Faculté des Sciences va progressivement être considérée comme la faculté noble par excellence. Les mathématiques et les sciences vont devenir les disciplines de sélection des élèves et des étudiants, aux dépens des langues anciennes et du français. Le modernisme scientifique expérimental caractérise la troisième strate. Une étape importante dans son émergence fut sans doute le traité de médecine expérimentale de Claude Bernard. Le souci d’expérimenter et de ne prendre en considération que ce qui est observable et mesurable a trouvé son expression la plus dure en sciences humaines dans le behaviorisme. Ce mouvement a gagné, à travers des équipes de chercheurs comme celle de Bloom, les sciences de l’éducation. Connaître devient faire la preuve de sa maîtrise de savoirs et de savoir-faire énoncés en termes observables, évaluables et mesurables. Enseigner consiste donc à appliquer les principes de la pédagogie de la maîtrise. Celle-ci énonce que l’on peut apprendre n’importe quoi à n’importe qui si l’on prend le temps nécessaire en fonction de la personne et si l’on s’y prend bien ; par cette expression, Bloom entend qu’il y a une suite logique dans les apprentissages et qu’il ne faut jamais passer à une séquence nouvelle si l’élève ne maîtrise pas l’objectif de la séquence précédente. Concevoir un curriculum ne suppose donc plus simplement de dresser la liste des savoirs à enseigner, mais à établir l’arbre des objectifs, depuis les objectifs les plus généraux jusqu’aux objectifs opérationnels. Ce mouvement a eu et a encore un succès important, car il donne une impression de scientificité. Les facultés ou départements les plus nobles étaient donc ceux qui parvenaient, de façon rigoureuse, à dresser l’arbre des objectifs de la formation à assurer. On a vu ainsi, par exemple, la naissance de base de données offrant non seulement l’arbre des objectifs pour la formation des médecins, mais également des échantillons d’items d’évaluation pour chaque objectif opérationnel de l’arbre (comme la Base de Données du Kremlin Bicêtre à Paris). En Californie, l’IOX (International Objectives Exchange) a offert, d’abord sous format papier puis sous format électronique, ce même service pour les différents niveaux de scolarité et pour chaque discipline. Ce paradigme de la pédagogie de maîtrise (et ses aspects associés comme la TOP - technologie des objectifs pédagogiques- et la docimologie) est encore très prégnant dans la formation des enseignants et caractérise encore les pratiques de très nombreux enseignants. Paquay et al. (1996) parlent alors de la dominance de l’enseignant technicien et artisan. Le post-modernisme professionnalisant a émergé des critiques adressées à la strate précédente. Les pédagogues reprochaient à ce paradigme le saucissonnage et la juxtaposition des objectifs et des séquences d’apprentissage ; les socioconstructivistes, la non prise en considération de l’action de l’apprenant et de l’influence de ses pairs ; les psychologues cognitivistes, la négligence des processus cognitifs ; les didacticiens, le peu d’accent mis sur la structuration du savoir lui-même et du rôle des conceptions de départ… Si ces critiques ont joué un rôle, bien plus important fut celui de la montée en puissance de l’économique et de la mondialisation, caractérisés par la compétitivité. Le monde de l’entreprise et de la finance a reproché à l’école de former des diplômés, la tête bourrée de connaissances et de savoir-faire élémentaires certes importants, mais non employables, car incapables de les utiliser à bon escient dans le monde du travail. En effet, à quoi cela sert-il de pouvoir résoudre une équation du second degré ou calculer des dérivées si face à une tâche qui lui est proposée, le diplômé ne parvient pas à dégager de la tâche la nécessité de mobiliser en contexte de tels savoir-faire uploads/Management/ article-approcheparcompetences-deketele.pdf

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  • Publié le Apv 06, 2022
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